L’ingérence est le moteur de la descente aux enfers de la Syrie. Un article de Seumas Milne, The Guardian (UK) le 7 août 2012.
Par Seumas Milne, The Guardian (UK) 7 août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri
Le soutien des pays occidentaux et du Golfe aux combattants rebelles n’apporte pas la libération aux Syriens mais une escalade de conflits sectaires et la guerre. La destruction de la Syrie bat maintenant son plein. Ce qui avait commencé comme un soulèvement populaire il y a 17 mois est maintenant une guerre civile totale alimentée par des puissances régionales et mondiales et qui menace d’engloutir l’ensemble du Moyen Orient.
Alors que la bataille pour l’antique cité d’Alep continue à la détruire et que les atrocités se multiplient des deux côtés, le danger que le conflit déborde par delà les frontières de la Syrie grandit.
La défection du premier ministre Syrien est le coup le plus spectaculaire d’un programme financé [par des puissances extérieures] même s’il est peu probable qu’il signale un effondrement imminent du régime. Mais la capture de 48 pèlerins iraniens, –ou Gardiens de la révolution selon la version que vous croyez– le risque d’une attaque turque dans les régions kurdes de Syrie et d’un afflux de plus en plus grand de combattants djihadistes, donne une idée de ce qui est en jeu aujourd’hui.
L’interventionnisme régional et occidental est à la base de l’escalade du conflit. Ce n’est pas l’Irak, bien sûr, avec des centaines de milliers de soldats au sol, ou la Libye avec des bombardements aériens dévastateurs. Mais la forte augmentation ces derniers mois de livraisons d’armes, de financements ainsi que le soutien technique fourni pas les Etats Unis, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Turquie et d’autres pays, a donné un coup de fouet considérable aux moyens d’action des rebelles, et accru le nombre de victimes.
Barack Obama a jusqu’ici résisté aux demandes des faucons néo-conservateurs et libéraux qui veulent une intervention militaire directe. Au lieu de cela, il a autorisé des formes plus traditionnelles de soutien militaire clandestin apporté par la CIA aux rebelles syriens dans le style de ce qu’ils ont fait au Nicaragua. Les Etats-Unis, qui avaient soutenu le premier coup d’Etat en Syrie en 1949, financent depuis longtemps des organisations d’opposition.
Il y a quelques mois, Obama a donné un ordre secret autorisant un soutien clandestin (ainsi qu’un soutien ouvert, financier et diplomatique) à l’opposition armée. Ce qui comprend les paramilitaires de la CIA sur le terrain, le « commandement et le contrôle » ainsi que l’assistance en matière de télécommunications, l’acheminement des livraisons d’armes du Golfe via la Turquie pour des groupes de combattants syriens partenaires.
Après le blocage le mois dernier par la Russie et la Chine de sa dernière tentative pour obtenir l’appui des Nations Unies pour un changement de régime par la force, l’administration américaine a fait savoir qu’elle allait maintenant intensifier le soutien aux rebelles et coordonner avec Israël et la Turquie des plans de « transition » pour la Syrie.
"Vous remarquerez que ces deux derniers mois, l’opposition a été renforcée," a déclaré un haut fonctionnaire américain au New York Times vendredi dernier. "Maintenant nous sommes prêts à accélérer." Ne voulant pas être en reste, William Hague, se vantait que la Grande-Bretagne était aussi en train d’accroître sont soutien "non-létal" aux rebelles. Les Etats autocratiques d’Arabie Saoudite et du Qatar apportent l’argent et des armes, comme l’a reconnu cette semaine le Conseil National Syrien (CNS) soutenu par l’Occident, tandis que la Turquie, membre de l’OTAN, a mis en place la logistique et la formation de base pour l’Armée Syrienne Libre (ASL) à l’intérieur ou à proximité de la base aérienne américaine d’Incirlik.
Pour les Syriens qui veulent la dignité et la démocratie dans un pays libre, la prise en rapide et multiforme de leur soulèvement par l’aide étrangère est un désastre plus grand encore que celui qu’à connu la Libye. Après tout ce sont désormais des officiels du régime dictatorial et sectaire d’Arabie Saoudite qui choisissent quels groupes armés obtiendront de l’argent, et non pas des Syriens. Ce sont des agents secrets des États-Unis, le pays qui parraine l’occupation israélienne du territoire syrien et des dictatures dans la région, qui décident quelles unités rebelles auront des armes.
Les militants de l’opposition insistent pour affirmer qu’ils vont préserver leur autonomie, fondée sur un soutien populaire profondément enraciné. Mais il est clair que la dynamique du soutien externe risque de transformer les organisations qui en dépendent en instruments de leurs commanditaires, et non pas de ceux qu’ils veulent représenter. Les financements du Golfe ont déjà aiguisé le sectarisme religieux dans le camp des rebelles, tandis que les informations sur la désaffection de l’opinion vis-à-vis des combattants rebelles à Alep illustrent les dangers de groupes armés étrangers qui s’appuient sur des gens venus de l’étranger plutôt que sur leurs propres communautés.
Le régime syrien est bien entendu soutenu par l’Iran et la Russie, comme il l’est depuis des dizaines d’années. Mais une meilleure analogie pour comprendre l’implication des pays occidentaux et du Golfe dans l’insurrection syrienne serait si l’Iran et la Russie sponsorisaient une révolte armée, disons, en Arabie Saoudite.
Pour les médias occidentaux, qui ont largement traité du soulèvement syrien comme étant une lutte unidimensionnelle pour la liberté, les preuves aujourd’hui inévitables de tortures et d’exécutions de prisonniers par les rebelles – ainsi que de kidnappings par des organisations du genre Al-Qaïda, qui une fois de plus se retrouvent dans une alliance avec les Etats Unis – semblent avoir été comme un choc.
En réalité, la crise syrienne a toujours eu plusieurs dimensions correspondant aux lignes de faille les plus sensibles de la région. C’était au début un authentique soulèvement contre un régime autoritaire. Mais il a évolué de plus en plus vers un conflit sectaire dans lequel le régime Assad dominé par les alaouites a pu se présenter lui-même comme le protecteur des minorités – alaouite, chrétienne et kurde – contre une marée d’oppositions dominée par les sunnites.
L’intervention de l’Arabie Saoudite et d’autres autocraties du Golfe, qui ont essayé de se protéger d’un bouleversement arabe plus large en jouant la carte anti-chiite, a pour objectif évident une société sectaire, pas une société démocratique. Mais c’est la troisième dimension - alliance de la Syrie avec Téhéran et le mouvement de résistance chiite libanais, le Hezbollah - qui a transformé la lutte en Syrie en guerre par procuration contre l’Iran et en un conflit global.
Beaucoup d’opposants syriens diront qu’ils n’avaient d’autre choix que d’accepter le soutien de l’étranger pour se défendre eux-mêmes contre la brutalité du régime. Mais comme le soutient le leader de l’opposition indépendante Haytham Manna, la militarisation du soulèvement a réduit sa base populaire et démocratique tout en augmentant considérablement le nombre de victimes.
Il y a donc le danger que la guerre puisse se répandre hors de Syrie. La Turquie, qui a une importante population alaouite chez elle ainsi qu’une minorité kurde réprimée depuis longtemps, a revendiqué le droit d’intervenir contre les rebelles kurdes en Syrie après le retrait par Damas de ses troupes des les villes kurdes. Des affrontements provoqués par la guerre en Syrie se sont intensifiés au Liban. Si la Syrie devait se fragmenter, tout le système post-ottoman des frontières et des Etats du Moyen Orient pourrait être remis en question avec elle.
Cela pourrait se produire aujourd’hui indépendamment de la durée de survie d’Assad et de son régime. Mais l’intervention en Syrie revient à prolonger le conflit plutôt que de donner un coup fatal au pouvoir.
Seule la pression pour un règlement négocié, que l’Occident et ses amis ont si vigoureusement bloqué, peut maintenant donner aux Syriens la possibilité de déterminer leur propre destin et stopper la descente du pays aux enfers.
Traduit de l’anglais par Djazaïri