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Le blog de Lucien PONS

La crise ukrainienne pourrait dégénérer en guerre nucléaire de quatre manières différentes (Forbes - 29.4.2014)

30 Mai 2014 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Ukraine

Loren Thompson est analyste et lobbyiste du Lexington Institute . Son article est publié dans la revue FORBES

http://www.forbes.com/sites/lorenthompson/2014/04/24/four-ways-the-ukr...

traduit par Dominique Muselet , voir:

:

 

 

29 avril 2014

 

 

La crise ukrainienne pourrait dégénérer en guerre nucléaire de quatre manières différentes (Forbes)

 

Loren Thompson

En 1983 la chaîne de télévision ABC a diffusé un film qui sappelait "Le jour daprès" dans lequel les frappes nucléaires réciproques de deux superpuissances dévastait la vie des Américains moyens de deux villes du Midwest. Le conflit commençait par une concentration de troupes russes en Europe de lEst (selon Moscou il sagissait de simples manœuvres militaires) qui saggravait à tel point que les deux camps finissaient par larguer leurs missiles nucléaires de peur de les perdre dans une attaque préventive. Le film, qui avait été diffusé pendant une période de tensions et de désaccords entre les Etats-Unis et lUnion Soviétique a eu de plus de 100 millions de spectateurs : le plus grand succès daudience de toute lhistoire de la TV.

Les Etasuniens ne pensent plus beaucoup à ce scénario depuis la fin de la Guerre Froide parce que lUnion Soviétique sest dissoute et que la rivalité idéologique entre Washington et Moscou a disparu. Cependant, la crise en cours à propos de lUkraine nous rappelle que la Russie est une puissance nucléaire et que les causes géopolitiques de ses inquiétudes concernant sa sécurité nont pas disparu. En fait, Moscou a sans doute encore plus de raisons de sen faire aujourdhui du fait quelle a perdu la bouclier des pays alliés qui la protégeaient dune attaque occidentale pendant la Guerre Froide et que désormais sa capitale se trouve seulement à quelques minutes de la frontière orientale de lUkraine en jet (et encore moins de temps en missile). Quand on connaît lhistoire de la région on comprend facilement pourquoi Moscou peut craindre une agression.

Bien que lAdministration Obama réponde avec mesure à lannexion de la province de Crimée de lUkraine en mars dernier, sa crédibilité auprès de ses alliés régionaux est en jeu, et le leader russe, Vladimir Poutine, na rien fait pour rassurer ses voisins. Après avoir fomenté la révolte en Ukraine orientale*, Moscou dit maintenant quil pourrait être contraint de venir en aide aux Russes qui y vivent (il a massé 40 000 soldats à la frontière, pour ce quil a dabord appelé des manœuvres). Pendant ce temps, les Etats-Unis ont accru leur présence militaire dans la région pour garantir la sécurité des membres locaux de lOTAN. Petit à petit la tension monte.

Il y a un aspect de léquilibre militaire régional quil ne faut pas oublier cest la présence darmes soi-disant non stratégiques des deux côtés. Ces missiles, bombes et autres armes, quon appelait autrefois armes nucléaires tactiques, ont été achetés pendant la Guerre Froide pour compenser le manque darmes conventionnelles en cas de guerre. Selon Amy Woolf du Service de Recherche du Congrès, les Etats-Unis ont environ 200 armes nucléaires de ce type en Europe, dont une partie se trouve à la disposition des alliés locaux. Woolf dit que la Russie a environ 2 000 têtes nucléaires non stratégiques dans son arsenal opérationnel - la plupart pouvant atteindre lUkraine - et que au fur et à mesure des remises à niveau successives, la stratégie militaire russe semble "compter de plus en plus sur les armes nucléaires" pour faire face à la supériorité des Etats-Unis dans le domaine des armes conventionnelles de haute technologie.

Une étude de 2001 réalisée par la très respectable RAND Corporation est arrivée à peu près à la même conclusion et affirme que la doctrine militaire russe admet explicitement la possibilité dutiliser larme nucléaire pour provoquer lescalade dun conflit régional ou à linverse sa désescalade. Ce ne sont pas seulement des menaces de la part des Russes. Les Etats-Unis et lOTAN envisagent aussi la possibilité de se servir de larme nucléaire dans une guerre européenne. LAdministration Obama a eu lopportunité de renoncer à cette éventualité lors de la Révision de La Politique Nucléaire de 2010 mais elle a au contraire décidé de déployer davantage darmes nucléaires en Europe au titre dune doctrine appelée Dissuasion Elargie. Les nations dEurope de lEst qui ont rejoint lOTAN après leffondrement de lUnion Soviétique étaient particulièrement favorables à lidée davoir des armes atomiques tout près.

Aussi improbable que cela paraisse, il y a dans les deux camps la doctrine et les capacités nucléaires susceptibles de conduire à lutilisation darmes nucléaires en cas de guerre en Ukraine. Voilà quatre façons dont cela pourrait se produire :

Mauvais services secrets. Comme les Etats-Unis ont ricoché déchec en échec au cours des dernières décennies, on a pu se rendre compte que Washington nest pas le champion du décryptage des informations. Même quand il dispose dinformations vitales, leur lecture est tellement biaisée par les préjugés et les processus bureaucratiques quils en tirent de mauvaises conclusions. Cest le même problème à Moscou**. Par exemple, la crise des missiles cubains de 1962 a éclaté en partie parce que Khrouchtchev, le leader soviétique, croyait que le président Kennedy était plus faible quil ne létait en réalité, et la marine étasunienne a presque provoqué le lancement dune torpille nucléaire par un sous-marin russe pendant le blocus parce quelle a sous-évalué la réaction de lennemi à la menace. Il nest pas difficile d’imaginer pareilles erreurs dinterprétation en Ukraine que Washington et Moscou approchent à partir de perspectives très différentes. Un déploiement denvergure des forces étasuniennes dans la région pourrait provoquer une escalade russe.

Mauvais signaux . Quand les tensions sont fortes, des leaders rivaux cherchent souvent à envoyer des signes sur leurs intentions pour influencer lissue des événements. Mais la signification de tels signes peut aisément être brouillée par la nécessité des leaders de sadresser à plusieurs interlocuteurs différents en même temps et par les différentes grilles de lecture utilisées dans chaque camp. Même la traduction peut changer le sens des messages de manière subtile. Alors quand Lavrov, le ministre des Affaires Etrangères russe, a parlé cette semaine dune aide éventuelle aux Russes de lUkraine de lEst, Washington a dû deviner si cela signifiait quil allait envahir lUkraine ou sil envoyait un signal à Kiev au sujet de sa campagne antiterroriste, ou sil voulait dire encore autre chose. La mauvaise interprétation de tels signaux peut entraîner une escalade réciproque si rapide et si forte que la décision dutiliser larme nucléaire finit par sembler logique.

L’approche de la défaite. Si une guerre conventionnelle se déclarait entre la Russie et lOTAN, un des deux camps devrait à moment donné savouer vaincu. La Russie a un avantage numérique indéniable près de lUkraine, mais son armée est composée principalement de conscrits et elle est mal équipée en comparaison de larmée occidentale. Le camp qui sentirait quil est en train de perdre devrait décider sil vaut mieux perdre la guerre ou utiliser des armes nucléaires tactiques. En cas déchec, Moscou se retrouverait avec une présence ennemie à ses portes tandis que Washington devrait accepter leffondrement de lOTAN, son plus important allié. Devant une telle perspective, lutilisation de "seulement" une de ses deux têtes nucléaires tactiques pourrait sembler raisonnable - surtout considérant que la doctrine et les capacités nucléaires des deux camps le permettent.

Commandement défectueux. Les armes nucléaires stratégiques comme les missiles balistiques intercontinentaux sont étroitement contrôlées par les membres les plus haut gradés de larmée en Russie comme aux Etats-Unis, ce qui rend leur déclenchement non autorisé ou accidentel pratiquement impossible. Mais ce nest pas tout à fait le cas des armes nucléaires non stratégiques qui à moment donné dune processus descalade doivent être confiées au contrôle de commandants locaux si elles doivent être de quelque utilité. La politique étasunienne envisage même de permettre à ses alliés de lancer des têtes nucléaires sur des cibles ennemies. Moscou ne fait sans doute pas autant confiance à ses alliés mais comme il a davantage darmes nucléaires tactiques dans davantage dendroits, il y a encore plus de chances quun commandant russe local ait la possibilité dutiliser la première arme nucléaire dans le chaos de la bataille. La doctrine russe permet lusage darmes nucléaires en cas dagression conventionnelle menaçant la patrie et les obstacles aux initiatives locales sautent souvent une fois que les hostilités ont commencé.

Quand on considère tout les éléments qui, en temps de guerre, vont à lencontre de la retenue - un renseignement médiocre, des communications confuses, des revers militaires, un commandement dégradé et quantités dautres choses - il semble raisonnable de penser quune confrontation militaire entre lOTAN et la Russe puisse devenir incontrôlable et quà force descalade on en arrive à utiliser larme nucléaire. Et parce que lUkraine est si proche du coeur de la Russie (environ 350 km de Moscou) Dieu seul sait ce qui se passerait une fois si le "pare-feu" nucléaire sautait. Tous ces termes - pare-feu, échelles descalade, dissuasion élargie - ont été créés pendant la Guerre Froide pour établir différents scénarios possibles de guerre en Europe. Alors, puisque le regain de tensions permet de craindre une guerre en Ukraine (ou dans une autre nation anciennement soviétique) il est peut-être temps de renouer avec la manière de penser de lépoque de la Guerre Froide.

Loren Thompson

Traduction : Dominique Muselet

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