Nous sommes bien loin des “sociétés d'abondance originelle”, d’après Marshall Sahlins et s’agissant des chasseurs cueilleurs de jadis. À travers son essai relativement récent: “La découverte du vrai sauvage. Et autres essais”(2007), le grand anthropologue américain suggère aussi, que la vraie pensée et pratiques sauvages seraient peut-être celles du capitalisme occidental. Et ce temps de mémorandum (et du mémorandum 4) en Grèce et en Europe du Sud, serait indéniablement et tragiquement proche de la civilisation d’Erewhon, imaginée par Samuel Butler vers la fin du 19ème siècle. S’agissant évidement d’une anagramme de nowhere, c’est-à-dire, “nulle part”.
Et à mi-chemin d’Erewhon, voilà qu’au Palais de Justice d’Athènes lundi dernier (22 avril), des curieux et des journalistes bien en nombre, attendirent patiemment pour voir enfin apparaître et comparaître Akis Tsochatzopoulos, cet ancien ministre Pasokien de la Défense, accusé de son appartenance à un vaste réseau de blanchiment d’argent, et soupçonné d’avoir bénéficié des millions d’euros en dessous de table, liés à des contrats de défense signés durant son règne de l’insignifiance.Cette affaire n’impressionne plus grand monde en Grèce et la curiosité citoyenne s’apparente plutôt au voyeurisme qu’à autre chose. Akis, est ainsi une rare figure du système politique grec déjà destituée depuis un moment, certainement pour la forme et surtout, pour conserver certaines apparences, évidemment il y a plus et il y a pire.
Il a plaidé non coupable, son procès reprendra le 8 mai, c'est-à-dire juste après Pâques (des Orthodoxes) et la mort sans... résurrection. Entre-temps, ce dernier texte qui s’apparente au mémorandum 4, sera adopté par le “Parlement”, s’agissant d’un projet de loi appelée “loi coup de balai” par les journalistes, dans un langage déjà corrompu et corrosif, qui plus est, au moyen d’un nouveau “mini putsch de procédure au Parlement” d’après ISKRA, le site politique et d’informationde la mouvance gauche au sein de Syriza. C’est un pas supplémentaire qui est ainsi accompli vers ce nouveau régime pré-dictatorial, sauf qu’il demeure pour l’instant, largement inimaginable pour la plupart des ex-citoyens natifs du vieux continent et du siècle précédent. “Le système d'éducation c'est l'éducation du système” suggèrent certaines affiches d’un spectacle théâtral, apparues récemment sur les murs d’Athènes et qui rappellent les codes et les images d’Épinal des années 1930 et plus précisément ceux du nazisme, tout comme ces autres affiches issues des mouvements antifascistes et antiracistes de notre tout récent temps présent.
Ce qui est certain c’est que “la démocratie, telle que nous la connaissions est terminée”, tel est également le constat exprimé publiquement lors d’un meeting lundi dernier, de Dimitris Koutsoumbas, nouveau secrétaire général depuis la semaine dernière du PC grec (KKE), qui dirait le contraire ?
Sauf que certaines pratiques, vieilles comme le monde d’avant, restent d’actualité. La dernière guerre intestine entre les figurants de notre gouvernement tripartite de la Troïka de l’intérieur, vient d’éclater au sujet du contrôle de l’organisme OAED, l’équivalant du Pôle Emploi en Grèce. Yannis Vroutsis (Nouvelle démocratie), ministre du Travail (?) exige la démission d’Ilias Kikilias, le Pasokien à la tête d’OAED, ce dernier devenu récemment adepte de la “Gauche démocratique”. Le ministre veut en réalité récupérer comme on dit tout le contrôle de l’organisme. Comme le souligne le quotidien Avgi. Athènes, le 24 avril(Syriza), “la vérité est que pour une deuxième fois ce dernier temps, le ministre Yannis Vroutsis exige le remplacement de tous les directeurs régionaux de l'OAED. Il fait même de ce remplacement, la condition préalable pour que le nouveau programme d’emplois subventionnés par l’Union Européenne soit mis en exécution, et couvrant au moins 100.000 chômeurs. Ce qui pour le parti de la Nouvelle démocratie (d’Antonis Samaras) servira de clientèle électorale, région après région... et qui démarquerait ce programme des 26 nouveaux et anciens programmes du même type déjà en cours, car sa réussite serait alors pressentie, contrairement aux autres interventions ponctuelles du moment, qui n’ont pas l’air d’endiguer le chômage. Comme déjà indiqué, les dirigeants de la Gauche démocratique, se sont précipités hier pour exprimer leur désaccord, ainsi que leur profond inconfort ressenti, du fait de cette démission forcée. D’une manière plus indirecte, le PASOK a exprimé son mécontentement au sujet des critiques formulées à travers la presse, et visant son propre programme de lutte contre le chômage, qualifié comme relevant du favoritisme”. (Avgidu 24 avril). Je nommerais cela, “clientélisme de la dernière aspirine”, d’ailleurs, par cette connivence diachronique entre les élites mondialisantes de l’UE et celles de la Grèce, que les subventions de l’UE ont toujours servi à fabriquer ce “nulle part”, cette méta-démocratie, cette méta-économie du grand chômage, et en même temps, métonymie radicale des définitions et des concepts, néanmoins tragiquement entées dans les mœurs. Visiblement les Grecs... sucrent les fraises, celles de Manolada en tout cas, car on en trouve toujours sur les marchés.
Mardi, le 23 avril, nous avons “commémoré” trois ans de mémorandum, autrement-dit, 36 mois après cette déclaration de Georges Papandreou faite depuis l’île de Kastelorizo, nous annonçant la nouvelle période d’Occupation. C’est ainsi que le Fonds monétaire international, l’Union européenne et la Banque centrale européenne ont fait irruption dans notre vie quotidienne en Grèce, le gouvernement venait d’annoncer en catastrophe que l'État grec risquait de faire défaut dans le remboursement d'emprunts nationaux, s'il ne réussissait pas à se refinancer, et il devait concéder que les finances publiques étaient dans un état désastreux. Le FMI, l’Union européenne et la BCE, constitués en une sainte alliance ultralibérale, missionnèrent aussitôt leurs experts et mirent le pays sous leur tutelle: la “Troïka” était formée, et depuis, c’est le temps des “Troïkans” en Grèce, en ensuite, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Irlande et à Chypre, ainsi résumé cette semaine par une athénienne anonyme dans le métro de notre ville: “Nous ne sortons plus de chez nous, nous ne fréquentons plus les restaurants ni les bistrots. Toute notre pensée est tournée vers la survie, comment joindre les deux bouts, comment arriver à régler les nouvelles taxes, comment ne pas acheter du poisson pas cher... Nous en mangeons une fois par semaine, mais il s’agit du petit poisson pour le petit peuple comme on dit, pourtant cela me coûte à chaque fois pas moins de 18 euros, j’ai quatre bouches à nourrir voyez-vous. C’est terminé, il n’y a plus pour nous, ni vacances, ni loisirs, ni extras, nous sommes comme... assignés dans notre coquille”. La “mauvaise presse” allemande prétend en plus ce dernier temps, que les habitants des pays du Sud seraient plus riches que ceux du Nord, déjà parce qu’ils procéderaient plus de biens immobiliers, sans tenir compte des autres faits et réalités, culturels et structurels. Déjà, le mémorandum IV, prévoit de faciliter la liquidation des biens immobiliers des Grecs, pour ainsi régler leurs dettes privées et envers l’État, évidemment, les habitants des pays du Sud ne sont plus solvables, à 35% de chômage réel et au tissu économique devenu linceul.
En tout cas, le hasard de nos programmations fait qu’en cet avril 2013, l’Opéra national d’Athènes, représente les “Vêpres siciliennes” (de Giuseppe Verdi), désignant comme on sait, le soulèvement et la révolte populaire des Siciliens contre la domination féodale du roi Charles d'Anjou en 1282, c’était alors un mardi de Pâques. Mais pour le reste, nos commerces ferment définitivement, nos mendiants handicapés et leurs chiens occupent certains trottoirs, nos villes se transforment enfin et en conformité avec le futur. Ce dernier est d’ailleurs en route. On apprend à ce propos, que le professeur des écoles et chef d’établissement Stefanos Goulionis, vient d’être condamné et risque le renvoi de la fonction publique en application des lois mémorandaires 4057/2012 et 4093/2012. Son “crime”, fut d’avoir manifesté le 25 mars dernier dans sa ville, Larisa en Thessalie, participant à un rassemblement organisé par l’Union syndicale de sa région contre l’Armageddon provoqué par le gouvernement Samaras, et la Troïka. Il fut interpellé par la police durant cette manifestation, accusé à tort (selon les syndicats) pour “violences exercées contre les forces de l'ordre”. Par la suite, et conformément au tout récent arsenal juridique issu du mémorandum, Stefanos Goulionis, fait désormais l’objet d’une sanction administrative, prise à l’initiative de son hiérarchie, suggérant ainsi sa radiation de la fonction publique, et faisant suite à sa première condamnation, avant son appel qui sera jugé en octobre prochain. D’après le site ISKRA, il s’agit d’une nouvelle forme de... rétrécissement des droits syndicaux et politiques.Notre pays change et alors combien ! Au même moment, dans sa revue Hot Dog, le journaliste Vaxevanis (liste Lagarde) affirme “qu'un banquier a décidé d'engager des tueurs à gage pour l'éliminer”, mais la presse en parle si peu finalement, sauf exceptions.On ne médiatise pas non plus les récentes déclarations officielles, sur le seul montant (supposé) garanti pour ce qui est des retraites, à savoir, 360 euros par mois. Les medias évoquent peu également, les... prédispositions du Parlement Européen à adopter la dernière proposition (méta-capitaliste dans un sens) de la Commission et donc des élites du moment en Europe, et qui consiste à “tondre” potentiellement et si besoin est, les dépôts des épargnants, alors sujets de l’U.E., au-delà des premiers cent mille euros.
Marshall Sahlins avait affirmé qu'une société est vivante si elle ne se laisse pas dépasser par l'événement, et, contre vents et marées, reste au centre de son monde. Est-ce encore possible ?
* Photo de couverture: Palais de Justice. Athènes, le 22 avril
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