Souvent en Grèce, ce sont certains moments paisibles qui nous rappellent un passé encore trop récent. Comme ce vendredi matin du 26 avril, cet unique client sur la terrasse d’un bistrot du vieux centre d’Athènes. La météo déjà clémente, nous apprécions enfin l’appréciable pendant que les syndicats s’apprêtent à manifester Place de la Constitution pour le premier mai. Le gouvernement avait pris “soin” de transférer ce “jour férié” après Pâques, le dimanche 5 mai, mais en vain. Déjà en ce dimanche soir du 28 avril, les centrales syndicales, ainsi qu’une bonne partie de la gauche grecque, dont Syriza et le syndicat PAME -ce dernier étant proche du KKE, le parti communiste-, ont manifesté sur cette même place contre l’adoption, pourtant inéluctable, de la “grande loi coup de balai”, invariablement, mémorandaire et anticonstitutionnelle. Sans surprise, le “Parlement” a “décidé” autrement, rejetant la requête des députés Syrizistes. Le Mémorandum IV est en vue, comportant les “licenciements immédiats” tant attendus dans la fonction publique et bien d’autres... merveilles, et encore une fois, en un seul article digne d’un roman fleuve, et en une seule et unique “loi”. Le pouvoir législatif n’est que sa propre caricature en cette fin de régime.
Le rassemblement du dimanche soir n’a pas été suivi,- au mieux deux mille personnes- et comme par hasard, encore, les derniers sondages indiquent aussi une stagnation de l’influence du parti de la Gauche radicale... Invité au studio de la radio athénienne “Sto Kokkino” 105.5 FM, proche de Syriza, vendredi matin, le 26 avril, j’ai été amené à commenter, à mon tour, le sondage du jour, ainsi que l’aporie des journalistes: “Pourquoi ?”. Je précise, une fois de plus, à destination des amis et lecteurs du blog, que je ne suis encarté -comme on dit parfois- nulle part.
“Pourquoi ?”: J’ai encore rappelé l’évidence, pas si... évidente pourtant... Pauvres gens... et pauvres gens d’une certaine gauche... et pas uniquement. La méta-démocratie, la mise à mort des institutions représentatives des démocraties de type occidental, l’auto-annulation des Parlements devant le préfabriqué tyrannique du pacte budgétaire (TSCG) entré en vigueur cette année, en 2013, et érigé en cadre juridique indiscutable pour tous les pays de la zone Euro et de l’UE, car incorporable dans la constitution de chaque pays. Quel effondrement social et sociétal alors ? La rue grecque, espagnole ou portugaise le sait désormais, les constitutions nationales sont abolies de fait et ceci, sans obtenir sur ce sujet le moindre consensus. C’est ainsi, comme le “grand reste” et par la “grande loi” que le travail disparaît et avec lui, son cadre juridique, le contrat social, dont l’action et l’activisme révolu des syndicats et des partis politiques. Sauf que la situation que nous vivons c’est la plus grave négation de la démocratie acquise par les peuples de l’Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, d’où la “négation”, volontaire ou pas, des partis de gauche -ou de “gauche”-, qui “agissent” encore commedans un cadre démocratique comme si de rien n'était. Erreur en somme... fatale.
C’est vrai que “Toute la Grèce est une variante de Manolada”, comme écrivait la semaine dernière le quotidien Taxydromosde la ville de Vólos en Thessalie, ou Elefterotypia,“52% des entreprises du pays laissent leurs employés sans couverture sociale”? Certes, le sort réservé aux immigrés “travaillant” pour le compte des producteurs de fraises à Manolada est bien pire, mais ce n’est qu’une question de degrés et sans doute de temps. Et à part la manifestation à Manolada en soutien aux immigrés de ce dimanche,au Nord du pays, les habitants d’Ierissos, résistent comme ils peuvent aux exploitants d’or de leur région. Désormais, et d’après les reportages de la semaine dernière, c’est la solidarité... organique et sans doute tout autant organisée que spontanée qui règne chez les habitants. Eh oui, la crise, c'est-à-dire la guerre ouverte contre la société, nous change alors beaucoup.
Et nos villes dans leur splendide vieillesse, se dégradent de plus en plus et si rapidement, puis, nos ruines récentes sont à vendre en attendant peut-être le pire, pour ce qui serait du sort réservé à nos autres ruines anciennes. Au Pirée déjà, les nouveaux entrepreneurs du bois de chauffage ont reconstitué leurs stocks, on se croirait aux années 1950, sauf que les grues du port tournent au ralenti et que les usines et leur vacarme d’il y a encore à peine deux décennies, se réduisent au béton vieilli et à la rouille. La rouille plus le changement de régime c’en est trop, ainsi, certaines affiches à Athènes invitent à réfléchir sur le cas des “luttes ouvrières et des lieux sociaux de lutte dans la clandestinité”, tandis que le nouveau règlement adopté lors du récent congrès du parti communiste (KKE), prévoit également sans expliciter, des “actions adaptées à une éventuelle interdiction du parti” (chapitre I, article 4).
Mercredi, le 24 avril, le comité de l’Initiative grecque contre l’Euro et l’U.E. a organisé un mini colloque et rencontre politique à la Faculté d’Économie, sur “la sortie de la zone euro et de l'UE”. Il s’agit d’une initiative parallèle à celle du “Plan B'”d’Alekos Alavanos, issue de l’univers composite de la gauche anticapitaliste du (petit) parti ANTARSYA. Parmi les participants, l’économiste Leonidas Vatikiotis a insisté sur le fait que “l'Union bancaire est une manière, par laquelle, un certain impérialisme tend à tirer profit de la fin de la bulle spéculative et de la financiarisation de l'économie, au détriment bien évidemment du monde du travail. Sous ses conditions et par une ‘task force’, par une Troïka qui ne rend des comptes qu’à seule UE et au FMI, toute autre politique économique est impossible. Quitter la zone euro, est une action de grande envergure, y compris dans sa préparation, mais elle doit être accompagnée par la sortie quasi-simultanée de l’UE”. Costas Lapavistas, joint par internet, a pronostiqué que “d'ici cinq ans, une junte paneuropéenne verra le jour, ou sinon une révolte de grande envergure aura lieu. Déjà, l'affaire de Chypre constitue un signe d'accélération dans le processus. La question de l'abandon déjà de l'euro se pose ouvertement, aussi parce que la bourgeoisie chypriote est structurellement et culturellement bien différente de celle de la Grèce, elle examine donc sérieusement cette probabilité de quitter la zone euro. Ce qui motiverait davantage une telle décision, tient également des prévisions des économistes du FMI et de la Troïka, lorsqu’ils évoquent une baisse du PIB à hauteur de 12%, sauf que tout le monde ressent combien le mémorandum et déjà la nouvelle situation, entraineront une chute d’au moins 40% du PIB, puis, un chômage qui explosera plus soudainement qu'en Grèce, ce qui fait effectivement réfléchir, y compris chez les élites.”
Parmi les intervenants, Yannis Tolios, économiste et cadre Syriza, proche du chef de l’aile gauche chez Syriza, Panagiotis Lafazanis, n’était visiblement pas très à l’aise. C’est sans doute par... le bât qui blesse, autrement-dit, par l’indécision, ou plutôt par la décision officielle: “rester dans l’euro et l’UE”, que l’argumentaire Syriziste ne tient plus. Et pas que devant un public politiquement... averti et incorrect, et toutefois très courtois. On sait par exemple qu’un gouvernement souhaitant déjà attribuer une allocation de 460 euros par mois aux presque deux millions... véritables chômeurs du pays, et ceci pour une durée d’un an, devra pouvoir trouver environ douze milliards d’euros ou l’équivalant en nouvelle monnaie nationale. Alors, comment faire, surtout, comment faire si le pays reste sous le contrôle de la BCE ? Voilà déjà une des apories du moment mais qui finira par être répondue, d’une manière ou d’une autre. Sauf pour le voisin Christos peut-être. Il a déposé le bilan de sa petite entreprise et les plaques d’immatriculation de sa camionnette, elle est sur le point d’être vendue d’ailleurs. “Ma femme, moi ainsi que nos deux enfants, nous vivons accrochés à la retraite de la grande mère. C'est la première fois que je me sens ainsi, même durant le service militaire je bossais. J’ai honte...”
Dans un communiqué, ce le comité de l’Initiative grecque contre l’Euro et l’U.E., entend internationaliser ses débats, qui évidemment le sont déjà. Voilà le texte en entier,ce qui permettra aux lecteurs du blog, de se faire une idée plus précise des débats actuels en Grèce:
“Initiative contre l'€uro et l'U€
- Une discussion large et ouverte concernant la nécessité d’une sortie immédiate de la Grèce de la zone euro et l’UE, comme condition nécessaire pour assurer la survie du peuple grec contre sa paupérisation quotidienne et pour suivre une nouvelle voie dans une direction anticapitaliste.
- Le soutien à la création d’un mouvement populaire massif qui renversera la ‘machine de la dette’ et qui luttera pour la rupture et la sortie de l’UE.
Dès son entrée dans la CEE en 1981, et surtout après son intégration dans la zone euro, la Grèce a été graduellement dévitalisée de toute possibilité d’un développement par ses propres moyens. Les politiques et les directives de l’UE ont conduit à la diminution de l’industrie, la destruction de la production agricole, la privatisation des entreprises et des infrastructures publiques ; les condamnant ainsi à un parasitisme et une survie par les subventions et la dette.”
“Maintenant l’UE montre du doigt la Grèce comme responsable de la crise capitaliste mondiale (!), diffame son peuple comme ‘paresseux’, l’engouffre encore plus dans la misère, pour que les besoins des créanciers et des marchés soient satisfaits. La rupture avec l’UE est une condition préalable pour la prise de mesures comme la nationalisation du système bancaire, l’énergie et d’autres secteurs socialement cruciaux sous contrôle démocratique et des travailleurs. C’est une condition préalable aussi pour le renforcement des droits des travailleurs, l’augmentation des salaires et la redistribution de la richesse, ainsi que la reconstruction de l’économie pour qu’elle couvre les besoins de la majorité sociale.
Nous recherchons à ce que cette rupture se complète avec une nouvelle internationalisation des peuples et des pays en Europe, dans la Méditerranée et dans toute notre région. Une nouvelle internationalisation anticapitaliste qui aura pour fondements la solidarité, l’égalité et la justice, sur base des intérêts populaires et des travailleurs et qui servira la cause d’une libération sociale universelle. Au milieu de la crise capitaliste, l’attaque menée n’influence pas seulement la classe ouvrière et les peuples des pays appelés ‘PIIGS’ par l’UE, mais tous les peuples et les pays de l’Europe.
La situation que nous vivons c’est la plus grave négation de la démocratie acquise par les peuples de l’Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Officiellement, depuis le début 2013, le traité qui contient le pacte budgétaire (TSCG) est en vigueur comme cadre juridique indiscutable pour les pays de la zone Euro et de l’UE. Il est demandé de l’incorporer dans la constitution de chaque pays, en abolissant en réalité les constitutions nationales.”
“La ‘prison budgétaire’ impose un mécanisme de surveillance et de contrôle permanent par l’UE sur les budgets publics de chaque pays avec comme objectifs:
a) des budgets en équilibre avec un seuil de déficit maximal le 3% du PIB et
b) l’arrêt de l’endettement public, lequel ne pourra plus dépasser le 60% du PIB. Dans l’éventualité d’un dépassement du seuil susmentionné, chaque pays est engagé à diminuer sa dette de 5% ; dans le cas contraire, il y aura des mesures et des sanctions contre ce pays.
Dans tous les pays de l’UE et de la zone Euro est imposé un ‘mémorandum généralisé’ d’une manière dictatoriale et contre la volonté des peuples. Les règles d’une austérité sanglante et de la paupérisation de la société -puisqu’il s’agit précisément de ça- deviendront la seule politique économique autorisée, peu importe ce que désirent, choisissent ou votent les citoyens. Les citoyens européens sont transformés brusquement en sujets des banques, des marchés financiers, des multinationales et de leur organisation bureaucratique qui est basée à Bruxelles.”
“Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), le contrôle du budget et des politiques salariales et la supervision des banques par l’UE ne garantissent pas les droits civiques, les droits démocratiques et les conquêtes sociales, mais bien une sujétion à la faim et des suicides causés par le désespoir! Ils abolissent toute légitimé constitutionnelle, tous les droits sociaux et humains. ‘L’expérience’ grecque, après une dizaine d’interventions de ‘sauvetage’ a plongé le pays dans une récession comparable seulement avec des périodes de guerre. En réalité, 60% de la population est sous le seuil de pauvreté, il y a 1,5 des millions de chômeurs, 1000 licenciements par mois, 1 suicide par jour, 40.000 foyers sans électricité et des millions de foyers (60% du total) sans chauffage, des enfants qui meurent dans les hôpitaux puisque la Troïka fait l’économie sur des dépenses ‘inutiles’ en fermant les cliniques. Ce sont les victimes d’une guerre budgétaire déclarée par l’UE contre ses citoyens. Pourtant, certains discernent le Nobel de Paix à l’Union européenne !”
“Pendant les quatre dernières années, des institutions qui échappent à tout contrôle populaire et démocratique, comme la BCE et la Commission, ont imposé un régime de surveillance sur les peuples de l’Irlande, la Hongrie, la Roumanie, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et Chypre avec la collaboration active des classes dominantes de ces pays. Le principe par lequel ‘la souveraineté nationale termine là où les demandes des créanciers internationaux commencent’ condamne les pays qui reçoivent des programmes ‘d’aide’ financière à devenir des protectorats.
À Athènes, à Lisbonne, à Dublin et à Madrid, les ‘Mens in Black’ de la Troïka, les ‘Task Forces’ de la BCE et de la Commission démontent les organismes publics et les services sociaux, surveillent la collecte de taxes sanglantes et leur rentrée aux institutions financières. Ils dictent les mesures de coupe dans les revenus et programment la vente des parcelles terrestres tant privées que publiques, de l’infrastructure et des entreprises, et de toute ressource naturelle et richesse nationale, exhibant au vu du grand public les relations néocoloniales dans lesquelles les pays de la périphérie se sont trouvés. Les gouvernements élus sont souvent remplacés par des technocrates, sans aucune légitimité démocratique, et le moindre soupçon que les mémorandums puissent être mis en cause par les peuples lors des élections est traité avec une intervention brutale dans les affaires intérieures des pays et avec des menaces de sanctions économiques et des catastrophes d’une échelle biblique.”
“Comment nommer cette forme de gouvernance des peuples qui exclut les peuples eux-mêmes ? L’édifice de l’Union européenne qui se met en place avec les mémorandums, le Pacte budgétaire, la législation sur la gouvernance économique (‘6pack’, ‘2pack’) ne vise pas au redressement des économies nationales de la crise, ça n’a jamais été le cas. Il vise à la dégradation d’économies nationales entières pour qu’elles deviennent des Zones économiques européennes spéciales, et ainsi à leur pillage ; à la réduction de millions des vies humaines à des simples ‘ressources’ desquelles l’existence ou disparition serait déterminée par leur comparaison avec le coût unitaire du travail en Chine !
Ces développements confirment, d’une manière encore plus dramatique, notre estimation politique qu’une condition sine qua non, pour le dépassement de la crise en Grèce dans l’intérêt du peuple, est la double sortie de l’Euro et de l’UE, avec un effacement unilatéral de la dette envers les grandes banques et le ‘mécanisme de soutien’ de l’UE. Promouvoir le slogan de la désobéissance de chaque peuple et pays envers les mesures injustes imposées par Bruxelles est nécessaire pour que la lutte pour la défense des acquis sociaux et démocratiques ne s’enferme pas mais obtienne, au contraire, des perspectives.”
“L’Initiative contre l’Euro et l’UE adresse une invitation pour une rencontre internationale dans le but de discuter et évaluer des évolutions dans chaque pays et aussi au niveau européen, pour ensuite pouvoir se coordonner et organiser des actions communes. Elle s’adresse à toutes les forces sociales et politiques qui luttent contre la stratégie de l’UE. Mais aussi à chaque mouvement, syndicat et organisation sociale qui, nonobstant son point de départ et ses objectifs stratégiques, met le salut de nos peuples d’abord et pas le sauvetage de l’euro et des intérêts du capital. Un tel combat commun peut contribuer décisivement au renversement de l’attaque que nous subissons et à imposer la volonté populaire dans une perspective d’une autre société, qui va mettre l’humain d’abord, tant dans nos pays qu’en Europe et dans le monde.”
“La rencontre est prévue pour le 25 et 26 mai, à Athènes, et nous proposons les points de discussion suivants: Du ‘développement durable’ des profits à la ‘jobless recovery’ et la croissance à travers des Zones Économiques Spéciales: les conséquences de l’entrée dans l’UE dans les économies nationales des États membres. Y a-t-il une alternative ? L’UE et la crise capitaliste mondiale. Le pacte budgétaire du totalitarisme moderne européen. Y a-t-il de la place pour les peuples et la démocratie dans l’UE ? La lutte nationale et internationale dans les conditions actuelles. Les priorités politiques que le mouvement ouvrier et populaire doit mettre en avant. Les syndicats et l’organisation de la lutte populaire. Dépasser la voie sans issue du ‘partenariat social’ et de l’attribution bureaucratique. Renaissance démocratique - solidarité- coordination- action commune.”
Tard dans la nuit, la “grande loi coup de balai”, a été adoptée par 168 voix au “Parlement”.
Pays: prison budgétaire.
* Photo de couverture: Bistrot. Athènes, le 26 avril