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Le blog de Lucien PONS

Le sud de la Syrie, nouveau foyer rebelle. Benjamin Barthe du journal "Le Monde".

29 Avril 2013 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #La Syrie - La Libye - l'Iran -

Le sud de la Syrie, nouveau foyer rebelle

L'Armée syrienne libre, qui piétine au nord, se renforce à l'autre bout du pays grâce aux Saoudiens et aux Américainsguerres-20avec-20titres-20copier.jpg

 

 

La géographie du conflit syrien serait-elle en train de basculer ? Ces dernières semaines, pendant que les forces gouvernementales marquaient des points dans le nord et le centre, la rébellion a gagné du terrain dans la province de Deraa, tout au sud du pays, à la frontière avec la Jordanie.

Les combattants anti-Assad se sont emparés de deux bases militaires et d'une ville, Daël, située le long de l'axe stratégique Damas-Deraa. Ils ont entrepris de couper le ravitaillement des unités de l'armée régulière déployées dans cette région et les combats signalés, mercredi 10 avril, à Sanameïn, au nord de Deraa, laissent penser qu'ils progressent en direction de la capitale.

Certes, il est beaucoup trop tôt pour affirmer que le salut des insurgés syriens viendra du sud, alors qu'au nord la rébellion donne l'impression de s'essouffler dans des combats anarchiques. Ceux-ci profitent surtout aux djihadistes, notamment ceux du Front Al-Nosra, qui a récemment officialisé son appartenance à la nébuleuse Al-Qaida. Mais un plan pour relancer l'insurrection à partir de Deraa a été élaboré, et sa mise en oeuvre a débuté.

Des informations convergentes obtenues par Le Monde auprès d'un responsable de l'opposition, de deux officiers déserteurs et d'un analyste étranger indiquent que l'Arabie saoudite, la Jordanie et les Etats-Unis s'activent dans cette direction.

La division du travail est la suivante : Riyad finance des livraisons d'armes, Washington supervise des formations et Amman prête son territoire aux uns comme aux autres. Les destinataires de ce dispositif sont des groupes " labélisés " Armée syrienne libre (ASL), sélectionnés et commandés par le général Ahmed Al-Na'ameh, un ancien officier de l'armée régulière, connu pour son ouverture d'esprit et sa méfiance à l'égard des islamistes.

Ce faisant, les parrains du plan espèrent accroître le professionnalisme et la force de frappe des combattants de l'ASL et, par ricochet, affaiblir les factions djihadistes, souvent financées par de riches Koweïtiens.

" Les Saoudiens et les Américains sont décidés à travailler avec les nationalistes, de façon à marginaliser les extrémistes, explique un responsable de l'opposition, associé à ce plan et désireux de garder l'anonymat. Nous devons tirer les leçons des erreurs commises dans le nord. Il n'est plus question de tirailler à tout-va pour passer sur Al-Jazira sans se soucier des civils, qui paient le prix des représailles immédiates du régime. Cela nous a fait perdre beaucoup trop de soutien dans la population. "

Selon cette source, 4 000 combattants ont été équipés et formés dans ce nouvel esprit à Deraa. Ils ont été envoyés par vagues successives dans la Ghouta, l'oasis à l'est de Damas, où ils participent aux efforts visant à encercler peu à peu la capitale. " Ils sont les premiers produits de cette expérience, où l'Arabie saoudite, si étonnant que cela puisse paraître, soutient des quasi-laïcs ", se réjouit cet opposant.

Cela n'a pas toujours été le cas. Les premiers bénéficiaires de l'aide du royaume wahhabite, au printemps 2012, ont souvent été des salafistes. A l'époque, les armes achetées par ses émissaires transitaient par la Turquie, dont une partie de la frontière avec la Syrie était alors en passe de tomber aux mains des rebelles.

Le Qatar, l'autre pays arabe le plus mobilisé contre le régime Assad, faisait de même, mais en destinant ses livraisons à des groupes proches des Frères musulmans. Des pratiques clientélistes qui ont contribué à l'émiettement de la rébellion.

" A l'automne, l'Arabie saoudite a décidé de déplacer ses efforts vers la Jordanie pour trois raisons, explique un bon connaisseur du dossier. D'abord parce que le nord de la Syrie est devenu une sorte de Far West où les rebelles passent plus de temps à se filmer qu'à combattre. Ensuite parce que les services de renseignement jordaniens sont beaucoup plus doués que leurs homologues turcs pour structurer ce genre de filières, lesquels par ailleurs avaient tendance à favoriser le Qatar. Et, enfin, parce que la frontière sud est évidemment beaucoup plus proche de Damas que ne l'est celle du nord. "

D'après Hugh Griffiths, chercheur au Stockholm International Peace Research Institute, spécialisé dans la traque des trafics d'armes, c'est à la fin de l'année 2012 que des avions croates, les soutes pleines d'un arsenal financé par Riyad, commencent à se poser à Amman.

A la fin mars, date à laquelle le New York Times a révélé ce dispositif, une trentaine de rotations avaient été comptabilisées. Repérées sur des vidéos téléchargées sur Internet par le blogueur Eliot Higgins, un expert en matériel de guerre, les armes croates (canons sans recul, lance-grenades, missiles antichars) ont dopé la capacité offensive des rebelles. " Du fait de sa proximité avec Israël, le sud de la Syrie est beaucoup plus fortifié et militarisé que le nord, fait remarquer un analyste occidental. Le simple fait que l'opposition puisse s'y mouvoir et enregistrer quelques victoires atteste d'un couloir d'approvisionnement en armes massif. "

Selon nos informations cependant, l'acheminement de ce stock, de Deraa à la Ghouta, bute sur un obstacle de taille. L'état-major syrien a récemment déployé un régiment de blindés à Otaiba, une localité sur la route qui remonte du sud, en plein désert. Démunis d'armes de longue portée, les hommes de l'ASL éprouvent le plus grand mal à forcer ce verrou.

Par ailleurs, fidèle à la stratégie de la terre brûlée qu'il a mise en oeuvre dans le nord du pays, le régime a répondu aux avancées de ses adversaires par des bombardements non ciblés indiscriminés sur les zones habitées. Une quarantaine d'habitants de Sanameïn ont ainsi été tués le 10 avril, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme. Quelques jours plus tôt, c'est Daël qui était pilonné sans merci. Rien ne garantit que la stratégie du front sud soit in fine payante. Mais pour l'instant, compte tenu de l'attentisme des capitales occidentales, c'est la seule carte dont disposent les rebelles pour pallier l'enlisement des combats dans le nord.

Benjamin Barthe

© Le Monde

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