Merci à Philippe Boulogne pour avoir synthétisé plusieurs sources sur le web en rédigeant ce billet…
Au XIXème siècle, l’Angleterre est devenue à la fin des guerres napoléoniennes la puissance montante. Elle se consacre pleinement à la mise en application à grande échelle du « free trade ». En Chine par contre, le déclin, les révoltes, une Cour impériale désunie font de l’Empire un pays en voie de décomposition.
Au-delà des escarmouches militaires de 1840-1842 et de 1858-1860 se cache en réalité une invasion rampante, sournoise et redoutable, contre laquelle la Chine va se mobiliser durant près d’un siècle afin de maîtriser une substance illégale et imposée par ses ennemis. En effet, afin de consolider leur hégémonie commerciale en Asie, les Anglais vont élaborer des réseaux de trafiquants pour inonder le marché chinois avec une drogue redoutable : l’opium.
Substance connue de longue date, elle est utilisée massivement par l’Empire Britannique comme une arme de destruction économique, politique et sociale. Cette politique machiavélique ne sera pas menée sans résistance ni réaction chinoises. Cependant, prétexte parfait pour mener deux opérations militaires victorieuses, l’opium est avant tout pour l’Occident le moyen imparable d’imposer à un Empire chinois inaccessible une série de traités que les Chinois continuent de considérer à ce jour comme honteux et scandaleux.
Les origines de l’opium
Depuis les Sumériens et la Grèce antique, l’opium est utilisé pour ses vertus curatives. Turcs et Arabes ayant importé le pavot par la route de la soie, l’opium, fabriqué à partir du pavot, est connu en Chine depuis l’époque des empereurs Tang (VIIe-Xe siècle). Mais, bien que ses propriétés narcotiques soient connues, l’opium est avant tout utilisé à des fins médicinales.
À partir du XIIIe siècle, l’opium est consommé comme drogue et sa consommation se propage rapidement. Par crainte de soulèvements, la Cour impériale chinoise n’ose l’interdire.
Dès le XVIIe siècle les Portugais en font le commerce grâce à leurs possessions en Inde. A Formose, aujourd’hui Taiwan, certains de ses habitants se mettent à mélanger l’opium au tabac et le fument ensemble. Cette pratique se propage au Fujian et au Guangdong où se développe la transformation de l’opium brut en chandoo, substance sirupeuse, débarrassée des produits indésirables et dont l’arôme est ainsi rehaussé, fumée au moyen de la pipe reprise des Hollandais. L’opium s’introduit également depuis l’Assam, Nord-Est indien, où il était fumé de longue date, ou encore par les Chinois établis dans l’actuelle Indonésie. Puisque l’usage du tabac qui allait à l’encontre des convenances et ébranlait les principes confucianistes était interdit depuis1644 en Chine, les Chinois sont enclins à trouver d’autres produits à fumer, dont l’opium. En 1729, la Cour impériale prononce son premier édit prohibant le trafic, bien que l’opium soit déjà très répandu à la Cour.
Cette drogue tirée des capsules du pavot, où réside le suc de la plante, contient de nombreux alcaloïdes : morphine, narcotine, codéine entres autres. L’opium provoque rapidement de véritables ravages dans l’élite chinoise. Les consommateurs sont des lettrés, des fonctionnaires et des intellectuels. Ils deviennent totalement dépendants et se ruinent pour se la procurer.
Pour l’empereur Jiaqing, ses gens « gaspillent leur temps et leur argent, ils échangent leur monnaie d’argent et leurs marchandises contre cette vulgaire saleté venue de l’étranger ».
Une atteinte sanitaire grave réduisait ainsi l’espérance de vie des Chinois adeptes du produit. Les fumeurs d’habitude (8 pipes par jour) mourraient dans les 5 à 6 ans, les fumeurs modestes (1 pipe par jour) après 20 ans. La plupart des opiomanes succombaient avant 50 ans.
Cette substance n’avait cependant pas encore rencontré pleinement son marché. La Compagnie des Indes de l’Empire Britannique aussi efficace que cupide va se charger de sa large diffusion.
La politique de l’Empire Britannique
Vers 1815, on assiste en Extrême-Orient à un renouveau considérable des activités commerciales européennes dominées par l’Angleterre. Singapour est fondée en 1819. Les Anglais souhaitent réaliser en Chine des bénéfices identiques à ceux qu’ils font en Inde. En pleine révolution industrielle, l’Angleterre frappe en vain depuis des années à la porte de l’Empire. Elle achète d’importantes quantités de thé (12 700 tonnes en 1720, 360 000 tonnes en 1830), que seule la Chine produisait alors. Si bien que le déficit de sa balance commerciale ne cesse de se creuser. Leur business model est pourtant innovant. Ils achètent des matières premières à bas prix et revendent au prix fort les produits de leur industrie textile ultra compétitive. Mais depuis le règne de Shunzhi au XVIIe siècle, la Chine est un marché très difficile à pénétrer. Elle exporte du thé et des soieries mais se refuse à acheter des produits occidentaux, à part quelques modestes acquisitions de laine ou de cotonnade.
Dès 1773, les Anglais avaient cependant obtenu le monopole de la vente de l’opium en Chine, activité encore très confidentielle. Pragmatiques et inventifs, ils décident alors de se lancer dans le trafic de stupéfiants à grande échelle. Ils maitrisent le produit puisque le pavot est cultivé au Bengale, au Bihâr et au Malwa, régions indiennes sous contrôle britannique. Vers 1750, les autorités coloniales de la Compagnie des Indes orientales (East India Company) en avaient introduit de force la monoculture provoquant ainsi la ruine de millions d’agriculteurs bengalis. Le gouverneur du Bengale, Warren Hasting, a bien noté la dangerosité du produit pour la société britannique et considère l’opium comme «un produit de luxe et de corruption qui ne devait être autorisé qu’à l’exportation hors des frontières anglaises ».
Pour les narco-investisseurs anglo-saxons, il ne reste donc qu’à briser ou contourner les régulations mises en place par l’administration chinoise impériale.
En 1780, la Compagnie des Indes, à laquelle l’Angleterre avait confié le monopole des transactions, ouvre un dépôt à Lark’s Bay près de Macao.
Au début du 19e siècle, le commerce illicite de l’opium devient sans surprise la principale activité entre l’Inde britannique et la Chine. De vastes réseaux se mettent alors en place dans lesquels la corruption tient une place majeure. Ces réseaux de trafiquants interviennent dans la vie économique et politique du pays puisque la distribution de la drogue est effectuée par des commerçants chinois mais également par des représentants corrompus de l’autorité impériale. L’opium en Chine permet aussi de trouver une valeur d’échange autre que le métal-argent, seul paiement agréé par les Chinois. En 1813, une caisse d’opium indien dont le prix de revient est de 240 roupies se vend 2 400 roupies en Chine. Les bénéfices sont donc considérables.
Au début des années 1820, l’objectif est atteint, la balance commerciale avec l’Occident s’est inversée au détriment de la Chine, en raison de l’importation massive d’opium. L’Angleterre libérale de Lord Henry Palmerston, Premier Ministre, est bien décidée à ouvrir sans restriction le pays non seulement à la drogue, mais aussi aux cotonnades du Lancashire et à la quincaillerie de Birmingham.
Des incidents qui se produisent pendant l’année 1821 incitent les Anglais à adopter une nouvelle tactique. Dorénavant, les bateaux convoyant l’opium stationneront à Lintin, dans la baie de Canton, les transactions se feront à Canton et les partenaires chinois du trafic, les Yaokou, viendront prendre livraison de la marchandise à bord de petites embarcations rapides appelées fast crabs.
Dans les années 1830, le pays est toujours fermé aux étrangers à l’exception d’un quartier du port de Canton. Obligation est faite aux étrangers de passer par l’intermédiaire d’une guilde des marchands, dénommée Co-hong, laquelle a la haute main sur les lieux de transaction qu’elle loue aux étrangers. Elle fournit aussi les pilotes et les interprètes. Le troc cotonnades et opium de l’Inde contre thé et soie de Chine continue son essor.
Alors que le trafic de drogue est à son apogée, les Anglais veulent se passer de ces intermédiaires et vendre directement la drogue, en contrebande, dans les ports du Nord de la Chine. Les comptoirs étrangers installés dans les ports chinois deviennent de véritables Etats dans l’Etat. Le port de Macao reste par ailleurs colonie portugaise.
Les libéraux anglais, partisans du libre-échange, y trouvent leur compte en pouvant lutter contre l’isolationnisme et forcer peu à peu l’Empire chinois à faire partie des circuits marchands mondiaux. Toutefois, la liberté de vendre et d’acheter l’opium, soulève de difficiles questions morales pour l’Angleterre puritaine qui ne sont cependant pas insurmontables vu les enjeux économiques. Grâce à l’interdit et au marché noir, les prix de l’opium et bénéfices retirés des ventes ne cessent de grimper. De plus, l’argent n’est plus déboursé par les marchands anglais, mais il leur revient abondamment car les Britanniques exigent de plus en plus de se faire payer en lingots d’argent, récupérant ainsi le précieux métal qu’ils ont cédé dans le commerce du thé. Alors qu’entre 1800 et 1820, 10 millions de liang d’argent entrent en Chine, en 1831 et 1833, 10 millions en sortent puis 30 millions entre 1851 et 1864. Le thé importé dans le Royaume de Sa gracieuse majesté Victoria permet au gouvernement d’engranger des taxes considérables, dont dépend le budget de l’État anglais et les investissements dans les colonies des Indes. La dilution des responsabilités permet de sauver la face devant l’opinion publique en occultant la nature réelle du commerce de l’opium, légal à Bombay, illégal à Canton.
Finalement, fabriqué à bas prix, l’opium se révèle un commerce bien plus juteux que le textile. En 1839, les revenus commerciaux de l’opium représentent 34% de ceux que la Couronne tire des Indes britanniques. Dès 1830, on évalue le nombre de drogués à 12,5 millions sur environ 400 millions de Chinois. Touchant d’abord les jeunes des familles riches cette consommation se propage surtout parmi la population masculine : 10-20 % des officiels du gouvernement central, 20-30 % des gouvernements locaux, 50-60 % des secrétaires privés et davantage encore au sein du personnel de service.
La progression des importations de caisses de 65 kilos donne une idée du trafic :
1762 : 200
1767 : 1 000
1817 : 4 228
1821 : 5 000
1828 : 18 000
1830 : 18 760
1832 : 20 000
1836 : 30 000
1839 : 40 000
Et très rapidement, l’abus d’opium ne détruit pas uniquement les institutions traditionnelles chinoises. Il est aussi un risque majeur pour la souveraineté de l’Empire, risque qui a cependant de longue date été identifié par les Chinois.
La réaction de l’Empire de Chine
Au début du 19ème siècle, l’empire chinois dirigé par la dynastie Mandchoue des Qing (d’origine Turco-Mongol-Toungouse) connaît un essor économique et démographique sans précédent (213 millions d’habitants en 1770, 332 en 1820, 410 en 1839), suivi cependant des premiers symptômes d’une crise économique et sociale importante. Les historiens évoquent la montée en puissance de la corruption, les excès de la centralisation et surtout les déséquilibres économiques engendrés par la concurrence défavorable entre l’économie chinoise fondée sur la monnaie argent et l’économie mondiale fondée sur la monnaie or contrôlée par les Occidentaux. La dépréciation constante de l’argent par rapport à l’or est en effet l’un des grands phénomènes dominant l’histoire de l’économie de l’Asie orientale aux XVIIIe et XIXe siècles. Cet empire à majorité Han gouverné par une minorité Mandchoue est de plus en plus difficile à contrôler. Les révoltes paysannes sont quasi-permanentes à cause de la famine, de la pression fiscale et des inégalités. Les mafias locales font régner la terreur et concentrent le pouvoir en l’absence d’un gouvernement incapable d’assumer ses responsabilités.
L’opium est donc une fragilité de plus, parfaitement identifiée par le pouvoir central. Pourtant, le pays entier est interdit aux étrangers et les importations strictement encadrées. Seul Canton reste ouvert aux commerçants étrangers, à condition qu’ils se soumettent au Co-hong, cette guilde des marchands qui fixe à son gré les prix et les volumes. Dès 1729, l’empereur Yong-Zheng a en effet promulgué un édit interdisant l’importation de la drogue. Et de 1729 à 1836, l’administration impériale a émis près de quarante décrets contre l’opium.
En 1813, l’empereur Jiaqing découvre que nombre d’eunuques et d’officiers de sa Garde se livrent à l’opiomanie. La répression s’abat sans faiblesse sur leur tête.
Mais le pouvoir impérial, déjà très faible, se révèle en fin de compte incapable de lutter contre les narcotrafiquants britanniques. Les paysans tentent de lutter contre l’invasion étrangère. Malheureusement, le pouvoir impérial ne soutient pas leur effort, s’en remettre à de simples paysans pour rétablir l’ordre eût été un aveu de son impuissance.
Trois lignes s’affrontent donc parmi les conseillers de l’empereur : mesures radicales d’interdiction, légalisation des importations ou absence de réglementation. Les partisans de la ligne dure sont minoritaires. L’empereur opte toutefois pour l’un de ses rédacteurs dont il a particulièrement apprécié le texte. Lin Tse-Hou est nommé haut-commissaire à Canton, avec mission de supprimer les sources du trafic.
Le tournant de 1839
Lin Tse-Hou, militaire et érudit, écrit à la reine Victoria pour lui demander fermement de faire cesser le trafic d’opium qui prend des proportions considérables. En réponse, «la très pure et très chrétienne reine Victoria» fait savoir que l’Angleterre ne peut abandonner une source de revenus aussi importante.
La situation entre les deux puissances se dégrade rapidement : le 26 février 1839, Lin Tse-Hou ordonne de faire pendre un trafiquant chinois devant les représentations cantonaises des commerçants britanniques. Malgré l’hostilité d’une partie corrompue des élites chinoises, Lin tient bon et organise la lutte dans la ville et la province de Canton. Il fait arrêter 1700 trafiquants de drogue chinois et confisque 70 000 pipes d’opium. Il publie un arrêté où les marchands s’engagent à ne pas transporter d’opium et à laisser inspecter leurs bateaux. Cette tracasserie supplémentaire précède l’arrivée, en juillet 1839, des « 39 règles » dont les principales mesures irritent particulièrement le gouverneur Elliot, représentant de la couronne anglaise en Chine : peine de mort aux contrevenants, 18 mois accordés aux victimes pour désintoxication et peines appliquées aux étrangers ce qui viole le principe d’extra-territorialité si cher aux Anglais. Après ces multiples pressions, Elliot n’a d’autres choix que d’autoriser la remise de 20 290 caisses d’opium aux autorités chinoises. Elles sont ouvertes puis avec l’aide de la population, l’opium est réduit en pâte, délayé dans de grandes cuves installées sur les plages et jeté à la mer le 7 juin 1839. Le préjudice de deux millions de livres sterling fera l’objet de vives discussions au Parlement de Londres l’année suivante.
Dans ce contexte de lutte contre la contrebande, les Anglais doivent quitter non seulement Canton mais aussi Macao. Beaucoup d’entre eux se réfugient dans des bateaux au large. Mais ils reçoivent des renforts navals et le trafic peut reprendre rapidement dans quelques îles sous la protection de l’artillerie des frégates britanniques Volage et Hyacinthe.
L’Angleterre se prépare à une guerre que l’on sait conduite essentiellement pour protéger les intérêts des trafiquants de drogue. La destruction des caisses d’opium du 7 juin 1839 fournit le prétexte attendu pour déclencher les hostilités.
Première guerre de l’opium
Le 4 septembre 1839 a lieu la première bataille navale de la guerre de l’opium dans la rade de Hong Kong. Les navires chinois sont complètement débordés par la supériorité technique de la marine anglaise. Un autre affrontement à Chuenpi, montre la faiblesse des jonques de guerre chinoise. Lin Tse-Hou interdit le port de Canton aux navires britanniques en décembre 1839, l’empereur le soutient et décide de « fermer pour toujours » Canton aux Britanniques en janvier 1840.
Sous la pression des lobbys du textile et de l’opium, avec l’accord du Parlement, le Premier ministre Palmerston envoie une lettre au gouvernement de l’Inde afin de préparer l’escadre d’un corps expéditionnaire : 16 vaisseaux de ligne, 4 canonnières, 28 navires de transport, 540 canons et 4 000 hommes. L’état final recherché est très clair : obtenir l’indemnité pour l’opium confisqué, pour le règlement de certaines dettes des marchands du Co-Hong et pour celui des frais de l’expédition, faire ouvrir les ports de la côte, Canton, Amoy, Fuzhou, Ningbo, Shanghai au commerce britannique libéré du système du Co-hong. La mission aussi : mettre en place le blocus de Canton, contrôler les embouchures du Yang-Tsê et du fleuve Jaune afin de paralyser le commerce extérieur chinois et s’emparer de Pei-Ho, aux portes de la capitale.
L’escadre arrive donc au large de Canton en juin 1840. Un croiseur britannique bombarde Canton et occupe l’archipel voisin des Chousan : le célèbre concept de « diplomatie de la canonnière » est né. Les britanniques attaquent Canton mais sans succès, car Lin a fait planter des pieux retenus par des chaînes dans le port pour empêcher les bateaux d’accoster. Une milice efficace défend la ville.
Les Britanniques conquièrent alors une île de pêcheurs devant le delta de la rivière des Perles, juste en face de Canton, nommée « port parfumé » (Hong Kong) et en font une tête de pont. Les combats commencent réellement en juillet. Les frégates Volage et Hyacinthe défont 29 navires chinois.
Les Britanniques capturent le fort qui gardait l’embouchure de la rivière des Perles. La cour chinoise prend peur, Lin Tse-Hou tombe en disgrâce. Condamné à l’exil en Lli, lugubre région de l’Ouest à la frontière Kazakh, il est remplacé par un aristocrate, Qishan. Réhabilité en 1845, Lin Tse-Hou ne sera cependant jamais devenu le Mustafa Kemal de l’Empire Chinois, capable de stopper et défaire les Européens.
Des négociations s’engagent alors à Canton : Qishan fait démolir les fortifications de Lin, dissoudre la milice en novembre 1840 et réduire le nombre de soldats. Les Britanniques revendiquent la reprise du commerce, le remboursement des stocks d’opium détruits et Hong Kong pour sa position stratégique et son port en eaux profondes. Qishan refuse. Les Britanniques tentent de le faire plier en attaquant et s’emparant de quelques ouvrages de fortification. Qishan prend peur et accepte les revendications.
La cour chinoise pense que l’accord négocié par Qishan ne concerne que la reprise du commerce. Lorsqu’il apprend que les exigences des Européens vont bien au-delà, l’empereur décide de destituer Qishan et déclare la guerre aux Britanniques le 29 janvier 1841. L’empereur remplace Qishan par Yishan.
En 1841, sur le plan militaire, les Chinois subissent revers sur revers, sauf lors de l’engagement de milices. Yishan met plusieurs semaines à arriver à Canton. L’assaut qu’il lance contre les Britanniques est repoussé et les Chinois se replient à l’intérieur de la ville. Dans la province de Canton, les Britanniques se rendent vite maîtres des endroits stratégiques : fin 1841, prise de Chenhai, puis de Ningbo; en 1842, prise de Chapu, de Wusung, de Shanghai, de Chingkiang.
Les Britanniques veulent encore faire pression sur les Chinois afin d’obtenir d’avantage. En août 1842, une escadre britannique remonte le Yangzi Jiang jusqu’à Nankin, obligeant le gouvernement de l’empereur Tao-kouang à capituler et à signer le traité de Nankin le 29 août 1842. Le régime mandchou panique, au moment où tombe Nankin, car sa survie est en jeu. Il dépêche des négociateurs. Yishan demande l’armistice et une convocation est signée le 27 mai 1841. Elle engage les Chinois à racheter Canton pour 6 millions de dollars aux Britanniques dont un million le jour même. Mais elle repose sur un double malentendu utilisé par les diplomates britanniques : les Chinois considèrent cette action comme un prêt commercial alors que les Britanniques n’ont renoncé ni à l’indemnisation des stocks d’opium ni à Hong Kong. Ce traité donne aux Britanniques le libre commerce de l’opium, la fin de l’obligation de négocier uniquement avec les Co-Hong et surtout la concession de l’île de Hong Kong qui ne sera rétrocédée à la Chine que 155 ans plus tard, en 1997.
La victoire facile des forces britanniques affecte gravement le prestige de la dynastie Qing et contribue au déclenchement d’une très grave révolte, la rébellion Taiping (1850-1862).
Deuxième guerre de l’opium
L’insurrection des Taiping qui fait presque basculer l’Empire, est le signe que le paysan chinois ne peut plus supporter l’insuffisance et la concentration des terres, l’accroissement des charges fiscales, la dépréciation de la monnaie cuivre qui touche durement les plus pauvres, la transformation des petits exploitants en ouvriers agricoles.
En 1854, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis contactent les autorités chinoises et demandent des révisions des traités pour pénétrer sans résistance dans Canton, étendre le commerce à la Chine du Nord et le long du fleuve Yangzi, légaliser le commerce de l’opium et traiter avec la cour directement à Beijing. La cour impériale rejette toutes les demandes de révision.
Le 8 octobre 1856, des officiers chinois abordent l’Arrow, un navire anglais enregistré à Hong Kong sous pavillon britannique, suspecté de piraterie et de trafic d’opium. Ils capturent les douze hommes d’équipage et les emprisonnent. Les Britanniques demandent officiellement la relaxe de ces marins en faisant valoir la promesse par l’empereur de la protection des navires britanniques, sans succès. Les Britanniques évoquent alors l’insulte faite au drapeau britannique par les soldats de l’Empire Qing.
Ils décident d’attaquer Canton et les forts alentours. Ye Mingchen, alors gouverneur des provinces du Guangdong et du Guangxi, ordonne aux soldats chinois en poste dans les forts de ne pas résister. Les navires de guerre américains bombardent Canton. Mais population de Canton et soldats résistent à l’attaque et forcent les assaillants à battre en retraite vers Humen. Le parlement britannique exige de la Chine réparation pour l’incident de l’Arrow et demande à la France, aux États-Unis et à la Russie de participer à une intervention multinationale. La Russie seule reste à l’écart.
Le 28 décembre 1857, les flottes combinées de l’Angleterre et de la France prennent d’assaut Canton. Le 16 mars 1858, l’amiral français Rigault de Genouilly, quitte Canton avec l’escadre pour la Chine du nord. Le 20 mai 1858, agissant de concert avec les Anglais, il s’empare des forts de Ta-Kou à l’embouchure du Peï-ho dans le Petchili avant de remonter le Peï-ho jusqu’à Tien-Tsin en direction de Pékin.
Le 24 juin 1859, les forces franco-anglaises tentent de pénétrer dans Tianjin et se font refouler. Le 17 juillet 1860, ils débarquent sur le sol chinois et prennent Tianjin le 2 septembre 1860. Le 5 octobre, anglais et français campent sous les murailles de Pékin et pillent le « Palais d’été ». Le 13 octobre, Pékin tombe. Le 17 octobre, le « Palais d’été » est incendié. Le 24 octobre 1860, la Chine capitule et signe la Convention de Pékin.
Traités et suites
Le traité de Nankin, signé en août 1842 à l’issue de la première guerre de l’opium, avait déjà accordé aux Anglais des privilèges commerciaux considérables et l’île de Hongkong.
En 1860, la Convention de Pékin fait suite à une longue liste de traités qualifiés par les Chinois de « traités inégaux ». Onze ports, dont Canton, Shanghaï, Hankou et Tianjin, sont ouverts au commerce. Les droits de douane sont limités à un maximum de 5 %. Les Occidentaux ont le droit de circuler à l’intérieur du pays et acquérir des propriétés foncières sans payer plus de 2,5 % de taxes. La Grande-Bretagne acquière la presqu’île de Kowloon en 1860 et obtient en 1898 un bail de 99 ans sur les Nouveaux Territoires (952 km² constituant 80 % du territoire Hongkongais) et sur 235 îles au large de Hongkong.
Les révoltes paysannes finiront par ébranler l’empire qui devient une république le 12 février 1912, avec l’abdication du dernier empereur de Chine, Puyi, alors âgé de six ans.
À l’exception peut-être des Incas et des Indiens d’Amérique confrontés à l’alcool, les guerres de l’opium constituent un premier « modèle » de l’action d’une substance psychotrope qui se trouve imposée par une nation à une autre. Dans les années 1900, les ravages de l’opium sont considérables puisque près de 25 millions de personnes dans le monde sur 1 milliard sont consommateurs réguliers, à comparer avec la situation en 2000 où ce sont 25 millions de personnes parmi 7 milliards qui sont dépendants des drogues.
En Chine, pillages, famines, répressions, durent un siècle, de 1840 à 1949. Les chercheurs anglo-saxons évaluent le nombre des victimes dans une fourchette oscillant entre 120 et 150 millions. L’arrivée de Mao au pouvoir, avec son effroyable bilan de 80 millions de morts, ne met pas non plus fin aux souffrances des Chinois.
169 pas
En 2009, pour marquer le début de la parade militaire à l’occasion du 60ème anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, les gardes d’honneur effectuent exactement 169 pas sur la place Tiananmen.
Ils représentent les 169 années passées, de 1840 à 2009. « Pas à pas, les hontes de la Nation sont lavées, avec la lutte d’innombrables héros qui ont précédé notre époque » explique le Beijing News, faisant référence, entre autre, à la guerre de l’Opium. Les Chinois semblent vouloir oublier les atrocités de Mao puisqu’en 60 ans de pouvoir, le Parti Communiste « de marché » a non seulement fait de leur nation de paysans soumis et affamés, la première puissance industrielle et financière du début du XXIème siècle, mais il a aussi redonné à la Chine la fierté et la souveraineté perdue à Nankin.
P.S. Article de France 2 sur ce dernier sujet, et vidéos :
(au tout début – je suis preneur si quelqu’un trouve une meilleure vidéo sur ces 169 pas)
Ceci est aussi intéressant :
(sympas ces soldats…)
(sympas aussi ces soldates…).
Le reste de l’Histoire est à écrire…
Le blog d'Olivier Berruyer: http://www.les-crises.fr/les-guerres-de-l-opium-2/