Les promoteurs du chaos. Par Michel Koutouzis sur Agoravox.
Pourquoi tant d’histoires et de controverses sur la manifestation du Front de Gauche et le discours de Mélenchon ? Existe-t-il un européen qui pense vraiment que les choses vont pour le mieux ? Que la « crise permanente » s’estompe, que les mesures de rigueur budgétaire ont un effet positif aussi bien pour le citoyen que pour les Etats ? Existe-t-il un citoyen européen qui croit que l’on sait vraiment où l’on va ? Existe-t-il un citoyen européen qui est persuadé que les mesures de compétitivité visant en tout premier lieu le prix du travail ne vont pas l’appauvrir, que le chômage va se résorber, que quelqu’un va enfin mettre un frein aux abus du secteur financier ? Que la corruption institutionnelle s’arrêtera ? Que l’on va cesser de « sauver » les banques avec l’argent de leurs clients et/ou des contribuables, sans jamais toucher les « investisseurs » ? Que les banques qui fraudent seront réellement punies et non pas passer des accords négociés qui se résument à des sommes ridicules par rapport aux bénéfices du délit ? Existe-t-il toujours quelqu’un qui croit au débat « rigueur – relance » ? Qui croit que le politique, dès lors qu’il s’inscrit dans la logique du marché et de la dette a (ou aura) une quelconque marge de manœuvre ? Et que, donc, toute « solution » reste pénible pour le grand nombre tout en perpétuant la dette ?
En fait, le rétrécissement du discours politique, qui vise à réduire à l’extrême les choix tout en faisant semblant de « gérer » la fatalité, se résume à une question digne d’un interrogatoire policier face à un terroriste : et vous que proposez-vous ? Comme si l’incohérence, l’arbitraire, le pêché originel, se situait de son côté.
Les incohérences, les contradictions, les réactions spasmodiques, les mensonges et les prévisions jamais réalisées que l’on vit depuis 2007 ne sont-elles pas pourtant du côté des dirigeants ? Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée disait Alfred de Musset. Or, en ce qui concerne la gestion de la crise on a dit (et fait) tout et son contraire. A condition de ne jamais mettre en cause le système financier qui régit notre vie. Une fois les banques sont trop petites, une fois trop grandes. Que l’Irlande triche ouvertement quant à l’utilisation des fonds octroyés par la Commission, on « prend note ». Que la Grèce en fasse de même, et voilà que les foudres sont lancées, que les « punitions » et les qualificatifs adéquats pleuvent. On déclare la fin des paradis fiscaux, et on découvre, cinq ans plus tard, qu’ils pullulent, qu’ils n’ont jamais été aussi puissants. En 2009, Christine Lagarde, alors ministre de l’économie, « voyait » la fin de la crise. Aujourd’hui, présidente du FMI, elle « constate » une « rétraction globale de l’économie », euphémisme qui cache une stagnation/ récession de l’ensemble de la zone euro. Quant à monsieur Barroso, il déclare le matin que « tout euro qui va au remboursement de la dette signifie moins d’écoles, d’hôpitaux… », et le soir il se dit « solidaire à la politique de Berlin, juste, sérieuse et nécessaire… ». Comme on dit en Grèce : et la tourte entière et le chien rassasié. On pourrait faire un catalogue raisonné de l’œuvre surréaliste de nos gouvernants, étatiques et supra étatiques, mais là n’est plus la question. Résumons simplement, avec un autre proverbe grec, l’attitude terrorisante des nos experts gouvernants : l’âne accuse le coq d’avoir une grosse tête.
Le rétrécissement du débat politique appelle généralement des solutions simples et poujadistes. La crise de l’Euro et de l’Europe génère des contractions idéologiques, un « retour aux sources » forcément nationaliste, xénophobe, raciste qui s’empare des effets et non des causes. L’Histoire hoquette. Quoi de plus normal que la poussée électorale de l’UKIP en Grande Bretagne, la montée du FN en France, la popularité de l’Aube dorée en Grèce, la victoire du repli identitaire en Hongrie ou des élections rocambolesques en Italie ? Et ce n’est pas au mode de fonctionnement de l’Europe elle-même que l’on pourrait trouver la parade : elle cumule inefficacité et déficit démocratique. Elle ne peut pas agir contre les politiques liberticides en Hongrie et impose à Chypre des mesures d’exception dignes d’une dictature. Des technocrates parlent aux technocrates. Loin du monde réel et de la dure réalité du quotidien, elle rêve de réussite en Grèce et de succès en Espagne. Quant à son autonomie, elle n’est plus qu’une blague circulant le long des couloirs du parlement européen.
Pourquoi donc tant de réactions au discours de Mélenchon en France, à la politique de Tsipras en Grèce, aux manifestations populaires en Espagne ou au Portugal ? Parce que, justement, ils ne rétractent pas le discours politique, entrouvrent des « possibles », contestent les causes et non pas les effets. Considérer que la financiarisation de la société, que l’aliénation de la classe politique aux intérêts du marché, n’est pas un sens unique, une fatalité, est en soit une proposition cohérente, digne et humaniste. Si elle est utopiste, c’est par ce que sans utopie, sans espoir l’Europe sombrera dans l’entropie. Déjà, elle est ce matin financière mais ce soir elle sera politique. Car, quelle que soit la forme prise de la contestation, les pays européens deviendront ingouvernables.
Héraclite disait : sans espoir pas de changement. En critiquant l’espoir et l’espérance d’un anti-discours républicain, c’est Manuel Vals qui devient l’apôtre du chaos, pas Mélenchon.
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