Que claironne cette excellente personne dans cet article interminable (un édito se devrait, pourtant, d'être court) ? Qu'il faut absolument intervenir militairement en Syrie, même sans aval des Nations unies, ce qui fut, rappelons-le, le cas quand la coalition bushiste envahit l'Irak.
A l'évidence, l'avis contraire ne lui inspire aucun respect (elle a d'ailleurs refusé tout débat, c'est plus simple) puisqu'elle l'assimile à une complicité « cynique » avec les assassins (pourquoi pas une « complicité objective », comme au bon vieux temps !). Ainsi le pape, qui condamne toute intervention, est complice. Ne rendons pas la pareille à Mme la Directrice. La prise en compte démocratique des arguments de l'autre nous l'interdit. Donc, on ne saurait a priori diaboliser la position interventionniste. Nous devons admettre qu'elle est bien intentionnée. Et peut-être même juste. A cette condition, cependant : Natalie Nougayrède assumera-t-elle les éventuelles conséquences de ses recommandations ?
Car, enfin, nous traînons derrière nous un sacré arriéré de folies passées ensuite par profits et pertes. Ça a mal tourné ? On n'y est pour rien ! La catastrophe cataclysmique irakienne ? Aucun regret, aucune autocritique. Les retombées maléfiques de l'aventure libyenne ? BHL est prêt à remettre ça. L'évacuation lamentable de l'Afghanistan à feu et à sang, Al-Qaida confortée ? De l'histoire ancienne !
Par pitié, ne nous répétez pas, comme ce juge de l'affaire Dreyfus : « Ces questions ne seront pas posées. » Quelles questions ? Celles-là : si une intervention fait sauter le chaudron syrien ; si les jihadistes radicaux en profitent pour envahir l'espace ainsi dégagé et régler leurs comptes à leur façon ; si on assiste à un massacre généralisé des alaouites, des chrétiens, des laïcs et des Kurdes ; si Al-Qaida, comme elle l'a annoncé, se joint à l'offensive occidentale ; si cette horreur provoquait un sauve-qui-peut de millions de civils, comme aujourd'hui de ces Kurdes que les islamistes radicaux égorgent ; si un affrontement général entre sunnites et chiites embrasait la région et faisait voler le Liban en éclats... Dans ce cas, madame la Directrice, assumerez-vous ? Ou vous en laverez-vous les mains ?
Une chute de Bachar al-Assad, de l'affreux Bachar al-Assad, nous sommes prêts à en fêter l'annonce avec vous. Champagne ! Mais vous fêteriez-vous, tout autant le succès des Saoudiens et des Qataris, à qui on ne refuse plus rien quoique leur régime soit aussi totalitaire que le syrien et plus rétrograde : l'éradication régionale de toute alternative démocratique et laïque ?
A l'inverse, si ce que vous recommandez permet de pacifier la région, apporte le bonheur aux Syriens et conforte les idées de démocratie et de laïcité, je vous jure que je vous rendrai hommage. Que je ne cesserai de vous rendre hommage. Une chance de vous convaincre ? Aucune. Voilà, en effet, ce que vous écrivez : « L'emploi d'armes chimiques à grande échelle par le régime syrien le 21 août ne fait aucun doute » et, plus loin, « Nul ne doute [nul ?] que si, sur place, les inspecteurs de l'ONU ne trouvent pas de preuves, c'est que le régime syrien s'est employé à les détruire » (...)
Lire l'éditoral du Monde, Le crime de trop appelle une riposte, par Natalie Nougayrède