Notes d'Athènes : « Une odeur de feu de bois ».
Effet étrange de ce « nouveau » mode de chauffage dans le paysage urbain : on trouve un peu partout, sur des bords de trottoir, des terrains inoccupés, des échoppes ou des stands qui vendent du bois de chauffage un peu partout, qui furent parfois d’anciens points de vente de plantes d’intérieur. Les rues, la plupart du temps vides et mal éclairées, prennent une vague allure semi-rurale.
Mais à cette odeur de feu de bois peut parfois se mêler une autre, autrement plus sinistre : le 9 décembre, près de Kavala, dans le nord du pays, trois enfants de cinq, sept et quatorze ans sont morts dans l’incendie causé par un poêle à bois laissé sans surveillance. En attendant les morts causés par le froid d’un hiver qui s’annonce rigoureux (contrairement à ce que pensent la plupart des étrangers, habitués à ne voir que les îles et zones côtières), la plus grande partie du territoire grec, qui abrite près de la moitié de la population, connaît des hivers de type continental (en cela aussi Angelopoulos a su capter la vérité profonde du paysage grec, intérieur et extérieur).
Le seul commerce qui semble prospérer à Athènes, à part celui du bois de chauffage, est celui de l’or. Ce sont les seules enseignes récentes, pimpantes et agressives, dans des rues où près de la moitié des commerces ont mis la clé sous la porte. Les pauvres, plus exactement : les paupérisés, sont invités à ce débarrasser de bijoux de famille et autre signes d’une aisance révolue. Mais ce commerce est également à l’affût d’autres emplacements : ainsi la chaîne Carrefour en installé dans certains de ses supermarchés, juste à côté des caisses, rétablissant ainsi partiellement la fonction de l’or comme moyen de paiement. Jacques Sapir a par ailleurs calculé qu’au moins un tiers de l’économie grecque est hors échange monétaire (troc, économie de subsistance, etc).
Ai revu D. au comité central de Syriza pour la première fois D. depuis deux ans. Elle travaille dans un cabinet de notaire depuis longtemps et vit seule son fils, qui a dix-neuf ans maintenant. Son employeur a vu son chiffre d’affaires diminuer des trois quarts. Il a refusé de diminuer son salaire, mais l’a fait passer à mi-temps. Elle essaie donc de survivre avec 500 euros par mois. Pendant le vote pour l’exécutif de Syriza, elle a passé une bonne demi-heure à me raconter comment elle a rétabli chez elle le courant avec l’aide des militants de DEI de son quartier. Elle a enchaîné sur les stratagèmes pour se déplacer en métro sans ticket, souvent en récupérer les tickets toujours valides des voyageurs qui sortent des stations (tout billet est valable 90 minutes pour un trajet dans la même direction). Comme son fils, qui a essayé de passer en juin le concours des Beaux-Arts (sans prépa, inabordable).
Plus un seul café place Omonoia. Le café Néon, immortalisé dans un célèbre diptyque de Yannis Tsarouhis, cache sous des cartons sales son intérieur décrépi, et néanmoins classé. L’ancienne pâtisserie-laiterie Alexandros, point d’arrivée classique de nos périples noctambules jusqu’à la fin des années 1980, transformée par la suite en boulangerie faisant partie d’une chaîne, abrite désormais le Mont de Piété.
Quotidiennement, les journaux publient de nouvelles listes des biens publics proposés à la privatisation. Il a été question de vider les îles de moins de 150 habitants, une bonne douzaine, en transférant leur population, officiellement pour faire des économies. En réalité, le Mémorandum prévoit la vente de toutes les îles inhabitées. Il prévoit également la mise sous séquestre de la totalité des biens publics, sans aucune restriction, en cas de non-recouvrement de la dette. Le mot d’ordre de la Bild Zeitung « privatiser l’Acropole » est en passe de se réaliser.
Pendant la pause du comité central, je pars avec deux camarades passer les commandes d’usage au café d’en face. La petite salle est remplie d’hommes, manifestement usés, qui peuvent avoir n’importe quel âge entre 40 et 55 ans, buvant pour la plupart des petits verres de ouzo, accompagné d’un mézé frugal. La télé transmet un match de foot. Un relatif silence s’installe pendant que nous attendons les cafés et les sandwichs. Puis un homme prend la parole, sous le regard approbateur des autres, et s’adressant à nous dit avec solennité : « dites à Alexis (Tsipras) que maintenant il faut vraiment foncer ».
Athènes, le 17 décembre 2012
Stathis Kouvelakis
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