Pendant la reconstruction, la plupart furent ensuite confrontés au silence de leurs parents : ex-colonel de la Wehrmacht ruiné comme sa patrie, le père de l'historienne parviendra à se hisser jusqu'aux sommets du capitalisme rhénan, sans jamais dévoiler l'origine de ses cauchemars récurrents ou l'étendue de son attachement à Hitler.
Ambivalences coupables
Lucide sur «le profond malheur que les Allemands s'étaient attiré par leurs crimes», l'auteur n'élude aucune responsabilité ; c'est même en toute franchise qu'elle expose sa volonté d'intégrer dans la résistance ce pater familias au rigorisme brutal, et semble-t-il coupable d'inceste.
Mais enfouies au cœur de chapitres évoquant avec force la «honte» et le «déni» d'un peuple surgissent les traces d'une revendication victimaire sans lien avec celle, légitime, des enfants de la guerre : Ingrid Brunstein assure ainsi qu'Américains et Français ont «laissé mourir de faim» près de «1 million de prisonniers allemands», s'appuyant là sur les travaux controversés du Canadien James Bacque - que Henry Rousso qualifia d'«escroquerie intellectuelle».
Selon les estimations les plus pessimistes, 70 000 hommes périrent sur un total de 1,2 million de captifs, dans des conditions certes ignobles, mais ne relevant pas d'un système.
Dès lors, l'exagération à laquelle souscrit l'auteur associe son récit au florissant courant historiographique allemand qui, depuis une vingtaine d'années, aboutit à mettre sur un même plan la barbarie du Reich, les exactions et les bombardements alliés, en faisant étrangement écho à la mémoire néonazie : nourrie de ces lectures, Brunstein n'hésite d'ailleurs pas à employer le terme d'«holocauste» pour décrire les ruines de Leipzig (pilonné entre 1943 et 1944), et définit comme des «camps de la mort» les camps de prisonniers gérés par la France et les Etats-Unis.
Pour toutes ces raisons, son livre révèle les ambivalences coupables d'une génération longtemps muette.
Ici pas de survivants, d'Ingrid Brunstein, L'Aube, 198 p., 17,90 €