PORTUGAL • Pourquoi l'Allemagne offense l'Europe José A. da Silva Peneda. |
José A. da Silva Peneda |
- 8 avril 2013
Les pays européens seraient-ils jaloux de l'Allemagne, tel que l'a affirmé le ministre des Finances outre-Rhin ?
Pas du tout, répond dans une lettre ouverte le président du Conseil économique et social portugais à Wolfgang Schäuble.
Vous avez affirmé qu'il y a des pays de l'Union européenne qui sont jaloux de l'Allemagne. La première observation que je souhaite faire, Monsieur le Ministre, c'est que les relations entre Etats ne se régissent pas par des sentiments de cette nature. Les relations entre Etats sont guidées par des intérêts.
Je voudrais vous dire également, Monsieur le Ministre, que comparer l'attitude de certains Etats à des enfants qui, à l'école, sont jaloux des meilleurs élèves est, au minimum, offensant pour des millions d'Européens qui ont fait des sacrifices brutaux ces dernières années, avec une réduction très significative de leur pouvoir d'achat. Ils souffrent d'une récession économique ayant déjà conduit à la fermeture de nombreuses entreprises, à des niveaux de chômage inacceptables et à une perte d'espoir dans l'avenir.
"Nous avions déjà compris votre position"
Vous avez ajouté : "Les autres pays savent très bien que nous assumons nos responsabilités." On apprend donc que la nouvelle façon de qualifier le concept de pouvoir est de l'appeler responsabilité ! Et vous avez encore dit: "Chacun doit mettre son budget en conformité, chacun doit être compétitif sur le plan économique". A cet égard, j'aimerais vous informer que nous l'avions déjà compris, nous le faisons avec beaucoup de sacrifice, sans tergiverser et selon les règles qui nous ont été imposées.
Quand le ministre des Finances du plus puissant Etat de l'Union européenne fait des affirmations de cet acabit, il devient l'un des responsables du fait que le projet européen soit toujours plus près de la fin. Je vous explique. Le grand objectif du projet européen a été de garantir la paix en Europe. La paix et la prospérité en Europe n'ont été possibles que parce qu'on a tenu compte, s'agissant du développement du projet politique de l'intégration européenne, de la grande diversité d'intérêts entre pays, des différentes cultures et traditions et des différents regards sur le monde. Il y a toujours eu la volonté de conjuguer cette diversité, ces nuances et ces différences entre Etats-membres dans un ensemble de valeurs communes.
"Une attitude révoltante"
Votre déclaration remet tout cela en cause. Je voudrais vous dire que le sentiment de jalousie est normalement associé à une culture de confrontation et n'a rien à voir avec une autre culture, celle de la coopération. Avec cette déclaration, vous voulez subtilement renvoyer aux autres Etats la responsabilité de la confrontation qui s'annonce. Cette attitude est révoltante, inacceptable et doit être dénoncée.
Votre déclaration, outre qu'elle révèle une grande ironie, propre à ceux qui se sentent supérieurs aux autres, n'est en rien compatible avec la culture du compromis qui a été le socle essentiel de la construction du rêve européen des soixante dernières années. En vous exprimant de la sorte, vous contribuez de façon objective à dévaloriser et même à annihiler tous les progrès réalisés en Europe en vue de consolider la paix et la prospérité, et ce en se fondant sur la liberté et la solidarité. Avec cette déclaration, vous montrez que cet esprit européen n'existe plus à vos yeux.
L'intérêt de l'Allemagne
Je sais que l'unification allemande est venue altérer de manière très profonde les relations de pouvoir dans l'Union européenne. Mais ce qui ne devrait pas se produire c'est que ce pouvoir accru vienne mettre en cause la méthode communautaire basée sur la recherche permanente de compromis adoptée avec succès pendant des décennies. Le chemin qui a été choisi dernièrement est à l'opposé de cela. C'est une erreur qui aura des conséquences dramatiques pour toute l'Europe.
Il suffit de se pencher sur l'histoire pas très éloignée pour le comprendre. Si les altérations politiques et institutionnelles nécessaires à l'Europe se faisaient en se basant presque exclusivement sur les intérêts de l'Allemagne, ce serait une très mauvaise idée. Une négation de l'esprit européen. De la même manière, le développement du sentiment antiallemand ne servirait pas l'intérêt européen.
Déclarations tonitruantes
Des efforts urgents sont nécessaires, visibles par l'opinion publique, afin de montrer que l'Union européenne ne peut survivre que si les modifications qui ne peuvent attendre, particulièrement dans la zone euro, garantissent une véritable convergence dans les prochaines années entre les économies des différents Etats-membres.
Vos déclarations creusent encore plus le fossé entre ces deux visions [rapprochement à marche forcée de l'Allemagne ou convergence] et, pour cette raison, comme l'a récemment indiqué Jean-Claude Juncker [le Premier ministre luxembourgeois] à une revue de votre pays, les fantômes de la guerre que nous pensions définitivement enterrés semblent apparemment seulement endormis. Avec cette déclaration, vous semblez vouloir les réveiller.
Source : Courrier international