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Le blog de Lucien PONS

QUE RETENIR DU REFERENDUM DU 7 AVRIL EN ALSACE ? Analyse du M'PEP.

29 Avril 2013 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #La nation .

Par le Mouvement politique d’émancipation populaire (M’PEP).

Le 13 avril 2013.

 

Les électeurs alsaciens, lors du référendum du 7 avril, ont rejeté la fusion des deux conseils généraux du Haut et du Bas-Rhin et du conseil régional pour créer la « collectivité territoriale d’Alsace ». Dans le Bas-Rhin le « oui » obtient 67% des exprimés, mais il n’obtient que 44% dans le Haut-Rhin. Le « oui », en outre, pour être valable, devait dépasser 25% des inscrits dans tous les départements, ce qui n’a pas été le cas dans le Bas-Rhin (23%) et encore moins dans le Haut-Rhin (16%).

Ce résultat est d’autant plus remarquable que toutes les élites et la presse locales avaient mené campagne pour le « oui » en organisant le silence sur les arguments du « non ».

Cet excellent résultat va ralentir la stratégie eurolibérale de régionalisation. Il servira de point d’appui pour clarifier les ambitions des oligarques européens et de leurs agents en France, qui sont généralement mal comprises.

 A.- Un record d’abstention dont une partie ne relève pas du « désintérêt » des électeurs mais d’un choix politique parfaitement conscient
 1.- Il est logique que l’abstention soit plus élevée pour un référendum local que pour un référendum national

L’abstention, le 7 avril, a concerné 62,82% des inscrits dans le Haut-Rhin et 64,89% dans le Bas-Rhin. Elle est évidemment beaucoup plus importante que lors du référendum du 29 mai 2005 sur le traité constitutionnel européen où elle n’avait concerné que 31,65% des inscrits dans le Haut-Rhin (le « non », déjà, l’avait emporté avec 50,28%) et 31,75% dans le Bas-Rhin. Même chose par rapport au référendum du 20 septembre 1992 sur le traité de Maastricht qui avait donné 29,01% d’abstentions dans le Haut-Rhin et 29,99% dans le Bas-Rhin.

Ces deux derniers référendums, en revanche, étaient nationaux. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les abstentions soient plus élevées lors d’un référendum local que lors d’un referendum national, les enjeux n’étant pas les mêmes. Cette remarque, toutefois, ne saurait devenir un principe, car on ne voit pas au nom de quoi des référendums locaux devraient moins intéresser les citoyens que des référendums nationaux. Si les citoyens se passionnaient pour une question locale, ils se précipiteraient certainement aux urnes.

 2.- La stratégie et la tactique suivies par Philippe Richert, visant à dépolitiser le scrutin, ont alimenté l’abstention

Le président du conseil régional d’Alsace, Philippe Richert (UMP), et ses amis, portent une responsabilité écrasante dans l’échec du référendum qu’ils ont eux-mêmes souhaité. Les explications fournies par les partisans du « oui », en effet, pour justifier cette fusion des conseils généraux et du conseil régional par référendum, étaient indigentes. Ils disaient : « une nouvelle collectivité qui en remplace trois », en sous-entendant que cela permettra de réaliser des économies, alors que chacun pouvait vérifier qu’il y aurait en réalité six nouvelles entités. Il était aussi question d’une « plus grande efficacité », de « simplification et transparence », de réaliser des « économies de fonctionnement », de « simplifier prises de décision et circuits administratifs », etc. Le tout dans un flou complet.

Aux yeux des élites locales ce sont ces « arguments » qui devaient enthousiasmer les électeurs et les faire venir en masse dans les bureaux de vote ! Autrement dit, les enjeux présentés par les caciques de l’UMP locale, avec les encouragements du gouvernement socialiste, n’avaient aucun caractère politique. Il était demandé aux électeurs d’arbitrer de simples problèmes de gestion en vue de rationnaliser ce qui est appelé le « mille-feuille administratif ». Cette manière technocratique de poser les problèmes a donné l’impression qu’il ne s’agissait que d’une affaire d’élus. Personne, a priori, ne peut être opposé à la réalisation d’économies d’échelle, à un travail plus efficace des services publics et de l’État, à la simplification des procédures et à la clarification des compétences entre les différentes collectivités et les services de l’État, etc. Mais pourquoi faire un référendum sur de tels sujets ? Il aurait été bien plus efficace de faire réaliser un « audit participatif » avec la population, étalé sur plusieurs mois, avec mobilisation des médias, délibération publique… Tout ce qui ne va pas aurait pu être recensé. Les causes des dysfonctionnements identifiées. Les mesures à prendre discutées et décidées. Ne pas procéder ainsi a donné aux électeurs le sentiment qu’il y avait anguille sous roche, qu’on leur cachait quelque chose.

Et, de fait, ce projet de fusion a été élaboré au sein du cabinet du président du conseil régional, sans aucune transparence ni concertation. Il était dès lors évident qu’il n’y aurait aucune volonté populaire pour porter un projet aussi technocratique. Devant l’apathie logique d’une partie de la population alsacienne, la tentative de passage en force a été vécue comme de l’arrogance et a confirmé la coupure entre les élus et la population.

L’annonce que Strasbourg deviendrait une « eurométropole », en pleine campagne référendaire, rendait alors encore plus opaque la répartition des compétences avec la future nouvelle « collectivité territoriale d’Alsace ». Il aurait fallu reporter le référendum, le temps de clarifier toutes ces questions.

Philippe Richert a caché les vrais enjeux, c’est aussi son échec personnel.

 3.- La loi électorale plaçait l’abstention au même rang que le vote exprimé

La fusion d’un conseil régional et des conseils généraux qui composent la région a été autorisée par la loi du 16 décembre 2010 portant « réforme des collectivités territoriales ». Son article 29 stipule que « le Gouvernement ne peut donner suite à la demande que si le projet de fusion recueille dans chacun des départements concernés l’accord de la majorité absolue des suffrages exprimés, correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits ».

Cela signifie que pour battre le « oui », tout allait compter : le « non », évidemment, mais aussi les blancs, les nuls, les abstentions. L’abstention, pour un certain nombre d’électeurs, devenait alors un acte politique. D’autant que des personnalités et des forces politiques avaient appelé à s’abstenir.

Ce n’est pas seulement le « désintérêt », au demeurant tout à fait réel, qui explique le chiffre de l’abstention, mais aussi un choix volontaire de nombreux électeurs.

 4.- Le spectacle de confusion donné par les principales forces politiques alsaciennes

Le PS était divisé, la fédération du Bas-Rhin étant par exemple pour le « non » alors que celle du Haut-Rhin était pour le « oui ».

Même chose à droite : plusieurs responsables étaient pour le « non », comme le maire de Colmar (UMP) qui a fait distribuer une lettre à tous ses administrés pour les appeler à voter « non ».

Le FN a donné une image particulièrement désordonnée puisque ses conseillers régionaux ont voté « oui » alors que le parti était pour le « non ». Néanmoins il s’agissait d’un « non » du bout des lèvres car le FN affirmait qu’il était pour la fusion, mais pas pour cette fusion. Ce n’était pas un vrai « non » mais plutôt un « oui mais ».

 5.- L’affaire Cahuzac et les révélations sur les paradis fiscaux ont probablement joué

En l’absence d’enquêtes d’opinion, il est impossible de quantifier la part des abstentions provoquées par les scandales de toute sorte qui marquent l’actualité politique. Toutefois les militants de terrain ont rapporté des propos d’électeurs confirmant cette hypothèse.

 B.- L’attachement des Français à leur département reste très puissant

Une très grande leçon à retenir de ce référendum, pour l’avenir, est la confirmation du puissant attachement des Français à leur département. Deux siècles d’histoire ne peuvent se gommer impunément. On l’avait déjà vu, sur un sujet de moindre importance, lorsqu’un gouvernement avait voulu faire disparaitre le numéro des départements sur les plaques minéralogiques des automobiles. Ce projet avait échoué devant les protestations multiples qui avaient eu lieu. Des tentatives de fusion avaient échoué en Corse et en Guadeloupe en 2003.

En Alsace il existe une sociologie et des traditions différentes entre le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. Le Haut-Rhin est plus industriel, on compte de très grandes usines comme celles de Peugeot à Mulhouse. Le « non » avait été majoritaire dans le Haut-Rhin lors du référendum de 2005. Le 7 avril le Haut-Rhin a voté « non » majoritairement (55,74%) alors que le « non » ne fait que 32,47% dans le Bas-Rhin.

Beaucoup d’habitants du Haut-Rhin ont manifestement considéré que la localisation à Strasbourg du siège de l’éventuelle « collectivité territoriale d’Alsace », couplée au nouveau statut d’eurométropole accordé à la ville de Strasbourg, allait se faire au détriment, notamment, de villes comme Mulhouse ou Colmar. Cette situation confirme la crainte des villes moyennes et petites par rapport au risque d’aspiration provoqué par les métropoles et plus encore par les eurométropoles. Ces dernières, en effet, agissent comme un aimant, attirant en leur centre les activités situées en périphérie. La logique des villes-métropoles et des eurométropoles repose sur un principe bien connu : déshabiller Pierre pour habiller Paul.

Le département est un obstacle à cette stratégie car il contribue à fixer les activités dans les villes moyennes et petites, dans les zones rurales et semi-urbaines. Celles-ci ont vocation à devenir de véritables déserts si la logique des eurométropoles et des eurorégions l’emporte.

L’OCDE, principale boite à idées néolibérale, propose ainsi, sans surprise, de supprimer les départements français et de fusionner les communes (rapport annuel sur l’économie française, 19 mars 2013). Ce serait, pour cette organisation dont la dissolution est urgente, le meilleur moyen de réduire les dépenses publiques : «  simplifier la structure des administrations infranationales notamment en fusionnant les plus petites des 36 700 communes et en supprimant les départements engendrerait des économies d’échelle substantielles  ». Base du raisonnement de l’OCDE : en moyenne une commune française compte 1 800 habitants contre 5 500 dans l’Union européenne. Et alors ?

Il faut défendre pied à pied les communes et les départements. Ce sont les cellules de base de la démocratie française. Tout corps vivant dont les cellules disparaissent, disparaît à son tour. C’est bien ce que veulent les régionalistes et les euro-régionalistes. Les premiers, sur des bases folkloriques, rejoignent naïvement (pour certains !) les seconds qui préparent la mort des communes, des départements, de l’État, pour faire advenir le règne du couple infernal région-Bruxelles (Union européenne).

 C.- Les principales forces politiques et syndicales n’ont pas fait de ce référendum un enjeu national

Aucun syndicat et aucun parti politique n’a mené de campagne nationale pour expliquer les enjeux de ce référendum. Ils ont fait comme si l’enjeu n’était que local. Les sites internet des partis politiques, par exemple, sont restés désespérément vierges d’explications sur le referendum alsacien, qu’il s’agisse de l’UMP, du PS, du FN, du PCF du PG, de Debout la République (DLR) ou de l’Union populaire pour la République (UPR). Les dirigeants nationaux de l’UMP et du PS ne se sont pas déplacés en Alsace pour tenir des meetings. Seul le M’PEP a mené une campagne nationale et a alimenté les partisans du « non » en arguments et analyses. Le M’PEP a réveillé les consciences. Il a, entre autre, adressé une lettre à tous les maires des deux départements. Sur le terrain, en Alsace, on a beaucoup vu le M’PEP et ses brigades républicaines, DLR et le POI. Les autres partisans du « non » ont été moins visibles. L’association Attac, quant à elle, qui avait pourtant l’occasion de faire le lien entre le référendum de 2005 et celui de 2013, a été totalement absente.

Il faut le dire, des comportements sectaires ont parfois marqué la campagne du « non ». Le Parti ouvrier indépendant (POI), le Front de gauche, l’UPR, le Rassemblement des citoyens pour la République (RCR) ont refusé de participer à un collectif pour le « non », alors que cette formule avait été particulièrement efficace en 2005. C’est dommage car l’émiettement a été favorable au « oui ». Seuls le PRCF et les Clubs « Penser la France », avec le M’PEP, ont animé ce collectif. L’UPR n’a pas souhaité mener de campagne commune et n’a pas participé, avec le M’PEP, aux « brigades républicaines  » qui étaient ouvertes à tous. L’UPR a préféré créer ses propres « brigades républicaines populaires » sous sa seule bannière, pour leur faire concurrence, se refusant ainsi à une dynamique commune.

Le Front de gauche local a été peu présent, bien que ses tracts aient été particulièrement complets et convaincants. Certes, Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent sont venus en Alsace, à Mulhouse, mais le 3 avril seulement. À quatre jours du scrutin ! Il aurait fallu venir bien avant pour lancer une dynamique dans la région. À cette occasion le Front de gauche a refusé la parole au représentant local du M’PEP lors du meeting. Quant au journal L’Humanité, durant toute la campagne, il a publié en tout et pour tout… trois articles ! Le 8 mars une page (dont une photo occupant ½ page) ; le 12 mars, ¼ de page ; la veille du référendum, le 5 avril, 1 page et demi. L’Humanité n’a rien dit sur les forces républicaines qui ont mené la bataille pour le « non » comme le M’PEP. Les lecteurs de ce journal ont donc une image déformée de la réalité qui leur fait croire que seul le Front de gauche a mené campagne pour le « non ».

Parmi les organisations syndicales, seule la confédération Force ouvrière a appelé clairement à voter « non ». La confédération CGT a publié un communiqué dans lequel elle affirme qu’elle « porte un avis négatif », mais elle n’appelle pas à voter « non ». Heureusement que le secrétaire de la CGT Alsace a appelé, lui, à voter « non » pour mettre un terme aux ambiguïtés de son organisation. D’autres organisations syndicales ont appelé à voter « non » au niveau de leurs structures régionales : la FSU qui a vu « 7 raisons de voter non le 7 avril », et Sud éducation.

Cependant il existe une constante dans l’argumentaire des syndicats qui a été de rester sur une partie seulement des questions soulevées par ce référendum. Les motifs avancés par les syndicats, en effet, ont porté sur les menaces concernant le droit du travail et l’emploi dans les fonctions publiques locales ou les risques pesant sur l’Éducation nationale. Une critique du mode de scrutin était également présente, ce dernier étant jugé comme un « recul de la démocratie ». Malheureusement rien n’a été dit sur la stratégie de régionalisation, qui vise à généraliser la remise en cause des acquis sociaux en permettant à chaque région d’avoir son propre droit social afin de le mettre en concurrence avec les régions voisines. Il faudra sérieusement débattre avec les syndicats pour qu’ils prennent en compte cette dimension.

C’est probablement la sous-estimation du danger présenté par la stratégie des eurorégions qui n’a pas permis aux partis politiques et syndicats de voir dans le référendum du 7 avril un test qui, en cas de succès, aurait ouvert la voie à d’autres initiatives du même genre dans d’autres régions.

Le silence des organisations syndicales et d’Attac sur cette question, la gêne que l’on observe au Front de gauche, le fait que l’expression « régionalisation » peut apparaître sympathique au premier abord, montrent que cette notion doit être décortiquée, clarifiée, expliquée dans tous ses aspects. D’autant que le résultat du 7 avril le prouve : on peut casser la stratégie des eurorégions.

 A.- Pour compléter la mondialisation néolibérale : la régionalisation par les eurorégions

La mondialisation néolibérale est une stratégie politique mise en œuvre à grande échelle par les classes dirigeantes internationales à partir du tournant des années 70-80. Face à la puissance des luttes syndicales, à l’existence d’un bloc communiste important (indépendamment de l’opinion que l’on porte sur ces régimes politiques), et à l’émergence du Mouvement des pays non-alignés dans le tiers-monde, les classes dirigeantes devaient régir. Il fallait qu’elles disciplinent le monde du travail – et le tiers-monde - pour redresser leurs profits. Elles y sont parvenues, au Nord, en réorganisant le travail à l’échelle planétaire et en libéralisant toutes les activités : commerce international, finance, marché du travail. Elles y sont parvenues, au Sud, en l’écrasant sous la dette. Le processus, d’ailleurs, comme on le voit en France avec l’Accord national interprofessionnel sur l’emploi (ANI), est toujours en cours car il existe encore des résistances.

Toutefois, globalement, la révolution conservatrice (autre nom donné à la mondialisation néolibérale) a été un succès : le monde communiste a quasiment disparu (on ne fera pas, ici, de commentaires sur le point de savoir si la Corée du Nord et la Chine sont des pays communistes au sens marxiste), le Mouvement des pays non-alignés s’est globalement aligné sur l’impérialisme, les syndicats dans les pays occidentaux ont été très affaiblis. Résultat : les profits ont remonté (10% du PIB en France ont basculé du travail vers le capital), la critique du système capitaliste s’est atténuée.

Pour terminer le travail, les classes dirigeantes ont besoin de casser le dernier obstacle à la liberté totale d’établissement de l’ordre marchand (capitaliste) : les États-nations, et particulièrement ceux s’inspirant du modèle français. Car dans les États-nations il existe encore un certain niveau de démocratie. Les parlementaires restent élus par le peuple, les gouvernements sont l’émanation des parlementaires, l’alternance est possible bien que les grands médias, partout, soient entièrement au service des possédants, ralentissant les prises de conscience. Dans ces pays, il existe encore un système de protection sociale et un droit du travail qui limite – certes de moins en moins – les attaques du capital.

Bref, les États-nations à la française sont des obstacles qu’il faut faire sauter. Une manière sympathique de le faire est de prôner la « régionalisation » et la constitution de « métropoles ».

Ainsi l’Union européenne vide les États de leur souveraineté (monétaire, budgétaire, en matière de commerce international…) pour favoriser les régions. L’objectif est une complète réorganisation politique de l’Union européenne. Ce n’est pas une simple réorganisation administrative, mais c’est octroyer des pouvoirs politiques, économiques et financiers aux régions, ces dernières étant directement reliées à Bruxelles. En fait il s’agit d’une volonté centralisatrice au niveau de Bruxelles.

La régionalisation sert à dynamiter les États. Masquée derrière une reconnaissance factice des identités régionales, c’est en réalité une volonté de dilution des différences nationales pour permettre la standardisation des goûts, des habitudes, des cultures permettant la normalisation des marchandises et les économies d’échelle pour les firmes multinationales et les marchés financiers. Car ceux-ci, comme les médias planétaires, évidemment, ne seront pas régionalisés ! Les firmes multinationales et banques géantes, au lieu de trouver face à elles des États puissants qui pourraient les dominer, seront en présence d’une multitude de régions désarmées.

Parallèlement à l’organisation de la montée en puissance des régions, Bruxelles veut favoriser la « coopération transfrontalière », même de manière artificielle, pour créer des situations de fait qui contournent les États. Car la meilleure « eurorégion » est celle qui est transfrontalière. Celle-ci devient alors une entité totalement en dehors des États. Un outil existe pour mettre en œuvre cette funeste stratégie, c’est l’Association des régions frontalières d’Europe (ARFE). Dans sa charte, elle veut transformer les frontières nationales en « frontières administratives ». Les régions pourront ainsi remettre en cause la souveraineté des États et aller vers les « eurorégions ».

C’est toute l’Union européenne qui doit être remodelée selon ce modèle. À l’intérieur de ces eurorégions les frontières nationales n’existeront plus, elles seront dotées de pouvoirs législatifs ou dérogatoires au droit national.

Le principe des eurorégions est de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Ce n’est pas un système coopératif mais au contraire concurrentiel. Toutes les régions seront en concurrence avec toutes les autres. Pas de pitié pour les petites régions qui seront écrasées par les grosses. La mutualisation, la solidarité, la péréquation, efficaces uniquement à l’échelon national, disparaîtront. L’égalité des citoyens devant la loi n’aura plus de raison d’être, puisqu’il y aura une loi par eurorégion…

 B.- La victoire du 7 avril montre que le projet des eurorégions peut être mis en échec

Le référendum du 7 avril s’inscrivait bien dans la stratégie de mise en place de l’Europe des régions par la désintégration des États. À cet égard il suffit pour s’en convaincre d’observer l’enthousiasme manifesté par les régionalistes de tout poil (avant les résultats du référendum !).

Pour Marc Le Fur, député UMP des Côtes-d’Armor : « c’est un projet important pour l’Alsace mais également pour d’autres régions qui risquent de suivre si le oui l’emporte. Grâce à l’Alsace la porte s’entrouvre pour remettre en cause l’organisation exagérément jacobine de la France » (Ouest France, 4 avril 2013). Pour Isabelle Le Callennec, députée UMP d’Ille-et-Vilaine, une victoire du oui « serait un élan pour avancer et réformer profondément au niveau français » (Ouest France, 4 avril 2013). L’idée d’une collectivité unique de Bretagne a été lancée par l’Union démocratique bretonne et Europe-Écologie-Les-Verts, afin de disposer « du pouvoir législatif et d’un budget à la hauteur d’une région autonome normale d’Europe ». Yannick Bigouin, pour EELV, a déclaré : « Nous souhaitons travailler à la création d’une collectivité territoriale unique en Bretagne » (Acteurspublics.com, 22 mars 2013). Le malheureux Philippe Richert estimait quant à lui que « l’enjeu du projet, c’est de dépasser un modèle national sclérosé, à l’heure de la compétition internationale entre les régions ».

Pour le Dauphiné Libéré du 5 avril 2013 : « Unis par l’Histoire mais séparés par le découpage administratif après leur rattachement à la France en 1860, les deux départements savoyards (Savoie et Haute-Savoie) comme ceux de Bretagne, regardent avec intérêt ce scrutin en Alsace. La situation juridique est cependant bien différente. Loin de former à eux seuls une région, ils sont intégrés dans Rhône-Alpes. Or pour l’heure, la loi interdit la partition d’une région. Du coup, si des idées ‘‘fusionnelles’’ se font jour, elles portent uniquement sur l’échelon départemental. Depuis 2001, Savoie et Haute–Savoie conduisent d’ailleurs en commun une expérience unique, celle de l’Assemblée des Pays de Savoie. Dotée d’un budget et d’une personnalité juridique propre, cette structure réunit 30 conseillers généraux issus des deux départements et s’attache à mener des actions communes. »

La voix des allobroges du 5 avril donne la parole à Laurent Blondaz, secrétaire du Mouvement Région Savoie : « L’alsace est à peu près de taille égale à la Savoie, et son niveau de population est sensiblement le même. Comme l’Alsace, la Savoie partage aussi une frontière avec deux autres pays européens. Ces similitudes font que, tout comme en Alsace, il serait très facile de regrouper les départements savoyards. Cette initiative régionale est vraiment intéressante, et devrait nous inspirer. Sans parler d’indépendantisme, la démocratie doit maintenant passer par la base. On a fait l’Europe économique, maintenant il faut construire l’Europe démocratique ».

Le référendum local du 7 avril en Alsace avait bien un enjeu national, et même européen comme le prouve cette sélection de déclarations.

La nouvelle collectivité qui aurait pu voir le jour, si le « oui » l’avait emporté en Alsace, pouvait « se voir confier d’autres compétences par la loi, dans le cadre de l’Acte III de la décentralisation, ou par des attributions spécifiques : comme la langue régionale, l’orientation des jeunes, la coopération transfrontière, une part de compétence réglementaire ou encore d’autres compétences dont l’exercice au niveau local présente un intérêt  ». C’est ce que Philippe Richert et ses amis ont voulu cacher.

Le « projet stratégique pour l’Alsace » prévoyait en outre (page 11) : « Transfert de compétences normatives réglementaires en matière de Droit du Travail à travers le droit local (comme en matière de sécurité sociale) afin de pouvoir adapter certaines situations locales (notamment via des accords d’entreprises) aux problématiques de compétitivité/coût par rapport à la Suisse et à l’Allemagne  ».

Pour le Club d’affaires franco-allemand du Rhin Supérieur, qui réunit l’Alsace, le pays de Bade et le sud du Palatinat en Allemagne et le nord-ouest de la Suisse : « les politiques doivent faire progresser l’harmonisation des règles juridiques, sociales, techniques, afin de fluidifier le marché de l’emploi dans le Rhin Supérieur ; le Club pointe la nécessité d’une plus grande convergence en matière sociale [ni 35h, ni SMIC en Allemagne !] ».

Le président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Alsace, Jean-Louis Hoerlé, a déclaré : «  La force de l’Allemagne est d’avoir des régions autonomes et structurées. Peut-être que l’Alsace devrait s’en inspirer […] Ce qu’il faudrait aux entreprises pour se rapprocher du voisin allemand c’est moins de charges et plus de flexibilité, ainsi qu’une administration qui fasse preuve de moins de lourdeur […] La main-d’œuvre française va être de plus en plus nécessaire à l’Allemagne  ».

Le Congrès d’Alsace de décembre 2011 avait été très clair et a ensuite été escamoté : « Si nous acceptons de fonder le Conseil d’Alsace [ancien nom de la Collectivité territoriale d’Alsace] nous renforcerons l’attractivité de nos territoires et leur compétitivité en Europe. […] L’Alsace dans la compétition libérale de grandes régions européennes doit s’intégrer au Rhin Supérieur […] Dans la stratégie de la création de grandes régions économiques européennes, le Conseil d’Alsace doit renforcer la cohésion territoriale de l’Alsace, pour que celle-ci puisse ensuite contribuer, au mieux de ses forces, à renforcer la cohésion territoriale de la Région métropolitaine tri-nationale du Rhin Supérieur, périmètre d’excellence du développement économique  ».

L’Alsace, si le « oui » l’avait emporté, serait devenue un sous-traitant de l’Allemagne, un territoire pourvoyeur d’une main-d’œuvre d’exécution à bas prix.

En fait la décentralisation est mal nommée, il s’agit en réalité d’une régionalisation, ou plutôt d’une centralisation régionale par absorption des départements et fusion-disparition des communes. Une fusion, par définition, concentre, elle ne décentralise pas. C’est la volonté de faire naître une multitude de nouveaux droits à l’échelon régional, mis en concurrence les uns avec les autres, pour attirer le capital, les entreprises et permettre à la main-d’œuvre de la région de s’expatrier en la rendant moins onéreuse que toutes les autres. C’est casser le principe d’égalité. C’est le rétablissement des provinces d’antan, des fiefs et des seigneurs qui guerroient tous contre tous.

Que retenir des résultats de ce référendum ? La régionalisation, et encore plus les eurorégions sont une imposture. Il s’agit en fait d’une nouvelle centralisation. L’Acte III de la décentralisation, épousant et amplifiant cette logique, doit être rejeté. Dans ce combat nous disposons d’un atout puissant après le 7 avril, car le résultat du référendum alsacien interdit, dans les autres régions, d’aller plus loin pour l’instant. À nous de profiter de ce bref moment dans la course de vitesse qui est désormais engagée.

 

http://www.m-pep.org/spip.php?article3279

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