Le mouvement de contestation (baptisé « Euromaïdan ») qu’a récemment vécu l’Ukraine, est intéressant à plusieurs égards. Il montre comment un coup d’état civil contre un gouvernement démocratiquement élu peut être fomenté avec succès avec un appui étranger et sans intervention militaire. Il dévoile la flagrante partialité et le manque d’intégrité des médias mainstream occidentaux qui, avec une argumentation fallacieuse, appuient aveuglément l’interventionnisme occidental et, avec une vision dichotomique de la situation, qualifient les uns de bons et les autres de mauvais. Plus grave encore, il dessine les contours, jusqu’alors vaporeux, de la renaissance de la guerre froide qu’on croyait enterrée avec la chute du mur de Berlin. Finalement, il nous offre une projection probable de la situation des pays arabes « printanisés » dans la mesure où l’Ukraine a connu son « printemps » en 2004, printemps communément appelé « révolution orange ».
Mais pour comprendre la situation ukrainienne actuelle, il est primordial de passer en revue quelques dates importantes ainsi que les noms des acteurs majeurs de la politique ukrainienne de l’après ère soviétique.
Ligne de temps politique de l’Ukraine (Merci à Benoit G.-L.)
Un coup d’État plébiscité par l’Occident
Ce qui vient de se passer en Ukraine ces derniers jours est un véritable coup d’État. En effet, le président Viktor Ianoukovytch a été démocratiquement élu le 7 février 2010 en battant Ioulia Timochenko au second tour des élections présidentielles (48,95 % des voix contre 45,47 %).
Évidemment, Timochenko n’avait pas immédiatement accepté le verdict des urnes [1]. Il y a sûrement eu fraude quelque part puisqu’elle était, lors des élections, Premier ministre en exercice et que Viktor Iouchtchenko était président du pays. Les deux figures emblématiques de la Révolution orange, très largement soutenus par les pays occidentaux, ceux-là même qui étaient supposés faire entrer l’Ukraine dans une ère nouvelle, celle de la démocratie et de la prospérité, ont été largement battus par un candidat pro-russe. Et quel candidat! Ianoukovytch! Celui qui avait été « conspué » par les activistes de la vague orange de 2004. En moins de six ans, les Ukrainiens avaient compris que cette « Révolution » colorée n’en était pas une.
Le 8 février 2010, Joao Soares, le président de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) déclara : « L’élection a offert une démonstration impressionnante de démocratie. C’est une victoire pour tout le monde en Ukraine. Il est temps maintenant pour les dirigeants politiques du pays d’écouter le verdict du peuple et de faire en sorte que la transition de pouvoir soit pacifique et constructive » [2].
Sans trop de conviction, mais placée devant l’évidence du verdict des observateurs internationaux, Timochenko finit par retirer son recours en justice visant à invalider le résultat de l’élection [3].
Les « révoltés » de la place Maïdan reprochent à Ianoukovytch d’avoir décidé de suspendre un accord entre son pays et l’Union Européenne (UE). Et une question fondamentale se pose : en démocratie, et dans le cadre des prérogatives de sa fonction, un président en exercice a-t-il le droit de signer les accords qu’il juge bénéfiques pour son pays? La réponse est oui, d’autant plus que de nombreux spécialistes pensent que cet accord était néfaste pour l’économie de l’Ukraine.
Ainsi, selon David Teurtrie, chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO, Paris): « La proposition faite à l’Ukraine a été, comme je l’appellerais, une stratégie perdant-perdant. Pourquoi? L’accord correspondait à la mise en place d’une zone de libre-échange entre l’UE et l’Ukraine. Mais cette zone de libre-échange était très défavorable pour l’Ukraine parce qu’elle ouvrait le marché ukrainien aux produits européens et elle entrouvrait le marché européen aux produits ukrainiens qui ne sont en majeure partie pas concurrentiels sur le marché occidental. Nous voyons donc que l’avantage est assez peu évident pour l’Ukraine. Pour simplifier, l’Ukraine prenait sur elle tous les désavantages de cette libéralisation du commerce avec l’UE et ne recevait aucun avantage » [4].
L’économiste russe Sergueï Glaziev est lui aussi du même avis : « Toutes les estimations, incluant celles des analystes européens, font part d’un ralentissement inévitable dans la production de biens ukrainiens dans les premières années suivant la signature de l’Accord d’association, puisqu’ils sont condamnés à une perte de compétitivité par rapport aux produits européens » [5].
Nonobstant la sensibilité pro-russe de Ianoukovytch, il est clair que la proposition russe était beaucoup plus intéressante pour l’Ukraine que celle avancée par les Européens. « L’UE ne promet pas la lune aux manifestants… juste la Grèce » titrait ironiquement le journal l’Humanité [6].
Après les émeutes sanglantes de Kiev, de nombreux pays occidentaux se sont curieusement empressés de déclarer qu’ils étaient prêts à soutenir « un nouveau gouvernement » en Ukraine [7], c’est-à-dire de reconnaître implicitement un coup d’état. Au lieu d’attiser la violence et de financer les barricades, ces pays n’auraient pas dû offrir leurs services pour calmer les esprits et attendre les prochaines élections, comme le dicte les fondements de la démocratie qu’ils essaient d’exporter en Ukraine et ailleurs dans le monde?
Petites précisions sur la « révolution » orange
La « révolution » orange fait partie d’une série de révoltes baptisées « révolutions colorées », qui se sont déroulées dans les pays de l’Est et surtout les ex-Républiques soviétiques durant les années 2000. Celles qui ont abouti à un changement du gouvernement en place ont touché la Serbie (2000), la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le Kirghizstan (2005).
Dans un article exhaustif et très détaillé sur le rôle des États-Unis dans les révolutions colorées, G. Sussman et S. Krader de la Portland State University mentionnent dans leur résumé : « Entre 2000 et 2005, les gouvernements alliés de la Russie en Serbie, en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizistan ont été renversés par des révoltes sans effusion de sang. Bien que les médias occidentaux en général prétendent que ces soulèvements sont spontanés, indigènes et populaires (pouvoir du peuple), les « révolutions colorées » sont en fait le résultat d’une vaste planification. Les États-Unis, en particulier, et leurs alliés ont exercé sur les États postcommunistes un impressionnant assortiment de pressions et ont utilisé des financements et des technologies au service de l’aide à la démocratie » [8].
Une dissection des techniques utilisées lors de ces « révolutions » montre qu’elles ont toutes le même modus operandi. Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire ces révoltes: Otpor (« Résistance ») en Serbie, Kmara (« C’est assez! ») en Géorgie, Pora (« C’est l’heure ») en Ukraine et KelKel (« Renaissance ») au Kirghizistan. Le premier d’entre eux, Otpor, est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Miloševic. Après ce succès, il a aidé, conseillé et formé tous les autres mouvements par l’intermédiaire d’une officine spécialement conçue pour cette tâche, le Center for Applied Non Violent Action and Strategies (CANVAS) qui est domiciliée dans la capitale serbe. CANVAS forme des dissidents en herbe à travers le monde à l’application de la résistance individuelle non violente, idéologie théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp dont l’ouvrage « From Dictatorship to Democracy » (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées.
Manifestants de la “révolution” orange
Aussi bien CANVAS que les différents mouvements dissidents ont bénéficié de l’aide de nombreuses organisations américaines d’ « exportation » de la démocratie comme l’United States Agency for International Development (USAID), la National Endowment for Democracy (NED), l’International Republican Institute (IRI), le National Democratic Institute for International Affairs (NDI), la Freedom House (FH), l’Albert Einstein Institution et l’Open Society Institute (OSI). Ces organismes sont financés par le budget américain ou par des capitaux privés américains. À titre d’exemple, la NED est financée par un budget voté par le Congrès et les fonds sont gérés par un conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat American Federation of Labor-Congress of Industrial Organization (AFL-CIO), alors que l’OSI fait partie de la Fondation Soros, du nom de son fondateur George Soros, le milliardaire américain, illustre spéculateur financier. Il est aussi intéressant de noter que le conseil d’administration de l’IRI est présidé par le sénateur John McCain, le candidat défait de la présidentielle américaine de 2008. L’implication de McCain dans les révolutions colorées est clairement établie dans l’excellent documentaire que la reporter française Manon Loizeau a consacré aux révolutions colorées [9]. On comprend alors aisément pourquoi le sénateur s’est récemment précipité à Kiev pour soutenir les émeutiers ukrainiens. On comprend aussi pourquoi la Russie a durci le ton concernant les ONG étrangères présentes sur son sol et la raison qui a motivé l’expulsion de l’USAID de son territoire [10].
La relation entre le mouvement ukrainien « Pora » et ces organisations américaines est explicitée par Ian Traynor dans un remarquable article publié par The Guardian en novembre 2004 [11].
« Officiellement, le gouvernement américain a dépensé, pendant une année, 41 millions de dollars pour l’organisation et le financement de l’opération qui a permis de se débarrasser de Miloševic […]. En Ukraine, le chiffre doit tourner autour de 14 millions de dollars », explique-t-il.
Ioulia Timochenko et Viktor Iouchtchenko sont considérés comme les figures de proue de la révolution orange. Soutenu par les Occidentaux, ce mouvement obtient l’annulation du second tour de l’élection présidentielle de 2004 initialement remporté par Viktor Ianoukovytch contre Viktor Iouchtchenko. Le « troisième » tour donne finalement la victoire à Iouchtchenko qui devient le 3e président de l’Ukraine à la grande joie des Américains et des Européens.
Fier de ses réussites « révolutionnaires » colorées, le belliqueux sénateur McCain a déclaré qu’il avait proposé au prix Nobel de la Paix les candidatures de Viktor Iouchtchenko et de son homologue géorgien pro-occidental Mikhail Saakashvili [12]. Il fit un voyage à Kiev en février 2005 [13] pour féliciter son « poulain » et peut-être aussi pour lui montrer qu’il avait quelque chose à voir avec son élection.
À peine nommé président, Iouchtchenko s’empressa de nommer Timochenko au poste de Premier ministre mais la « lune de miel » entre les compagnons de la révolution ne fit pas long feu. Bien qu’encensé par l’Occident, le couple Iouchtchenko-Timochenko s’avère boiteux et ses résultats sont très décevants.
Voici comment Justin Raimondo décrit le bilan de la magistrature Iouchtchenko (2005-2010): « Aujourd’hui, l’éclat orange de sa révolution étant révolu depuis longtemps, son régime s’est avéré être tout aussi incompétent et truffé de copinage comme ses prédécesseurs corrompus et vénaux, si ce n’est plus. Une grande partie de ” l’aide ” monétaire occidentale a disparu […]. Pire encore, l’économie a été paralysée par l’imposition de contrôles des prix et corrompu par un trafic d’influence éhonté. Sous l’accord de partage de pouvoir entre M. Iouchtchenko et la volatile Ioulia Timochenko, la « princesse du gaz » et oligarque amazone, le pays s’est désintégré, non seulement économiquement mais aussi socialement […]. La baisse radicale de l’économie et les scandales en cours qui sont devenus des événements quotidiens pendant l’administration de M. Iouchtchenko ont conduit à la marginalisation complète du vénéré orange révolutionnaire: au premier tour de l’élection présidentielle [2010], il a obtenu un humiliant 5 pour cent des voix. Hors de la course, et sans avoir besoin de faire semblant plus longtemps, M. Iouchtchenko a lancé une véritable bombe dans l’arène politique en honorant Stepan Bandera, le nationaliste ukrainien et collaborateur des nazis, comme un ” Héros de l’Ukraine “ » [14].
Notons finalement que les organisations américaines d’ « exportation » de la démocratie ont été largement impliquées dans ce qui est communément appelé le « printemps » arabe. Les jeunes activistes arabes ont été formés à la résistance individuelle non violente par CANVAS et à la cyberdissidence par des organismes américains comme l’Alliance of Youth Movements (AYM) elle-même sponsorisée par le Département d’État ainsi que les géants américains des nouvelles technologies comme Google, Facebook ou Twitter [15].
Les « gentils » émeutiers de la place Maïdan
Malgré la grande diversité de la « faune » révolutionnaire qui a occupé la place Maïdan à Kiev, les observateurs s’accordent à reconnaître que la dissidence est composée de quatre différents groupes positionnés sur un spectre politique allant de la droite à l’extrême-droite.
Tout d’abord, il y a « Batkivshina » ou Union panukrainienne « Patrie » qui est un parti politique dont le leader est Ioulia Timochenko, secondée par Olexandre Tourtchinov, un ami de longue date, considéré comme son « fidèle écuyer » [16]. C’est ce dernier qui a été récemment nommé président intérimaire de l’Ukraine après le départ de Ianoukovytch.
Olexandre Tourtchinov et Ioulia Timochenko
Fondé en 1999, Batkivshina est un parti libéral pro-européen. Il est membre observateur du Parti populaire européen (PPE) qui rassemble les principaux partis de la droite européenne dont le CDU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) de la chancelière allemande Angela Merkel. À noter que la Fondation Konrad Adenauer (Konrad Adenauer Stiftung), think tank du CDU, est aussi affilié au PPE. D’autre part, le PPE entretient des relations étroites avec l’International Republican Institute (IRI). Wilfried Martens, le président du PPE de l’époque, a soutenu John McCain lors de l’élection présidentielle américaine de 2008 [17]. Bien sûr, comme précisé précédemment, John McCain est aussi et surtout président du CA de l’IRI.
Selon un des responsables du « Mejlis of the Crimean Tatar People », mouvement associé au parti « Patrie », l’IRI est actif en Ukraine depuis plus de 10 années, c’est-à-dire qu’il n’aurait jamais quitté le territoire depuis la révolution orange [18].
Arseni Iatseniouk, personnalité pro-occidentale de premier plan de la vie politique ukrainienne, est considéré comme un « leader phare de la contestation en Ukraine » [19]. Pur produit de la révolution orange (il a occupé des postes ministériels sous la présidence Iouchtchenko), il a d’abord créé son propre parti (le Front pour le changement) avant de rejoindre les rangs de Batkivshina et de se rapprocher de Timochenko. Iatseniouk, qui vient d’être désigné premier ministre, a été plébiscité par les émeutiers de la place Maïdan. Il a pour mission de diriger un gouvernement d’union nationale avant l’élection présidentielle anticipée prévue le 25 mai 2014 [20].
Arseni Iatseniouk
Le second parti impliqué dans la violente contestation ukrainienne est l’UDAR (Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme). Ce parti, libéral et pro-européen lui aussi, a été créé en 2010 par la fusion de deux partis dont l’un est le parti Pora, issu du mouvement de jeunes qui avait été à l’avant-garde de la révolution orange dont on a discuté auparavant. UDAR (qui veut dire « coup » en Ukrainien) est dirigé par le boxeur et ex-champion du monde des poids-lourds Vitali Klitschko. Né au Kirghizstan, Klitschko est ukrainien mais a vécu à Hambourg et Los Angeles pendant plusieurs années, de sorte que ses trois enfants sont de nationalité américaine car nés aux États-Unis [21].
Vitali Klitschko
Une rapide navigation sur le site du parti permet de se rendre compte qu’UDAR compte parmi ses uniques partenaires étrangers : l’IRI (de McCain), le NDI (présidé par Madeleine K. Albright, l’ancienne secrétaire d’État américaine) et le CDU (de Merkel). Notons ici que l’IRI et le NDI sont deux des quatre organisations satellites de la NED.
Les partenaires de l’UDAR (Photo de la page publiée sur le site officiel du parti)
Dans un rapport du German Foreign Policy intitulé « Notre homme à Kiev » datant de décembre 2013, on peut lire à propos de Klitschko et de son parti : « Selon les rapports de presse, le gouvernement allemand aimerait que le champion de boxe Vitali Klitschko brigue la présidence pour l’amener au pouvoir en Ukraine. Il souhaite améliorer la popularité de la politique de l’opposition en organisant, par exemple, des apparitions publiques conjointes avec le ministre des Affaires étrangères allemand. A cet effet, une réunion est également prévue pour Klitschko avec la chancelière Merkel lors du prochain sommet de l’UE à la mi-Décembre. La Fondation Konrad Adenauer a, en effet, non seulement soutenu massivement Klitschko et son parti UDAR, mais selon un politicien de la CDU, le parti UDAR a été fondée en 2010 sur les ordres directs de la fondation de la CDU. Les rapports sur les activités de la Fondation pour le développement du parti de Klitschko donnent une indication de la façon avec laquelle les Allemands influencent les affaires intérieures de l’Ukraine via UDAR » [22]. Ainsi, UDAR serait une création du CDU, ce qui explique la forte implication de la diplomatie allemande dans le « bourbier » ukrainien. Cette information est confirmée par de nombreux autres articles [23].
Un troisième mouvement a participé à l’insurrection ukrainienne pro-occidentale. Il s’agit de « Svoboda » (liberté en ukrainien) qui est un parti d’extrême-droite ultranationaliste dirigé par Oleh Tyahnybok. Svoboda a fait couler beaucoup d’encre à cause de ses positions xénophobe, antisémite, homophobe, antirusse et anticommuniste [24]. Ce parti, qui n’est ouvert qu’aux Ukrainiens « pure laine », glorifie des personnages historiques ukrainiens ouvertement fascistes et pro-nazis comme le tristement célèbre Stepan Bandera. Pendant la seconde guerre mondiale, ce dernier a combattu les Soviétiques tout en ayant des liens avec l’Allemagne nazie [25]. Ajoutons à cela que Svoboda est étroitement lié à une organisation paramilitaire, les « Patriotes de l’Ukraine » [26]. Considérée comme néo-nazie, elle a été très active durant les récents évènements qui ont ensanglanté les rues de Kiev.
Oleh Tyahnybok
Les trois partis cités précédemment ont formé une alliance appelée « Groupe d’action pour la résistance nationale » pour mener à bien la déstabilisation du gouvernement Ianoukovytch. En plus, on vient d’apprendre qu’une nouvelle coalition a été créée au parlement ukrainien post-Ianoukovytch. Nommée “Choix européen”, elle réunit 250 députés de différents groupes parlementaires dont Batkivtchina, UDAR et Svoboda [27].
Les leaders du « Groupe d’action pour la résistance nationale »: Klitschko, Tyahnybok et Iatseniouk
Et pour compléter la mainmise du nouveau pouvoir sur les institutions ukrainienne, Oleg Mahnitsky vient d’être nommé Procureur général de l’Ukraine, poste d’importance capitale en cette période de soubresauts « révolutionnaires » et d’évidents règlements de comptes « démocratiques ». Petite précision : Mahnitsky est membre du parti Svoboda [28]. La cerise sur le gâteau? Dans le nouveau gouvernement post-Euromaïdan largement dominé par le parti Batkivshina de Timochenko, trois portefeuilles ont été octroyés à des membres de Svoboda : Oleksandr Sych, vice-Premier ministre; Andriy Mokhnyk, Ministre de l’environnement et Oleksandr Myrnyi, Ministre de l’agriculture [29].
Oleg Mahnitsky
Une autre nomination n’est pas passée inaperçue dans ce gouvernement : celle de Pavel Sheremeta qui, de 1995 à 1997, était directeur de programme à l’Open Society Institute de Budapest, la fameuse fondation de George Soros [30].
Pavel Sheremeta
Le quatrième groupe factieux présent sur la place Maïdan est probablement le plus violent de tous. Connu sous l’appellation « Pravy Sektor » (Secteur de Droite), il représente la coalition d’une multitude de groupuscules de l’extrême-droite radicale et fasciste qui considère que Svoboda est « trop libéral » (sic) [31]. Créée en novembre 2013 [32], l’organisation a pour leader Dmitro Yarosh, le chef d’une organisation d’extrême-droite nommée « Trizub » (Trident) qui est réputée être le noyau dur de la brutale dissidence [33]. En plus de Trizub, on y trouve, en particulier, les « Patriotes de l’Ukraine », l’« Ukrainska Natsionalna Asambleya – Ukrainska Narodna Sambooborunu – UNA-UNSO » (Assemblée Nationale Ukrainienne – Autodéfense Nationale Ukrainienne), Bilyi Molot (Marteau Blanc) ainsi que l’aile radicale de Svoboda [34].
Dmitro Yarosh
Dans une interview au magazine TIME publiée le 4 février 2014, Yarosh a déclaré que « ses cohortes antigouvernementales à Kiev sont prêtes à la lutte armée » [35]. « Nous ne sommes pas des politiciens, nous sommes des soldats de la révolution nationale », a-t-il ajouté. Il faut dire que le meneur du Pravy Sektor a passé quelques années dans l’armée soviétique et que, pour lui, la « “révolution nationale” est impossible sans violence et qu’elle devrait conduire à un état “purement ukrainien” avec, pour capitale, Kiev » [36]. Il a aussi révélé dans son interview que sa coalition avait amassé un arsenal d’armes létales. Et de préciser : « Juste assez pour défendre l’Ukraine des occupants internes [i.e. les membres du gouvernement] ».
En effet, de nombreuses photos et vidéos montrent des militants du Pravy Sektor en tenues paramilitaires en train de s’entraîner publiquement sur la place Maïdan [37], impliqués dans des échauffourées d’une extrême violence avec des forces de l’ordre ou utilisant des armes à feu contre les « Berkout » (police antiémeute) [38].
En reportage à partir de Kiev, le journaliste britannique David Blair nous donne son point de vue sur l’organisation du Pravy Sektor: « Ce qui est clair, c’est qu’ils sont très organisés. Un approvisionnement régulier des masques à gaz, de la nourriture et des surplus de camouflage de l’armée arrivent aux bénévoles sur les barricades. D’anciens soldats offrent une formation de combat à mains nues en dehors de la tente qui sert de petite base de Pravy Sektor sur la place de l’Indépendance à Kiev. Les bénévoles ont décrit un système de commande avec plusieurs dirigeants qui commandent l’armée hétéroclite déployée à la barricade principale sur la rue Grushevskogo à Kiev. La question qui vient à l’esprit de beaucoup de gens est qu’est-ce qu’un groupe aussi puissant, en dehors du contrôle des politiciens traditionnels, ferait si la révolution réussit et le gouvernement tombe » [39].
Milices d’autodéfense montées par le groupe d’extrême-droite Pravy Sektor (Source: Le Monde)
Un manifestant arme au poing pendant un affrontement avec la police, place de l’Indépendance, à Kiev, le 22 janvier (Source: Libération)
Personne ne peut dire si la révolution a réussi ni même si cette insurrection peut être considérée comme telle. Mais ce dont on est sûr, c’est que le gouvernement est réellement tombé et que Dmitro Yarosh a été nommé adjoint au président du Conseil de sécurité et de défense nationale d’Ukraine [40], organisme consultatif d’état chargé de la sécurité nationale dépendant du président du pays. Et qui est le président de ce conseil? Nul autre qu’Andriy Parubiy, « le commandant du Maïdan » [41], « le chef d’état-major de la révolution ukrainienne » [42] qui, le temps d’une « révolution », a rangé ses vêtements de député du parti Batkivshchyna pour enfiler celui de « généralissime » de l’« armée » des émeutiers de l’Euromaïdan. Mais, le plus intéressant est de savoir que Parubiy est un transfuge du parti Svoboda. En effet, il est, avec Oleh Tyahnybok, cofondateur en 1991 du Parti Social-Nationaliste d’Ukraine (SNPU), rebaptisée Svoboda en 2004 [43]. Comme quoi, les barricades, les émeutes, la désobéissance civile, la violence et le fascisme peuvent mener très haut en Ukraine.
Andriy Parubiy
A SUIVRE...
1991 | L’Ukraine se sépare de l’URSS. | |
1991-1994 | Leonid Kravtchouk (ancien dirigeant de l’ère soviétique) est le 1er président de l’Ukraine. | |
1991 | Ioulia Timochenko crée la « Compagnie du pétrole ukrainien » | |
1992-1993 | Leonid Koutchma (pro-russe) est Premier ministre sous la présidence Kravtchouk. Il démissionnera en 1993 pour se présenter aux élections présidentielles de l’année suivante. | |
1994-1999 | Leonid Koutchma est le 2e président de l’Ukraine. | |
1995 | Ioulia Timochenko réorganise sa société pour fonder, avec l’aide de Pavlo Lazarenko, la compagnie de distribution d’hydrocarbures « Systèmes énergétiques unis d’Ukraine » (SEUU). | |
1995 | Pavlo Lazarenko est nommé vice-Premier ministre chargé de l’énergie. | |
1996 | La SEUU fait 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires et rapporte 4 milliards de profits. | |
1996-1997 | Pavlo Lazarenko est Premier ministre sous la présidence Koutchma. | |
1997 | Pavlo Lazarenko est congédié par le président Koutchma. | |
1998 | Lazarenko est arrêté par la police suisse à la frontière franco-helvétique et accusé par les autorités de Berne de blanchiment d’argent. | |
1999 | Lazarenko est arrêté à l’aéroport JFK de New-York. Il est condamné en 2004 pour blanchiment d’argent (114 milliards de dollars), corruption et fraude. | |
1999-2005 | Leonid Koutchma est président de l’Ukraine après sa réélection. | |
1999-2001 | Viktor Iouchtchenko est Premier ministre sous la présidence Koutchma. | |
Ioulia Timochenko est vice-Premier ministre chargée de l’énergie (poste qui a été déjà occupé par Lazarenko). | ||
2001 | Ioulia Timochenko est congédiée par le président Koutchma en janvier 2001. Elle est accusée de « contrebande et de falsification de documents », pour avoir frauduleusement importé du gaz russe en 1996, lorsqu’elle était présidente de SEUU. | |
Timochenko est arrêtée et fera 41 jours de prison. La justice se penche sur son activité dans le secteur de l’énergie durant les années 1990 et sur ses liens avec Lazarenko. | ||
2002-2005 | Dauphin de Koutchma, Viktor Ianoukovytch (pro-russe) est Premier ministre sous sa présidence. | |
2004 | L’élection présidentielle oppose le Premier ministre en poste Viktor Ianoukovytch et l’ancien Premier ministre et leader de l’opposition Viktor Iouchtchenko (pro-occident). Le 2e tour est remporté par Ianoukovytch (49,46 contre 46,61) %. Le résultat est contesté car, selon l’opposition, les élections sont entachées de fraude. | |
Révolution orange : Mouvement de protestation populaire pro-occidental largement soutenu par les organismes occidentaux d’ « exportation » de la démocratie, en particulier américains. Ioulia Timochenko est considérée comme l’égérie de ce mouvement. Principal résultat de cette « révolution » : annulation du second tour des présidentielles. | ||
Un troisième tour des élections présidentielles est organisé : Iouchtchenko est élu (51,99 contre 44,19%) | ||
2005-2010 | Viktor Iouchtchenko est le 3e président de l’Ukraine. | |
2005 (7 mois) | Ioulia Timochenko est Premier ministre sous la présidence Iouchtchenko | |
2006-2007 | Viktor Ianoukovytch est Premier ministre sous la présidence Iouchtchenko. | |
2007-2010 | Ioulia Timochenko est une seconde fois Premier ministre sous la présidence Iouchtchenko. | |
2010 | Élections présidentielles.Résultats du premier tour : 1er - Ianoukovytch (35,32%);
2e - Timochenko (25,05%) et 5e -Iouchtchenko (5,45%). Second tour : Ianoukovytch bat Timochenko (48,95% contre 45,47%). | |
2010-2014 | Viktor Ianoukovytch est le 4e président de l’Ukraine. | |
2011 | Ioulia Timochenko est condamnée à sept ans d’emprisonnement pour abus de pouvoir dans le cadre de contrats gaziers signés entre l’Ukraine et la Russie en 2009. | |
Oleksandr Sych | Andriy Mokhnyk | Oleksandr Myrnyi |