On tue en Tunisie. L’opposant Chokri Belaïd a sûrement payé de sa vie ses critiques répétées des milices islamistes. Abattu à bout portant, une balle dans la tête, une dans le cou.
La nouvelle de sa mort a provoqué une onde de choc dans tout le pays. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue appelant à la « chute du régime ». Les islamistes étalent leurs divergences : quand le Premier ministre, Hamadi Jebali, annonce la formation d’un gouvernement de « technocrates », Ennahda, son propre parti, répond qu’il n’en est pas question…
Comment ne pas s’interroger sur la responsabilité des islamistes au pouvoir dans la montée de la vague de violence qui submerge le pays ? Comment ne pas pointer du doigt le double langage de ses responsables que certains s’évertuent à nous présenter comme de gentils démocrates chrétiens à la mode musulmane ? Comment ne pas s’inquiéter quand leur chef historique, Rached Ghannouchi, refuse de condamner les groupes salafistes qui seraient – ce sont ses propres mots – « [ses] fils, [ses] enfants » ? Comment ne pas relever la passivité d’un pouvoir devant ces meetings de l’opposition attaqués, ces militants agressés, ces listes noires établies, ces menaces de mort proférées ? Comment ne pas fustiger sa complaisance à l’égard de ces Ligues de protection de la révolution qui font régner un ordre nouveau, tout d’imprécation et de terreur, mais présentées comme la « conscience de la révolution » par le président d’Ennahda…
Guerre des clans entre les plus « libéraux » des islamistes, emmenés par le Premier ministre, et le courant le plus rétrograde, porté par Rached Ghannouchi, tenant de l’aile dure ? Guerre d’influence entre Qatar et Arabie Saoudite, partagés entre le soutien aux groupes salafistes et à Ennahda, version tunisienne des Frères musulmans ? Reste que le « printemps arabe » va finir par faire douter jusqu’aux plus farouches de ses partisans.
Qu’ils soient chassés du pouvoir après avoir gagné les élections comme en Algérie en 1991 ou qu’ils accèdent aux postes de commande comme en Tunisie et en Égypte, les islamistes n’apportent que du malheur. Et sans regretter les régimes corrompus, népotiques, autoritaires qu’ils ont remplacés, on ne peut échapper à ce constat. Il serait bon de l’avoir en tête quand nous regardons du côté de Damas.
Il y a quelques années, je me souviens m’être promené avec Moncef Marzouki dans le parc Montsouris. Nous parlions, encore une fois, de cette Tunisie qui nous semblait condamnée encore pour longtemps à souffrir sous le règne de la famille Ben Ali. Il me disait, malgré tout, sa détermination et ses espoirs. Aujourd’hui Moncef occupe le Palais de Carthage. Il est le président de la République. Je ne voudrais pas qu’il se transforme en président potiche. En alibi.