Vouloir réformer un système qui s’effondre : une dangereuse utopie.
Quand cessera-t-on de perdre sa vie à tenter de la gagner ?
« Cette crise électorale n'est qu'un épisode de plus de cette crise systémique qui ne peut se résoudre que par la fin de la domination du capital et de la machine sur le travail humain.Quand cessera-t-on de perdre son temps à travailler pour que le fruit de son labeur soit accaparé par d'autres ? Quand cessera-t-on de perdre sa vie à tenter de la gagner ? L'enjeu est bien de modifier les gènes de ce système obsolète et dangereux - où le travail n'est que marchandise hâtivement monétisé dans la poche de quelques-uns - en changeant de paradigme. Avec l'ensemble de la richesse qui provient du capital collectif et humain accumulé depuis la nuit des temps ( connaissances, infrastructures, patrimoine public et privé, ressources naturelles ) , fruit du travail des générations précédentes, il est possible d'utiliser une partie de ce capital commun pour allouer à tous les citoyens, sans condition, les moyens de base ( connaissances et dispositions matérielles) pour se désaliéner partiellement du travail salarié et enfin pouvoir jouir du temps libéré pour exercer ses talents enfouis, dans des activités où l'on est certain d'en cueillir tous les fruits. » Ainsi nous dit Karol. Retrouvons-le et suivons sa démonstration.
Michel Peyret
Vouloir réformer un système qui s’effondre : une dangereuse utopie
AGORA VOX
par Karol
mercredi 2 avril 2014
Les résultats des élections municipales sont sans appel. Ils sanctionnent la politique hasardeuse d'un gouvernement qui avait la prétention de vouloir humaniser et requinquer un monstre vieillissant qui n'en finit pas de détruire tout ce que la Terre a mis à la disposition des hommes. Ces élections c'est un grand coup de gueule, un cri de désespoir contre ces pilotes imprudents du progrès qui nous conduisent inéluctablement dans le mur.
Cette gauche libérale, si elle a toujours besoin des votes des sans grades pour accéder au pouvoir, une fois élue, s'empresse de tourner le dos à sa base électorale pour prétendre laver plus blanc que la droite républicaine. Elle voudrait nous faire croire, cette gauche de progrès, que l'on peut transformer l'or en plomb, en faisant le bonheur de ceux, qui en s'accaparant de tout, ont encore le privilège de créer les emplois, tout en promettant de ne rien exiger de la grande masse des éternels perdants. En prime, moyennant quelques réformes sociétales "novatrices", elle s'affiche plus "progressiste" que la droite "réactionnaire", s'attachant ainsi à séduire cette petite bourgeoisie urbaine des grandes métropoles acquises à la mondialisation.
Avec la crise, conscient que la fin est proche, le système est de plus en plus vorace et de plus en plus violent. Il ne tolère plus des écarts au dogme de la compétitivité mondiale ni quelques conquêtes sociales qui, en leur temps, ont légitimé la gauche au pouvoir comme la retraite à 60 ans en 1982 ou les 35 heures en 1999 ; ses propres commissaires du FMI, de la BCE et de la Commission Européenne se chargent de veiller à sa bonne exécution.
Le résultat de ces élections, c'est le coup de sang de ces silencieux, ces éternels oubliés, ces gueules cassées de la politique, ces précaires, cette chaire à canon du capitalisme devenu global et total. Ce sont tous les soutiers d'un système finissant qui ont, par leur abstention, fait la grève du vote et ainsi ont tourné définitivement le dos à un système démocratique usé jusqu'à la corde. Ce sont tous ces désespérés, qui enfoncés dans le trou de la France profonde, s'accrochent à une main tendue sans se préoccuper de qui leur la tend et de quelle idéologie ou de quel parti est leur sauveur du moment.
Dans ces élections, peu nombreux sont ceux qui ont débattu sur comment gérer une communauté municipale, une ville ou un village. Non, beaucoup ont voulu tirer le signal d'alarme et hurler "ça suffit !" à ces élites qui nous embrouillent et nous conduisent toujours dans les mêmes impasses. Combattre cette pseudo démocratie,qui nous permet périodiquement de choisir la couleur des chevaux qui nous conduisent toujours sur le même chemin, est à l'ordre du jour. Il reste à inventer une nouvelle représentation de tous à tous les niveaux de décision.
CESSONS DE REPARER CE QUI NOUS DETRUIT (1)
Le XX° siècle a vu un déferlement d'inventions, l'automatisation des processus de production qui aurait dû rendre moins pénible le travail humain et qui en décuplant les capacités de production aurait pu libérer, en partie, l'homme du travail salarié. En moins d'un siècle les progrès scientifiques et techniques ont fait passer l'humanité d'une organisation de la rareté à une organisation de l'abondance subie (la société de consommation ). Pourquoi ce renouvellement technologique incessant n'a que relativement peu profité aux travailleurs et à la société dans son ensemble ? Pourquoi les inégalités n'ont cessé de se creuser tant au niveau des revenus que des patrimoines pour atteindre les niveaux que l'on connaissait déjà à la fin du XIX° siècle ? (lien )
Depuis Marx, si les progrès techniques ont bouleversé les modes de production, rien n'a changé dans l'antagonisme entre capital et travail. Au gré des rapports de force, des acquis sociaux ont été arrachés, non sans luttes, par les travailleurs. Mais les propriétaires de capital ont toujours réussi à reprendre d'une main ce qu'ils avaient concédé de l'autre. Ainsi, toute réduction du temps de travail s'est accompagnée d'une intensification de la production et en conséquence, ce temps libre gagné a été accompagné trop souvent par une détérioration des conditions de travail. L'augmentation phénoménale de la productivité par l'automation s'est traduite par une production en masse que la mondialisation et le marketing ont permis d'écouler aux quatre coins du monde.
Cette libre circulation des marchandises et des capitaux n' a fait que décupler les profits aux dépens des travailleurs, soumis qu'ils sont à la concurrence de la main d'oeuvre du monde entier et aux dépens aussi des Etats qui subissent le moins disant fiscal et l'attraction des paradis fiscaux. Cette abondance de la marchandise ne sert malheureusement pas les besoins de l'humanité. Elle n'a qu'un objectif, réaliser financièrement, le plus vite possible, l'investissement, sans se soucier du pillage des ressources terrestres et de la pollution des espaces. Pour ce monde des affaires, peu importe l'objet que l'on fabrique, il suffit d'être capable, par la magie de l'industrie de la publicité, de le vendre à des clients toujours de plus en plus nombreux. Ces dernières décennies, pour accélérer cette réalisation de la valeur marchande on n'a pas hésité à aliéner encore plus ces pauvres "travailleurs-consommateurs" par le développement du crédit à la consommation ou immobilier avec le prélèvement sur le pouvoir d'achat de l'emprunteur d'un intérêt par le système financier, devenu le seul maître en matière de création monétaire. La crise des subprimes a révélé l'ampleur de cette manipulation et comme toujours les Etats ont repris les pertes. Endettés, sous le poids de la charge de cette dette due aux banques privées, ils rognent alors sur les dépenses sociales et les acquis sociaux et conduisent les pays vers la déflation qui paralyse à son tour les échanges et accélérer la montée du chômage.
C'est parce que le travail, indépendamment de son rôle majeur dans la production des biens, reste encore la " médiation sociale" principale que nos sociétés sont aussi en crise. Sans contrat de travail, l'individu n'a plus accès à un logement, aux prêts et donc aux standards que nous impose le marketing. Très vite, avec l'augmentation du chômage, de l'intérim et de la précarité, le déclassement menace alors tout un pan de la population qui tombe dans le marée des perdants, des" loosers", des sans voix. Trop souvent alors, la vie se déglingue un peu plus, les familles éclatent, accélérant encore le déclassement dans la solitude d'un périurbain ou dans ces petites villes abandonnées par la mondialisation.
L'élite, habitante des grandes métropoles, performante en tout et dans tous les domaines, ne s'adresse plus qu'à elle même dans les "ghettos du gotha" ( 2), à elle l'héritage de 68, à elle les réformes sociétales, à elle l'universel, les plaisirs et les saveurs du monde, à elle la modernité. Le peuple des perdants, quant à lui, ne peut que sombrer dans la "beaufitude" et la béatitude devant la téléréalité que diffuse les écrans plats. La fracture ne cesse de s'élargir entre ces deux groupes devenus avec le temps antagoniques. Peu à peu la base électorale de cette démocratie représentative se réduit comme peau de chagrin à ceux qui sont encore concernés et qui peuvent encore tirer profit de ce monde marchand finissant. Le discours politique n'est plus que bavardage et n'est plus audible par la majorité. Le sociologue Jean-Pierre Legoff ( *) a, au cours de ses travaux,longuement analysé ce processus de différenciation de la société. ( lien ). "Nous vivons dans une société bavarde qui se paie de mots, pratique la langue caoutchouc de la communication et du management qui recouvre la réalité pour mieux la mettre à distance et la neutraliser."
Paul Lafargue dans "le droit à la paresse" affirmait déjà en 1881 " La passion aveugle, perverse et homicide du travail transforme la machine libératrice en instrument d'asservissement des hommes libres : sa productivité les appauvrit" ( page 36 ). Hélas depuis plus d'un siècle avec l'automation, l'informatisation et la mise en réseau des données et des individus, rien n'a changé, bien au contraire.
Le système de création de la richesse, par la seule domination du capital sur le travail humain a atteint des limites intolérables dans l'iniquité du partage des fruits de cette implication. Contrairement à ce que l'on veut nous faire croire ce système n'est pas réformable et il ne pourra jamais évoluer vers la satisfaction des besoins de l'humanité dans le respect des hommes et des ressources naturelles.
Ne nous laissons pas distraire par les promesses de plein emploi, par un " pacte de responsabilité" qui voudrait nous faire passer devant les chefs d'entreprises pour des irresponsables. François Hollande n'y pourra rien, ni les " courberies de Sapin " ( lien) . Au mieux ils gagneront un peu de temps avant l'effondrement final.
Cette crise électorale n'est qu'un épisode de plus de cette crise systémique qui ne peut se résoudre que par la fin de la domination du capital et de la machine sur le travail humain.Quand cessera-t-on de perdre son temps à travailler pour que le fruit de son labeur soit accaparé par d'autres ? Quand cessera-t-on de perdre sa vie à tenter de la gagner ? L'enjeu est bien de modifier les gènes de ce système obsolète et dangereux - où le travail n'est que marchandise hâtivement monétisé dans la poche de quelques-uns - en changeant de paradigme. Avec l'ensemble de la richesse qui provient du capital collectif et humain accumulé depuis la nuit des temps ( connaissances, infrastructures, patrimoine public et privé, ressources naturelles ) , fruit du travail des générations précédentes, il est possible d'utiliser une partie de ce capital commun pour allouer à tous les citoyens, sans condition, les moyens de base ( connaissances et dispositions matérielles) pour se désaliéner partiellement du travail salarié et enfin pouvoir jouir du temps libéré pour exercer ses talents enfouis, dans des activités où l'on est certain d'en cueillir tous les fruits.
En attendant, toute tentative de construire une alternative à ce système finissant ne se fera pas sans intégrer tout ceux qui ces deux derniers dimanches se sont abstenus ou ont émis un vote de protestation. La nomination de Manuel Vals au poste de Premier Ministre ne changera rien ; elle révèle une fois encore, combien nos élites se moquent des vicissitudes de la vie de la plupart de ses concitoyens et combien notre Président est beaucoup plus préoccupé à apaiser Bruxelles que ce tohubohu électoral pourrait courroucer.
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(*) Jean Pierre Legoff : " La démocratie post totalitaire" - " La Fin du village. Une histoire française"
(1) Voir l'article " ne réparer pas ce qui vous détruit" -
(2) Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, "Les ghettos du Gotha". Comment la bourgeoisie défend ses espaces Paris, Éd. Le Seuil, coll. Essais, 2007, 294 p.