La Résistance en Grèce, la violence policière lors des manifestations du 4 décembre 2014 à Athènes. Par Panagiotis Grigoriou.
greek crisis
Carnet de notes d'un ethnologue en Grèce
Une analyse sociale journalière de la crise grecque
Cagoulards nouveaux
Le centre-ville d’Athènes a suffoqué ce weekend dans un nuage de souillure policière. Comme d’ailleurs dans de nombreuses autres villes en Grèce, le samedi 6 décembre, les forces de l’ordre, en uniforme ou en porteurs de... cagoule, ont semé la panique, en assaillant les manifestants, les passants et les journalistes qui s’y trouvent par hasard ou par conviction.
Samarás, le lugubre Premier ministre récemment humilié par la Troïka une fois de plus, lui et son cadavre politique sont depuis à l’œuvre dans une entreprise terroriste d’en haut comme d’en bas via certaines unités d’une police de plus en plus prétorienne, entreprise de déstabilisation mortifère. Le “gouvernement” vise alors entre autres par la peur et par la médiatisation inévitable des scènes d’émeutes, à souder un certain électorat qui lui fait désormais défaut.
Prétextant la venue du Premier ministre Turc, le centre d’Athènes était déjà fermé à la circulation dès vendredi 5 décembre ; en réalité, il s’agissait d’un plan supplémentaire d’intimidation et de déstabilisation orchestré par l’extrémiste Samaras et par ses “cagoulards” nouveaux du XXIe siècle. Il faut noter que de nombreux policiers de la Sécurité, déguisés en manifestants et portant... la cagoule, agissent à leur seule manière pour ainsi... canaliser à chaud les événements.
D’ailleurs, le nombre d’agents de la Sécurité qu’on croise à Athènes depuis deux à trois ans, dépasse et de très loin la théâtralisation analogue de l’autre junte de jadis, celle des Colonels. Évidemment, ces gens ne portent pas d’uniforme, ils deviennent pourtant désormais repérables par le plus grand nombre d’entre nous, sauf par les touristes, lesquels pensent toujours qu’ils visitent un pays “démocratique” et immanquablement ensoleillé de “l'Union européenne”.
Sachant en plus que le maintient des institutions européistes finira par détruire et cela définitivement, toute souveraineté populaire, comme autant les derniers reliquats de la démocratie dite représentative en Europe, la visite vaut le détour dans un sens. Nouveau siècle.
En tout cas, le moment effectivement choisi par Samaras et ses extrémistes, est celui justement où de nombreux jeunes manifestent en soutien au gréviste de la faim Níkos Romanós, activiste anarchiste, condamné pour braquage d’une banque en 2013.
Le gouvernement, ainsi qu’une partie des medias inféodés à l’hybris, avaient déjà tenté à prouver que ce braquage revendiqué certes comme idéologique par Romanós et les siens, était autant une entreprise terroriste. En vain. Lors du procès en 2014, le procureur Grigóris Pepónis, avait déjà clarifié certains faits et procédés:
“Je ne vais rafistoler les lacunes et d'irrégularités dans ce procès comme dans le dossier d’instruction, celles de l’interrogatoire de la police entre autres... C’est la première fois que je vois des braqueurs si lourdement armés libérer ainsi leurs otages, ne pas tirer sur les policiers lors de la poursuite, et ne pas utiliser les otages comme bouclier humain afin de prendre la fuite. Il n'y a rien selon moi qui tend à prouver que ces jeunes appartiennent à un groupe terroriste”. Les six jeunes ont été condamnés à de peines allant de onze à seize ans d’emprisonnement ferme, quinze ans et onze mois plus précisément pour Níkos Romanós.
Cependant, la justice au pays Troïkanisé refuse à Níkos Romanós le droit d’étudier dans les conditions déjà prévues pour les détenus, et cela, en dépit de la législation interprétée de plus en plus selon la jurisprudence... du Samaritisme, du para-État et de la méta-démocratie.
L’histoire très contemporaine, aura dès lors retenu que Níkos Romanós était l’ami d’Aléxandros Grigorópoulos, assassiné le 6 décembre 2008 au centre d’Athènes par un policier des forces dites anti-émeute, et que les... émeutes (ou la révolte) ont débuté ensuite, au soir du samedi 6 décembre 2008 après la mort vers 21h, d’Aléxandros Grigorópoulos sous les yeux de son ami Romanós. À l’époque, tous les deux avaient alors tout juste 15 ans.
En décembre 2014, de nombreuses manifestations ont rassemblé d’abord dans le calme, plusieurs milliers de personnes à Athènes et un peu partout ailleurs en Grèce, sous des banderoles proclamant “La flamme de décembre 2008 n’est pas morte”, “Lutte contre la politique antisociale et la répression”. Ensuite, des incidents comme ont dit dans le langage journalistique habituel, ont éclaté pour l’essentiel initiés par les forces de la police lors des rassemblements, à Thessalonique, à Patras, à Mytilène et évidemment à Athènes, où certains bâtiments ont été occupés.
La députée SYRIZA María Bólari a vu samedi 6 décembre, un policier incendier une benne à ordures au centre-ville d’Athènes et d’autres policiers insulter les “citoyens”, passants comme manifestants. Et à Thessalonique au même moment, des policiers brisaient les vitres du bâtiment de la Centrale ouvrière intersyndicale pour y projeter des grenades chimiques sur les manifestants qui s’y étaient enfermés. Même attitude à Athènes, lorsque les forces des MAT sont descendues dans la station du métro située sous la Place Omónia, dans une véritable chasse à l’homme inondant la station de leur gaz... si familier.
La politique de la Troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international), est un génocide économique lent et la “gouvernance” Samaras se concrétise alors par la propagande, la terreur ; porteuses de mort, de népotisme et de corruption. Avant même les scènes de guerre d’Athènes et de Thessalonique de ce week-end, la police avait été envoyée la semaine dernière pour... stopper des handicapés dans leur marche vers le ministère des Finances. “Dans l'indignité nous mourrons” criaient-ils dénonçant la suppression de leurs allocations et pour certains d’entre eux, leur... expulsion du système de Santé publique (?).
Pour mon ami Yórgos de l’île de Chios, comme pour tous les Grecs encore en... âge de réfléchir, “la dignité résistante du gamin Romanós, stigmatise et pulvérise les frénésies criminelles de la secte de Samaras”. Yórgos n’est pas anarchiste, d’ailleurs il ne le sera jamais me semble-t-il, sauf que l’affaire Romanós connaît déjà une portée bien plus large, au-delà des idées politiques qui sont les siennes.
Comme par... ricoché politique, et d’après mes observations, des anarchistes et des gens de l’extrême gauche, comme ceux de l’écologie et sans oublier les orphelins du centre, à l’exception notable des adeptes du KKE (PC grec), tous, s’apprêtent désormais à voter en faveur de SYRIZA “rien que pour faire dégager cette infamie qui nous gouverne”, voilà ce que j’entends de plus en plus souvent. Ces gens, certes très critiques vis à vis du parti d’Aléxis Tsípras, espèrent du moins très concrètement, qu’un gouvernement SYRIZA garantira enfin les droits et les libertés élémentaires des citoyens dans le cadre d’un régime de... démocratie occidentale, ni plus ni mois, et cela, avant toute autre forme de politique à appliquer, liée au contexte que l’on connaît (Troïka, mémorandum).
Dimanche matin, et le calme revient à Athènes. Lundi, les parents de Romanos rencontreront Samarás, une rencontre que leur fils vient de désapprouver par une lettre rendue publique. Samarás le lugubre n’aurait peut-être pas perdu tout sens de la raison, espérons-le en tout cas. Pourtant, et c’est bien connu, peu de maladies... idéologiques provoquent une hyperacuité (niveau élevé de conscience) lorsque la fin politique approche. En général, les mourants politiques ne savent plus précisément où ils sont, ni qui est dans la pièce, c’est à dire dans quel pays.
Vidéo à l’appui en attendant...
Chaotic scenes in Athens, as peaceful march turns into clashes
Reuters relate aussi à sa manière les événements du samedi: “Chaotic scenes in Athens, as peaceful march turns into clashes”. On y redécouvre “nos” policiers, frapper violement des manifestants après interpellation. De la... gratuité !
La presse de la semaine se souvient aussi autant des événements de décembre 1944, toujours à Athènes, inaugurant alors la bataille qui opposa les forces Britanniques, les Royalistes et les paramilitaires déjà au service des Allemands, à ceux de la gauche, en prélude... à l’inutile guerre civile qui prit fin en 1949, dans un sens... comme déjà une certaine Grèce.
Dans le même ordre de ce si nouveau siècle, la presse de gauche en Grèce s’interroge sur la signalétique (un triangle jaune) que les autorités municipales de la ville de Marseille veulent imposer aux nombreux sans-abris de la cité Phocéenne. Les analogies sont flagrantes, tout comme le contexte.
Reproduisant la Toile célèbre du peintre belge Rubens, représentant Cronos dévorant un de ses enfants, Margaríta Koulendianoú au “Quotidien des Rédacteurs” évoque, à la fois le drame vécu ceux qui souffrent en Grèce du cancer en plus de la Troïka, le décès d’une prostituée séropositive dont l’identité et la photographie avaient été rendues publiques par le ministre PASOK de la Santé il y a deux ans, Lovérdos actuellement... à l’Éducation (“socialiste”), et au motif “du danger public qu'elle représentait pour les bons pères de famille, ses clients” (sic). “Cronos s'apprête à dévorer alors cet autre enfant, Nikos Romanos”, écrit la journaliste.
Tandis qu’à Athènes il fait toujours beau et doux, des touristes venus de Chine se font photographier sur l’île d’Égine et les passagers... locaux de retour de Salamine restent durablement accablés et silencieux. Puis, d’après une association qui tire la sonnette d’alarme: deux enfants obligés à se prostituer ont été contaminés par le SIDA, “les pédophiles ont ainsi payé cinq euros de plus, pour chaque rapport sans préservatif”, rapporte le quotidien économique “Naftemborikí”. Telle est la (dernière) nouvelle Grèce de Samaras, du Merkelisme européiste et de la Troïka, la répression policière en plus.
Loin, très loin des ambiances supposées festives “à l'approche des fêtes de fin d'année” à Paris ou ailleurs, les Grecs d’ici perçoivent plutôt la fin effective de l’après 1945 et du XXe siècle (aussi) en Europe. Noël pour nous n’est qu’un souvenir du temps d’avant, tant nos apories (aporie en grec c’est aussi la pauvreté)... cognitives et financièrement si patentes... à l’instar du greekcrisis nous téléportent vers un futur déjà entamé.
Enfin, notre écrivain Mènis Koumandarèas, 83 ans, l'un des auteurs les plus reconnus de notre pays, traduit aussi en français, a été assassiné et découvert mort samedi 6 décembre à son domicile d'Athènes.
Temps alors concrètement grave, temps imaginaire et temps décidément si significatif comme dirait encore Cornelius Castoriadis, un temps sans téléologie et une histoire des humains comme processus de création, une progression pourtant qui n’a rien d’inéluctable. Ainsi Cronos, souvent confondu avec son homophone Chronos divinité primordiale du temps, dévorera alors certains de ses enfants.