Des experts russes analysent la situation en Ukraine et en Russie
La Russie depuis le XVIIIème siècle jusqu'à 1920 Ce n'est pas Poutine qui inclus l'Ukraine dans l'Empire russe . Celui-ci s'est construit depuis le Moyen-Age à partir de Kiev berceau de la Russie
Russie, Ukraine.
Commentaires de 9 Experts Russes
Lu sur PCF Bassin
16 Mars 2015
Le 12 mars 2015, le magazine Zavtra a publié sur son site le compte rendu d’une « table ronde » organisée autour de la situation actuelle en Russie, et en Ukraine, de ses causes et de son impact pour l’avenir. Le débat était « modéré » par Alexandre Nagorny, secrétaire exécutif du Club d’Izborsk.
Le cadre du débat était ainsi circonscrit : La société russe et l’État russe ne sont pas prêts pour résister à l’agression américaine. Neuf experts prennent la parole à tour de rôle.
Alexandre Nagorny,
Secrétaire exécutif du Club d’Izborsk.
A la suite de la liquidation du chaudron de Debaltsevo et de la conclusion des accords de Minsk, il devint tout à fait évident que la pression de l’Occident sur notre pays n’allait pas s’alléger : les sanctions se prolongent, le soutien à la junte de Kiev sur les plans financier et de l’information, de la part des États-Unis et de leurs alliés, se renforce, et on parle de la légalisation de l’envoi à Porochenko & Co de nouvelles armes, par trois pays. Parallèlement, on recourt à toutes les méthodes possibles pour déstabiliser notre pays : depuis la baisse de la notation des crédits et la chute du cours du rouble jusqu’au meurtre de Boris Nemtsov. Il est parfaitement clair que la cible principale n’est pas l’Ukraine, mais la Russie et ses richesses, ses ressources, sur lesquelles un contrôle total, à n’importe quel prix est devenu aujourd’hui « une question de vie ou de mort » pour l’Occident. C’est ainsi que le navire de notre État est secoué tant de l’extérieur, à travers l’Ukraine, que de l’intérieur, à travers l’activité d’« agents d’influence » pro-occidentaux qui se coupent en quatre pour que le niveau de conflit entre la société et le pouvoir atteigne le niveau critique qui fut le sien lors de la « perestroïka » de l’URSS, fin des années ’80 et début des années ’90 du siècle dernier.
C’est précisément la « perestroïka » de Gorbatchev qui a conduit à la guerre civile en Ukraine, dont l’issue n’est pas encore évidente.Et même si les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, antifascistes, ont décroché une victoire considérable en prenant le nœud ferroviaire de Debaltsevo, le rapport de force entre les républiques du Donbass et la junte de Kiev n’est pas en faveur des premières, et le potentiel couplé des États-Unis et de ses alliés est de loin supérieur au potentiel de la Russie, ceci permettant au « comité local » de Washington de mener contre notre pays une guerre d’usure de plusieurs années. Pour cette raison, dans le cadre du conflit en cours, la Russie est obligée de réaliser de réels miracles d’efficacité, de trouver de nouvelles méthodes et instruments permettant de résister à l’agression américaine. Surgit dès lors une question importante : comment la Russie peut-elle arracher la victoire dans un contexte aussi défavorable ? Je pense que l’année qui vient de s’écouler a montré à suffisance qu’il n’existe pas de « plan secret » permettant de résoudre les problèmes ukrainiens. Plus encore, nos autorité politiques ne manifestent aucune détermination précise à cet égard, et cette dimension du problème a d’ores et déjà permis la déstabilisation du pays.
Nous nous souvenons tous encore de de la manière dont Lénine avait défini la situation révolutionnaire : « Plus haut, ils n’en sont pas capables, plus bas, ils ne veulent plus ». Alors qu’aujourd’hui en Russie, c’est l’inverse : « plus bas, ce n’est pas possible, plus haut, ils ne veulent pas ». Notre situation peut être qualifiée d’antirévolutionnaire et de crise.
Toutefois, il est possible de retourner cet état des choses relativement vite. Notre table ronde nous permettra d’évaluer une telle perspective, les risques et les possibilités qui existent pour notre pays aujourd’hui. En quoi la situation en Ukraine correspond-elle à la situation en Russie, et en quoi ces situations diffèrent-elles?
Alexeï Belozierski,
expert militaire.
Avec la signature des accords de Minsk, en février, a pris fin la deuxième campagne militaire importante de l’armée de Kiev contre les forces armées de Nouvelle-Russie. Cette campagne a montré que le processus de formation des forces régulières des républiques populaires de Donetsk et Lougansk fut tout à fait à la hauteur de la situation. La capacité de combat de ces unités fut particulièrement plus élevée que ce à quoi s’attendaient les généraux de l’ancienne armée ukrainienne et leurs conseillers occidentaux. Non seulement elles parvinrent à repousser l’assaut lancé par Kiev, mais de plus, avec des forces moindres et des pertes minimales, elles ont été capables de contre-attaquer et de porter des coups décisifs, les plus puissants étant la prise de l’aéroport de Donetsk et ensuite l’encerclement des opposants dans le district de Debaltsevo et la liquidation du chaudron ainsi créé.
Toutefois, les forces armées de Nouvelle-Russie ne furent pas assez puissantes pour amplifier ces succès et infliger à l’ennemi une défaite décisive, suite au fait qu’elles ne disposent pas d’une gamme complète d’équipements modernes, particulièrement ceux qui maximisent la puissance de feu, et que leur encadrement reste, on peut le dire, insuffisant. Cinq brigades de deux bataillons réparties en deux corps, trois à Donetsk et deux à Lougansk fournissent une garantie suffisante, dans les circonstances actuelles, pour protéger les territoires des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk de l’armée de la junte de Kiev. Mais ce niveau rend impossible toute opération d’assaut général et de grande envergure.
C’est pourquoi il fut décidé de doubler en nombre d’hommes le volume des forces armées par voie de mobilisation complémentaire. Le rythme et le rendement de celle-ci ne sont, à ce jour, pas très élevés : de 100 à 120 hommes par jour. Mais dans un avenir proche, environ un mois et demi ou deux mois, cela permettra de constituer une nouvelle brigade et deux bataillons de blindés, équipés essentiellement de matériel conquis au détriment de l’ennemi, et récupéré dans le chaudron de Debaltsevo. A ce jour, une trentaine de tanks sont en état de marche, le reste devant faire l’objet de réparations moyennes ou anodines. Il en va de même pour les systèmes d’artillerie.
Du côté ukrainien, malgré la mise en route de la quatrième « vague » de mobilisation, ils ne sont pas en mesure de déployer et d’équiper une unité de combat capable de venir à bout des forces de Nouvelle-Russie. En nombre, ils ne dépassent pas 30000 à 35000 hommes, ce qui est insuffisant pour réussir une offensive. Et Kiev ne dispose pas d’un système de commandement unifié de ses forces. Ils ont un système de commandement pour les forces armées, un autre pour la garde nationale et chaque bataillon de volontaires est dirigé par un canal qui lui est propre. Cela atteint des proportions telles qu’à proximité d’un village, dans la région de Lougansk s’est déroulé non pas une fusillade, mais une réelle bataille, avec morts et blessés, entre le bataillon «Krivbass» et une brigade de la garde nationale. On constate toutefois aujourd’hui que dans la garde nationale, l’entraînement des hommes mobilisés est beaucoup plus important qu’il y a quelques mois. La durée de la préparation a doublé, elle est plus intense, et est conduite par des « vétérans de l’opération punitive » ainsi que des instructeurs occidentaux. Mais la majorité des miliciens « ukrainiens » est sujette à la panique ; ils ne veulent pas se battre et ne comprennent pas en vertu de quoi ils doivent le faire.
Le deuxième point faible est la détérioration de l’équipement matériel et technique des troupes de Kiev. Ils n’ont clairement pas assez d’artillerie, pas assez de blindés, particulièrement de tanks, et sont déjà à court de certain types de munitions, à nouveau pour l’artillerie et pour les lance-roquettes multiples. Cet affaiblissement sensible du potentiel militaire de la junte peut expliquer les appels à l’introduction d’un contingent international de maintien de la paix, lancés par Kiev, et les exigences formulées de façon quasi hystérique par Porochenko, Yatseniouk & Co en matière d’envoi de systèmes d’armements de la part de l’Occident. Si les États-Unis commencent à donner satisfaction à de telles exigences et envoient leurs instructeurs militaires sur le territoire de l’Ukraine, et c’est ce qu’on a constaté ces derniers temps, cela signifie qu’ils entrent sur le chemin glissant de la « vietnamisation » d’un conflit qui ne ne peut se terminer d’une manière qui leur serait favorable.
Youri Chepeliev,
économiste.
La thèse selon laquelle l’actuelle crise ukrainienne ne peut être résolue par la voie militaire, est devenue un lieu commun. On présuppose donc de cette façon que la solution à cette crise devrait être politique. Mais qu’est-ce que cela implique ? Que les représentants de l’actuel pouvoir à Kiev, par l’entremise de l’Union européenne, la Russie, les États-Unis ou l’ONU parviennent à un compromis avec les représentants du Donbass qui s’est soulevé ? Pardonnez-moi, mais ni les uns, ni les autres ne représentent rien. Je ne parle pas de leurs qualités humaines, mais de leur potentiel socio-économique. De ce point de vue, Kiev est tout à fait nul et, excusez-moi, Donetsk et Lougansk constituent des entités de taille négligeable. A quoi se réfère-t-on, lorsque les autorités des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk changent tout les deux ou trois mois ? En un an quasi rien n’a été accompli en matière de création d’un système bancaire, ou d’un système de communication. « Banques, téléphone, télégraphe » Il ne s’agit pas de la formule d’une révolution, c’est la formule du pouvoir.
Laissons de côté des points aussi sensibles que le transit de l’énergie ou la recapitalisation des banques commerciales de Russie qui œuvrent sur le territoire ukrainien. Malgré tous leurs cris à propos de « l’agression par la Russie » et le « soutien aux terroristes », les autorités de Kiev, en un an, n’ont pas accompli le moindre pas qui aurait pu porter préjudice aux intérêts de l’État de Russie ou du grand capital de Russie. Cela signifie que le sang coule, à un certain niveau, et qu’à un autre niveau, on assiste à des négociations, des discussions, de la collaboration, et autres idylles sur le mode soviétique.
Devant tout cela surgit une question légitime : mais que se passe-t-il donc ? Destruction et chaos ont été semés dans la région industrielle la plus importante d’Ukraine, dans laquelle vit une population de plus de six millions d’habitants et qui produit un quart du PIB et 40% du total des exportations. Il y a des dizaines de milliers de morts, des millions de réfugiés. Mais qui a besoin de cela, et pourquoi ? Qu’on le veuille ou non, cette question nous force à admettre que l’on pratique et teste les technologies d’une nouvelle guerre mondiale, tout à fait comme elles le furent en Espagne en 1936-1939, à la veille de la seconde guerre mondiale, avec la cinquième colonne, la propagande à la Goebbels, etc.
Et si la Russie constitue le véritable but de la crise ukrainienne, ce qui à mon avis est le cas, alors, tout prend un sens. On a posé les fondations du maïdan en 2010 déjà, lorsque sous le couvert d’une politique « anti-crise », la Banque nationale d’Ukraine a élevé son taux jusqu’à 15%. Et à cette époque, l’ambassade des États-Unis à Kiev était dirigée par Monsieur Tefft, qui dirige aujourd’hui l’ambassade des États-Unis à Moscou. Mais il ne s’agit que d’un hasard, n’est-ce pas ? De plus, le cours de la grivna ukrainienne est resté stable, mais le cours du rouble s’est effondré et les taux ont augmenté et les sanctions sont arrivées. Quelqu’un a hâte d’affamer et de rendre mécontentes au plus vite les masses de la population de Russie. Pour qu’elles se dressent contre le pouvoir en place et l’en déloge ?
En sept ans, en Ukraine, à travers la manipulation des taux bancaires, quasiment tout le secteur des petites et moyennes entreprises a été détruit, éliminé, les prix ont augmenté et les salaires ont diminué. Le taux de chômage est très élevé. Les banques ont dévalisé la population, et le pouvoir n’a rien fait : après tout, les réserves de change augmentaient, le clan de Donetsk et la « famille » Yanoukovitch moissonnaient sans cesse de nouveaux actifs. C’était la belle vie ! Je pense qu’il serait très dangereux pour le Kremlin de marcher sur le même râteau.
Serguei Zavorotny,
politologue.
L’opposition ukrainienne, favorable à la Russie rejette catégoriquement les résultats des élections tant présidentielles que parlementaires, dans la mesure où ces scrutins furent fictifs, virtuels, et leurs soi-disant résultats étaient programmés et arrangés à l’aide de programmes informatiques dédiés à cet effet. Il aurait fallu insister sur le fait que le « transfert de pouvoir » à Kiev, organisé par les Américains, fut un coup d’État ; la junte du maïdan n’étant pas l’autorité légitime d’Ukraine. A ce propos, Poutine a lancé une remarque tout à fait significative à ses « partenaires » occidentaux: vous nous avez demandé d’admettre les résultats des élections, et nous avons voulu faire un pas vers vous, afin qu’une solution puisse être apportée au conflit, et qu’en avons-nous retiré ? Mais ce qui est fait, est fait, et la Russie ne peut revenir en arrière, elle doit agir à partir de la situation existante.
A mon avis, Minsk-2, à la différence de Minsk-1 est un document diplomatique, et non un morceau de papier couvert de signes incompréhensibles. Ce sont les services de Sergueï Lavrov qui ont travaillé sur le texte de l’accord, et le respectable Mikhaïl Zyrabov fut écarté de l’élaboration de la formulation du texte, et, pour le dire avec délicatesse, fut invité à patienter dans la pièce voisine, avant de venir apposer sa signature. La question clé du contrôle des frontières fut déplacée à la fin du texte, et liée à une masse de conditions préalables, par définition impossibles à respecter par Kiev. Et ce, parce que la situation générale sur le territoire sous son contrôle s’approche à grande vitesse de la catastrophe, alors que personne n’y bombarde, ni ne mitraille les villes et villages ukrainiens, ni ne détruit l’infrastructure sociale et industrielle du pays. Existerait-il aujourd’hui en Ukraine des forces capables de diriger un processus de stabilisation. Non. C’est « l’homme au revolver », ou plutôt « l’homme à la mitraillette » qui est devenu le personnage politique principal. Ce sont les bataillons punitifs, la terreur et la répression qui, dans l’avenir proche, constitueront les facteurs soutenant et renforçant l’Ukraine. Il suffirait que le FMI cesse d’aider financièrement l’Ukraine et que les bataillons punitifs ne soient plus soutenus par les oligarques pour que démarre un tout autre processus.
Serguei Batchikov.
Dans une certaine mesure, je connais la situation de l’intérieur, c’est pourquoi je puis dire qu’il ne faut pas utiliser les mots « Russie », « nous » ainsi que d’autres abstractions du même type dans les circonstances actuelles. Il ne faut pas prendre ce qu’on souhaite pour la réalité. Si nos intérêts personnels, de groupes (économiques) et nationaux coïncidaient, nous pourrions déplacer des montagnes, et pas seulement celles de Crimée. Mais une telle coïncidence qui exista lors de la Grande Guerre Patriotique, n’existe plus aujourd’hui chez nous. La crise en Ukraine et la crise en Russie furent rendues possibles parce que certaines entreprises et certains individus se sont fait des milliards et des milliards de cette façon ; comme on dit, pour certains, la guerre est une mère. C’est-à-dire que l’incidence du vecteur subjectif de la politique de la Russie tend non seulement à se réduire, mais à disparaître. Et lorsque les agences de notation nous mettent cela sous le nez, nous ne comprenons pas et parlons de manque d’objectivité, de provocation et de complot…
Il ne peut y avoir de subjectivité politique réelle hors du cadre d’un projet politique. Et quel est notre projet politique aujourd’hui ? Nous en avons eu un, construire le communisme. Pourquoi a-t-il échoué, on peut en parler à l’infini, mais un fait demeure un fait. On a renoncé à ce projet. Après, arriva un autre projet, construire une économie globale, avec la communauté mondiale. Cela n’a pas réussi non plus. Pas de notre faute, mais à cause de l’effondrement de la société mondiale et de l’économie globale. On voulait se marier, mais la grand mère est morte, et on partage l’héritage sans nous. Qu’avons nous à la place ? Dans le cadre de quel projet voulez-vous construire une subjectivité politique et la modifier si besoin ? Dans le cadre du « Monde Russe » ? J’y suis tout à fait favorable, mais regardons les choses avec objectivité. « Le Monde Russe », c’est dix fois moins de monde que l’Occident et bientôt, ce sera moins de monde qu’en Chine. Cela veut dire que notre monde devra être au moins dix fois meilleur que les leurs pour ne pas se retrouver écrasé entre les deux. Rien à faire, depuis l’économie jusqu’à l’idéologie, dans toutes les directions nous n’avons qu’échec et dépression.
Tout le monde rit de la réduction de 10% des salaires des dirigeants de l’État de Russie. Alors qu’il faudrait pleurer, car de telles mesures ne peuvent être prises que par des faibles d’esprit dépourvus de solutions raisonnables : chers concitoyens, il n’y a rien qu’il soit possible de faire pour vous, c’est pourquoi nous patienterons et nous nous serrerons la ceinture avec vous. Tous les Navalnys, les Khodorkovskis, les Obamas et les Kerrys ne pourrons jamais venir avec quoi que ce fut d’aussi diffamant et porteur de discrédit que ce geste des dirigeants de la Russie. Comme disait Talleyrand, ce n’est pas un crime, c’est une erreur, ce qui est beaucoup plus grave. Bien sûr, Poutine peut remplacer l’actuel gouvernement et les dirigeants de la Banque Centrale. Mais cela n’a aucun sens en l’absence de tout projet nouveau. A quoi sert de changer le poinçon sur le savon ?
Mikhaïl Deliaguine,
Docteur en sciences économiques, Directeur de l’Institut des Problèmes de la Mondialisation.
Je suis tout à fait d’accord avec les thèses exprimées par Sergueï Anatolevitch. Je souhaite préciser que ce ne sont même plus les grands États qui interviennent en qualité de sujets de la politique mondiale, comme ce fut le cas dans le cadre du système de Yalta-Potsdam, mais les multinationales géantes, et avant tout, celle du domaine financier, qui n’ont tout simplement plus besoin de la médiation politique des États nationaux. Poutine peut conclure tout les accords qu’il veut avec Obama. Ce n’est pas le 44e Président des États-Unis qui décide, mais les multinationales qui l’ont sorti de l’obscurité et en ont fait un président. Et il leur faut exporter le chaos. Pour que le capital du monde entier se rue sur le dollar, se rue aux États-Unis. Pour que le vent financier souffle à nouveau paisiblement. Telle est la stratégie de déclenchement d’une troisième guerre mondiale destinée à préserver et renforcer le leadership mondial des États-Unis.
Nous parlons de tout cela seulement parce qu’existe une forme de différend entre le Kremlin et ces conglomérats multinationaux pour ce qui concerne le domaine foncier. Non pas « qui enterre qui », mais à propos de la répartition de la production des gisements de matières premières situés en Russie. Le résultat consiste en ce que nous n’assistons pas à un combat à mort, mais une sorte de bras de fer, « qui replie qui? ». Nous vous replions, avec le BRICS, et le centre de paiement de Shangaï, et vous nous repliez, avec le coup d’État à Kiev et les sanctions. Nous vous replions, avec la réunion de la Crimée et les contrats gazier et pétrolier avec la Chine. Vous nous repliez avec le génocide au Donbass, l’effondrement du rouble et des cours du pétrole plus l’hyperinflation sur notre marché de la consommation.
Et avec cela, la « verticale du pouvoir » toute entière n’a pas renoncé au moindre kopek de ses intérêts, en faveur de la société. Le budget a été ponctionné, et on continue à le ponctionner. En cela les propriétaires de luxueux châteaux en Europe et de non moins luxueuses villas aux États-Unis se conduisent comme si ces châteaux et ces villas n’existaient pas et n’avaient jamais existé. Et dès lors, la guerre civile en Ukraine est utilisée pour détourner l’attention de la population des activités de la cinquième colonne, agents des multinationales dans les organes du pouvoir fédéral. Le seul aspect positif que je puisse distinguer dans la situation actuelle réside en ce que les autorités ont commencé à se remuer sur le terrain car cela commençait vraiment à sentir le brûlé. Lorsque, par exemple les réfugiés d’Ukraine ont commencé à se mettre en mouvement, on clamait que les régions n’avaient pas l’autorité légale permettant de résoudre toutes les questions liées aux problèmes des réfugiés. Une solution fut trouvée dans le district de Khabarovsk, où on proclama l’état d’urgence. Il n’y avait pas beaucoup de réfugiés à cet endroit, quelques milliers, et il y avait aussi des victimes d’inondations, un malheur s’ajoutant à l’autre, mais il n’y a de malheur qui ne soit un bonheur déguisé… A mon avis, notre situation demeurera quasiment stable jusque fin octobre. Après il faudra voir.
Vladimir Ovtchniski,
docteur en sciences juridiques.
Le fait que le système d’architecture mondiale élaboré à Yalta et Potsdam ait été rendu obsolète ne pouvait déjà plus être contesté dès après la destruction de l’Union soviétique, c’est-à-dire voici 23 ans. Après la proclamation de l’indépendance de l’entité Kosovo-et-Métochie, c’est devenu un facteur évident, et après la réunion de la Crimée à la Russie, on peut dire qu’il s’agit d’une modification des normes de politique internationale. Le problème consiste en ce qu’un nouveau système n’existe pas encore, et tout laisse croire que cela ne porterait pas à conséquence, qu’un tel système ne serait pas nécessaire. Mais il n’en va pas ainsi. Les États nationaux ont toujours été défendus par des groupes d’influence qui se mettaient à leur tête ; il n’y a rien d’inhabituel à cela. Rappelons-nous la guerre d’indépendance aux États-Unis, la Révolution d’Octobre,… On peut constater ce genre de choses dans l’histoire de tout État. Par contre, la structure interne de tels groupes d’influence constitue une question très particulière. Mikhaïl Guennadievitch est un expert reconnu en matière de mondialisation, particulièrement dans sa dimension économique, et il sait très bien qu’il est impossible, en principe, de rembourser la dette accumulée par les États-Unis.
Mais il est possible de l’effacer, soit au moyen du défaut, et de la guerre qui s’en suivrait, soit au moyen d’une guerre, sans le défaut et dans le cas où le gagnant rafle toute la mise et qu’il ne demeure au perdant que ses larmes pour pleurer. C’est pourquoi le choix des États-Unis est tout à fait compréhensible, et personne n’a jamais nourri aucune illusion à ce sujet. Certainement pas au Kremlin.
C’est autre chose que d’identifier par quoi et comment répondre à cette agression globale. Il est clair que les Américains veulent découper la Russie en morceaux. Le coup le plus puissant ne sera pas donné par les nationalistes ukrainiens, mais par les guerriers islamistes. Il est clair que dès l’été prochain on pourra observer leurs activités dans les républiques post-soviétiques de l’Asie Centrale, où nous devons consacrer une partie de nos forces à obtenir des accords inter-gouvernementaux. Après cela surgiront de nouveaux foyers de confrontation armée dans le Caucase-Nord et, peut-être dans la région de la Volga. Et même en Crimée. Ensuite, un coup pourrait être porté sur le territoire de l’Ukraine. Nos forces seront-elles à même de répondre à l’ensemble de ces menaces et défis hors du contexte d’une mobilisation du régime ? Non, bien entendu. Dans quelle mesure une mobilisation du régime pourrait-elle être efficace ? C’est là une question ardue car nous pourrions bien nous retrouver dans une situation beaucoup plus difficile que celle qui prévaut en Ukraine aujourd’hui.
Elena Larina,
conflictologue.
Dans tous les cas, nous devons nous attendre à une nouvelle vague de sanctions anti-Russie de la part des États-Unis et de leurs alliés, à la diffamation et la démonisation du Kremlin par les médias de par le monde, à des provocations semblables à la destruction du Boeing malaisien et au meurtre de Boris Nemtsov. On ajoutera que la Russie n’est pas en mesure de répondre à toutes ces provocations. Les capacités de le faire existent, mais elle ne peuvent être mises en œuvre sans ouvertement « casser de la vaisselle » avec l’Occident de façon générale. Mais il s’y trouve des actifs que la Russie n’a tout simplement pas le droit de perdre. Ce sont précisément ces circonstances qui, à mon sens, déterminent la position mitigée du Kremlin , « ni guerre, ni paix».
Sergueï Glaziev.
Académicien, Académie des Sciences de la Russie.
Sommes-nous d’accord avec l’existence à nos frontières, d’un État d’essence néonazie et très agressif vis-à-vis de la Russie ? En quoi les accords de Minsk seraient-ils meilleurs que la Paix de Brest ?
Il est certain que les États-Unis veulent que se déchaîne une nouvelle guerre mondiale, selon un scénario qui leur est familier et a par deux fois résulté en des succès pour eux. Le principal, à leur yeux, c’est que le front de cette nouvelle guerre se situe en Europe, car sans front en Europe, il ne peut y avoir de guerre mondiale. A tout prix ils ont besoin de la consolidation de l’OTAN face à la Russie. Notre contre-stratégie : ne pas nous laisser entraîner dans une guerre avec l’Europe.
La situation s’est développée de façon telle qu’aujourd’hui, celui qui entamera la confrontation sera perdant. On peut dire que la position actuelle du Kremlin est une position de faiblesse, indécise, hybride, mais à long terme, elle est absolument juste. L’hystérie d’Obama à propos de «l’isolement international » de la Russie et de la situation de notre économie, « déchirée en lambeaux », est très significative à cet égard. Ces remarques ne correspondent pas à la réalité et affectent la crédibilité des États-Unis aux yeux du monde.
Il est déjà clair que la « guerre éclair » concoctée par les Américains pour l’Ukraine a échoué, de la même façon qu’échoua la guerre éclair du roi de Suède Charles XII contre Pierre Ier. Il leur reste à changer rapidement leurs plans et à orienter leurs coups directement sur la Russie, sur Moscou. Ces coups seront mis en œuvre par toutes les forces disponibles, toutes les réserves : depuis la cinquième colonne par laquelle est vermoulue la verticale du pouvoir, jusqu’aux « fanas » de football et aux séparatistes de tous poils. Le meurtre de Nemtsov et les cris de l’opposition libérales à propos d’une menace d’une « nouvelle année ’37 » sont intimement liés. Tous comprennent qu’il est impossible, dans le cadre et avec le système de direction actuel en Russie, de mener et surtout de remporter une guerre contre les agresseurs américains. C’est la raison pour laquelle ils feront tout pour qu’on ne modifie pas le système de direction politique du pays et pour balayer toute idée de « nettoyage » des organes du pouvoir.
Mais la logique des circonstances est plus forte que la logique d’intention, et elle est telle que ce qui ne fut fait hier ni aujourd’hui sera encore plus difficile à réaliser demain et d’autant plus après demain.
Alexandre Nagorny
Sergueï Yourievitch, permettez-moi de ne pas être d’accord. La tactique consistant à attendre et permettre au conflit de s’éterniser, sans clarifier les relations avec le régime de Kiev (soit, ils sont partenaires, soit il s’agit de néobandéristes à l’idéologie fasciste) correspond à une stratégie de guerre d’usure. Et une telle guerre sera inévitablement gagnée par la partie qui dispose des réserves et des ressources les plus importantes (des points de vue militaro-stratégique, économique, démographique, et le dernier mais non le moindre, celui de la propagande). Il en découle que l’unique voie vers la victoire est la voie de Souvorov : tirer l’épée et frapper aux endroits les plus vulnérables de l’adversaire, tout en utilisant ses faiblesses. Et il faut le faire de façon très rapide. Évidemment, le pouvoir actuel ne se résoudra pas à une telle exacerbation du conflit, ce qui le conduira à la défaite non seulement en Ukraine, mais dans notre pays, dans la mesure où Washington a déjà recours au « facteur ukrainien » et le fera de plus en plus pour susciter un retournement politique dans la Fédération de Russie, scindant celle-ci en plusieurs «nouveaux États indépendants » du type de la soi-disant « Kazakie ».
En conclusion, il semble aux participant à cette table ronde que les prévisions à court terme soient clairement négatives. Les tensions sociales dans le pays vont croître exponentiellement, s’ajoutant à l’avalanche de problèmes en matière de politique extérieure. De ce point de vue, l’année 2015, déjà entamée, paraît devoir être déterminante, et même décisive dans le façonnage à long terme du destin historique de la Russie. Toutefois, si nous parvenons à traverser cette phase critique sans perdre notre intégrité en tant qu’État, ni encore l’unité de notre État, ce sont nos « partenaires » occidentaux qui se retrouveront avec de gigantesques problèmes. Pour que ce scénario très optimiste puisse se réaliser, il est indispensable de passer immédiatement à un projet mobilisateur à l’intérieur de notre pays, et de renforcer les collaborations, dans l’axe de l’intégration eurasiatique, de l’Organisation de Shanghai et du BRICS, tout cela s’intégrant dans un schéma d’alliance stratégique avec la Chine et de création d’un monde multipolaire prenant la place de l’empire du dollar, la pax americana.