Un haut fonctionnaire ukrainien incite l’Occident à risquer une conflagration nucléaire pour soutenir la « guerre totale » contre la Russie à laquelle, selon lui, les autorités de Kiev aspirent à présent. Il confirme ainsi l’extrémisme qui prévaut aujourd’hui au sein du régime en place depuis un an à Kiev et soutenu par les États-Unis.

Dans un entretien avec la radio canadienne CBC diffusé récemment, le Ministre délégué des affaires étrangères ukrainien, Vadim Pristaiko a déclaré que « tout le monde a peur de se battre avec un état [possédant l’arme] nucléaire. En Ukraine, ce n’est plus notre cas tellement nous avons perdu d’hommes et de territoires. »

Peter Sellers tentant, dans Docteur Folamour, d'empêcher son bras droit de faire le salut nazi.

Peter Sellers tentant, dans Docteur Folamour, d’empêcher son bras droit de faire le salut nazi.

« Même si cela semble dangereux, nous devons impérativement arrêter [le président russe Vladimir Poutine] », a ajouté Pristaiko. « Pour la Russie aussi, et pas seulement pour les Ukrainiens et l’Europe. » Le ministre délégué aux affaires étrangères a annoncé que Kiev se préparait actuellement à une « guerre totale » contre la Russie et souhaitait que l’Occident fournisse des armes et une formation afin de porter la lutte en Russie.

« Ce que nous attendons du monde, c’est qu’il se ressaisisse un peu », a-t-il précisé.

Pourtant, et c’est peut-être le plus remarquable, cette sortie digne du Docteur Folamour n’a suscité quasiment aucune réaction en Occident. Vous avez là un haut fonctionnaire ukrainien qui déclare que le monde devrait risquer une guerre nucléaire pour une guerre civile entre la partie occidentale de l’Ukraine, favorable à un rapprochement avec l’Europe, et la partie orientale, désireuse de conserver ses relations historiques avec la Russie.

En quoi une telle chamaillerie de comptoir justifie-t-elle de pulvériser des millions d’êtres humains, voire de détruire toute vie à la surface de la planète ? Autrement dit, plutôt qu’élaborer un projet de structure fédérale en Ukraine, voire de laisser les populations de l’Est voter pour ou contre leur maintien sous le contrôle de Kiev, faut-il que le monde risque l’anéantissement nucléaire ?

Nous touchons là à un aspect trop négligé de la crise ukrainienne : on observe une certaine folie dans l’attitude du régime de Kiev que l’Occident refuse d’admettre, car elle mettrait un terme au discours dominant du « nous les gentils contre les méchants Russes ». Si nous admettons que le régime d’extrême-droite de Kiev est fou et brutal, nous devons du même coup nous interroger sur le discours sans cesse rabâché de « l’agression russe ».

Selon la « pensée collective » occidentale, le gouvernement ukrainien d’après le coup d’état « partage nos valeurs ». Il favorise la démocratie et la modernité, alors que les ethnies russes rebelles d’Ukraine orientale sont les « toutous de Moscou », représentant l’arriération et la violence, personnifiées par l’« irrationnel » président russe Poutine. De ce point de vue, le conflit est un affrontement entre les forces du bien et du mal, qui ne laisse de place à aucun compromis.

Pourtant, cette « pensée collective » mise en lumière par les commentaires de Pristaiko comporte un élément de folie. Non seulement le régime de Kiev affiche une attitude pour le moins cavalière en entraînant le monde dans une catastrophe nucléaire, mais il a déployé des néo-nazis armés et d’autres extrémistes de droite dans une sale guerre à l’Est, impliquant la torture et la présence d’escadrons de la mort.

Du jamais vu depuis Adolf Hitler

Aucun gouvernement européen, depuis l’Allemagne d’Adolf Hitler, n’a estimé pertinent de lancer des troupes d’assaut nazies contre sa population civile. Le régime de Kiev l’a fait, et en connaissance de cause. Pourtant, tout le monde médiatico-politique occidental s’est acharné à dissimuler cette réalité, au point d’ignorer des faits bien établis.

Le New York Times et le Washington Post ont été à la pointe de cette malfaisance journalistique. Ils ont mis des œillères pour ne pas voir les néo-nazis ukrainiens, par exemple, pour décrire le rôle primordial joué par le bataillon Azov dans la guerre contre les populations russophones de l’Est.

Le 20 février, dans un rapport provenant de Marioupol, le Post mentionnait l’importance du bataillon Azov dans la défense du port contre une éventuelle offensive des rebelles. « Petro Guk, le commandant en charge des opérations de renfort du bataillon Azov à Marioupol, a déclaré dans une interview que celui-ci se préparait à des combats de rue », écrivait le correspondant Karoun Demirjian.

Le bataillon Azov, régiment de l’armée ukrainienne, a la réputation d’être l’un des plus féroces parmi les forces en présence du camp pro-Kiev.

« Pourtant… il s’est retiré des lignes de front dans le cadre de la rotation programmée des périodes de repos et de remise à niveau », poursuit Guk, laissant sa place à l’armée ukrainienne – moins capable, selon lui. Il conseille à la population de Marioupol de se préparer au pire.

« Si c’est le pays où vous êtes né, vous devez être prêt à vous battre pour lui. Vous devez accepter que c’est pour votre terre natale que vous luttez, vous devez la défendre », a-t-il déclaré lorsqu’il lui a été demandé si la population devait se préparer à partir. « Certains sont prêts à répondre à l’appel, par devoir patriotique. »

Les mots émouvants du Post sont dans la ligne du discours dominant des médias occidentaux et de leur refus de replacer clairement le bataillon Azov dans son contexte. On sait pourtant que ses membres défilent sous les drapeaux nazis, exhibent la croix gammée et peignent le sigle de la SS sur leur casque.

Le 11 février, le New York Times a publié un article tout aussi trompeur sur Marioupol, décrivant les rebelles russophones comme des barbares aux portes d’une civilisation défendue par le bataillon Azov. Malgré un récit très coloré et détaillé – et la part belle faite à une citation d’un dirigeant d’Azov –, le Times a soigneusement évité d’évoquer le fait, pourtant bien connu, que le bataillon Azov est composé de néo-nazis.

Cette vérité dérangeante – que les néo-nazis jouent un rôle de premier plan dans les « forces d’autodéfense » de Kiev du coup d’état de février jusqu’à aujourd’hui – serait nuisible au message de propagande destiné aux lecteurs étatsuniens. Le New York Times passe le nazisme sous silence et présente Azov comme une « unité de volontaires ».

De prime abord, une omission aussi flagrante ne saurait être considérée comme autre chose qu’une distorsion des faits. Il est impossible que les rédacteurs du Post et du Times ne sachent pas que la présence de néo-nazis mérite d’être portée à la connaissance de leurs lecteurs. N’est-il pas ironique de voir ces nazis représentés comme le rempart de la civilisation occidentale contre les hordes russes venues de l’Est ? Pourtant, ce sont bel et bien les Russes qui ont cassé le dos au nazisme pendant la Seconde Guerre Mondiale, lorsque Hitler s’acharnait à placer l’Europe sous son joug et à détruire la civilisation occidentale que nous connaissons.

Que les nazis soient aujourd’hui dépeints comme les défenseurs des idéaux occidentaux, c’est un comble. Mais tout cela est largement passé sous silence par le New York Times et le Washington Post, tout comme la présence gênante d’autres nazis à des postes-clefs du régime d’après le coup d’état, tels qu’Andrei Paroubi, commandant militaire des manifestations de Maïdan et responsable en chef de la sécurité nationale du régime de Kiev. [Voir Consortiumnews.com, « Ukraine, Through the US Looking Glass ».

Réalité du nazisme

En ce qui concerne le bataillon Azov, le Post et le Times ont tenté de dissimuler la réalité du nazisme, mais tous deux l’ont reconnue tacitement. Par exemple, le 10 août 2014, un article du Times mentionnait le caractère nazi du bataillon Azov dans les trois derniers paragraphes d’un long article traitant d’un autre sujet.

« La bataille pour Donetsk a pris une tournure mortelle : l’armée régulière se tient à distance et bombarde les positions séparatistes. Ces opérations sont suivies d’assauts violents par une demi-douzaine de groupes paramilitaires entourant Donetsk, avides d’en découdre en zone urbaine », écrivait le Times.

« Selon les milieux officiels de Kiev, ces milices et l’armée coordonnent leurs actions, mais les milices, qui comptent quelques 7000 combattants, sont agressives et parfois incontrôlables. L’une d’elles, connue sous le nom d’Azov, qui s’est emparée du village de Marinka, arbore un drapeau portant un emblème néo-nazi évoquant une croix gammée. » [Voir Consortiumnews.com, « NYT Whites Out Ukraine’s Brownshirts ».]

De même, le Post publiait le 12 septembre un article en première page décrivant le bataillon Azov en termes flatteurs. Seuls les trois derniers paragraphes mentionnaient le fait, problématique, que les combattants se plaisaient à brandir la croix gammée :

« Dans une salle, une recrue avait placé une croix gammée au-dessus de son lit. Cependant, Kirt [un chef de peloton] … rejetait les questions d’idéologie, déclarant que les volontaires – dont bon nombre étaient encore des adolescents – adoptaient des symboles et des idées extrémistes en quelque sorte par ‘romantisme’ ».

D’autres organes de presse ont été plus catégoriques sur cette réalité du nazisme. Par exemple, le journal conservateur londonien Telegraph a publié un article de son correspondant Tom Parfitt, où celui-ci écrivait : « Le recours par Kiev à des paramilitaires volontaires pour éliminer les ‘républiques populaires’ de Donetsk et Lougansk soutenues par les Russes… devrait donner des sueurs froides à l’Europe.

Des bataillons formés récemment tels que Donbas, Dnipro et Azov, qui comptent plusieurs milliers d’hommes, sont officiellement commandés par le ministère de l’intérieur. Cependant, leur financement est obscur, leur formation inadéquate et leur idéologie souvent alarmante. Les hommes d’Azov portent l’emblème du Wolfsangel (crochet à loup) néo-nazi* sur leur bannière, tandis que certains sont ouvertement des défenseurs de la suprématie blanche ou des antisémites. »

À en juger par des interviews de membres de ces milices, le Telegraph rapportaient que certains avaient des doutes quant à la réalité de l’holocauste, exprimant leur admiration pour Hitler et se reconnaissant effectivement nazis.

Andreï Biletsky, commandant du bataillon Azov, « dirige également un groupe ukrainien extrémiste appelé Assemblée nationale sociale », selon l’article du Telegraph, qui citait le commentaire suivant de Biletsky : « La mission historique de notre nation à ce moment critique est de conduire les races blanches du monde dans une croisade finale pour leur survie. Une croisade contre les sous-hommes dirigés par les sémites. »

Le Telegraph a interrogé les autorités ukrainiennes à Kiev, qui ont reconnu être informées de l’idéologie extrémiste de certaines milices, mais ont souligné que leur priorité était de disposer de troupes fortement motivées pour se battre.

Les combattants d’Azov portent également la croix gammée et l’insigne de la SS sur leur casque. NBC News rapporte que : « les Allemands ont ainsi été confrontés à des images du passé sombre de leur pays… lorsque la chaîne publique allemande ZDF a montré au journal du soir des vidéos de soldats ukrainiens portant des symboles nazis sur leur casque ».

Symboles nazis sur les casques de membres du bataillon ukrainien Azov (images filmées par une équipe norvégienne et projetées à la télévision allemande)

Symboles nazis sur les casques de membres du bataillon ukrainien Azov (images filmées par une équipe norvégienne et projetées à la télévision allemande)

 

Désormais, il est clair que l’extrémisme de droite ne se limite pas aux milices envoyées pour tuer des Russophones dans l’Est ou à la présence de quelques fonctionnaires néo-nazis récompensés pour leur participation au coup de février dernier. Le fanatisme est au cœur du régime de Kiev. Le ministre délégué aux affaires étrangères ne se gêne d’ailleurs plus pour évoquer une « guerre totale » avec une Russie disposant de l’arme nucléaire.

Un monde orwellien

Dans un « monde normal », les journalistes étatsuniens et européens expliqueraient à leurs lecteurs à quel point tout cela est malsain ; comment un désaccord sur la rapidité de mise en œuvre d’un accord d’association avec l’Europe tout en conservant des relations économiques avec la Russie aurait pu être élaboré dans le cadre du système politique ukrainien ; que rien ne justifiait un « changement de régime » soutenu par les États-Unis en février dernier, encore moins une guerre civile, et certainement pas une guerre nucléaire.

De toute évidence, nous ne vivons pas à une époque normale. À un degré jamais vu en 37 ans de couverture de l’actualité de Washington, je constate un certain totalitarisme dans la « pensée collective » occidentale actuelle lorsqu’il est question de l’Ukraine. Quasiment personne, parmi ceux qui « comptent » ne dévie du manichéisme qui consiste à voir les gentils à Kiev et les méchants à Donetsk et Moscou.

Si vous voulez savoir comment un journal « objectif » comme le New York Times traite des manifestations à Moscou et dans d’autres villes russes contre le coup d’état de l’année dernière, qui a renversé le président ukrainien Viktor Ianoukovitch, lisez donc l’article de dimanche de son correspondant néo-conservateur Michael R. Gordon. Pour rappel, il était, avec Judith Miller, le principal auteur de la fable des « tubes en aluminium » de 2002, qui a contribué à manipuler l’opinion en vue de l’invasion de l’Irak en 2003.

Voici maintenant comment Gordon explique les protestations du week-end contre le coup d’état : « Selon le discours officiel de la télévision d’état de Russie, accepté par la plupart des Russes, le soulèvement de l’année dernière en Ukraine était un coup d’état conçu par les États-Unis, avec l’aide des nazis ukrainiens, et fomenté pour renverser le président pro-russe, M. Ianoukovitch. »

Autrement dit, on lave le cerveau des Russes, alors que les lecteurs du New York Times reçoivent leurs informations d’un journal indépendant qu’on ne saurait prendre la main dans le sac à diffuser sans aucun esprit critique la propagande gouvernementale. Un exemple de plus du monde orwellien, où les valeurs sont inversées, dans lequel les Étatsuniens vivent aujourd’hui. [Voir, par exemple, « NYT Retracts Russian Photo Scoop ».

Dans notre pays de liberté, il n’existe pas de « discours officiel », et le gouvernement étatsunien ne se laisserait jamais aller à faire de la propagande. Tout le monde accepte aveuglément le Credo d’un régime de Kiev irréprochable, qui « partage nos valeurs » et ne peut pas faire de mal – tout en fermant les yeux sur la brutalité et la folie des instigateurs du coup d’état qui déploient des nazis et invitent à un holocauste nucléaire pour la planète.

consortiumnews.com

* Le Wolfsangel (crochet à loup) n’est pas un emblème nazi même s’il a été et reste largement utilisé par les nazis. Il figure d’ailleurs sur les armoiries de nombreuses villes allemandes. N.d.T.

 

Traduit par Gilles Chertier www.gilles-chertier.com pour Réseau International

Source : http://www.strategic-culture.org/news/2015/02/24/ready-for-nuclear-war-over-ukraine.html