Julian Assange a demandé officiellement au président François Hollande de l’accueillir en France. Mais la demande d’asile politique a été refusée, au motif essentiellement que le fondateur de WikiLeaks n’encourt aucun danger immédiat.
Julian Assange est particulièrement connu depuis que WikiLeaks a commencé à dévoiler des dizaines de milliers de documents que beaucoup auraient aimé voir tenus secrets ad vitam aeternam. Le site possède une réputation sulfureuse, et ce ne sont pas les dernières révélations sur l’espionnage de la France par la NSA qui calmera le feu des réactions.
Depuis une semaine en effet, WikiLeaks déverse de nouveaux documents montrant comment la NSA a d’une part espionné d’importantes personnalités politiques (dont les trois derniers présidents de la République, François Hollande, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac), et d’autre part prouvant qu’elle s’était livrée à un espionnage commercial et industriel massif. Assange, interviewé en duplex sur TF1 la semaine dernière, avait alors averti : « Je voudrais préciser qu’en France le chômage est particulièrement élevé, et il y a des raisons à cela. L’une d’entre elles est que les États-Unis jouent un sale jeu ».
Le fondateur de WikiLeaks avait opté pour une communication particulière, souhaitant lui-même préparer le terrain pour les informations qui allaient arriver, tout en essayant d’activer la fierté française : « Les intérêts politiques et économiques de la France sont en jeu, l'intégrité de la France est en jeu. On ne peut pas les piétiner, on ne peut pas piétiner sa souveraineté, ce serait vraiment une honte ». Expliquant également que les services de WikiLeaks étaient hébergés dans l’Hexagone, il avait insisté : « Wikileaks compte sur la France ».
On peut se demander aujourd’hui si Julian Assange ne préparait pas la demande d’asile politique intervenue ce matin dans une lettre, publiée par Le Monde. Il y rappelle les temps forts de sa vie et surtout comment la publication de la vidéo « Collateral murder » a brusquement bousculé son existence et celles d’autres employés de WikiLeaks. Il rappelle comment les nombreuses accusations et menaces qui pèsent contre lui l’ont obligé à demander l’asile politique à l’Équateur en juin 2012. Il réside depuis dans l’ambassade du pays à Londres : « Après deux mois d’étude approfondie, le ministère des Affaires étrangères de l’Équateur a considéré que la persécution qui était menée à mon encontre du fait de mes croyances et de mes activités politiques était réelle, et que les risques d’extradition vers les États-Unis ainsi que les mauvais traitements qui s’en suivraient étaient majeurs ».
Assange insiste en particulier sur un point : il ne fait l’objet d’aucune accusation précise de crime ou de délit dans aucun pays, même en Suède ou aux États-Unis. Ce qui n’empêche pas le Royaume-Uni de lui avoir indiqué à plusieurs reprises que s’il devait sortir de l’ambassade équatorienne, et qu’il serait probablement extradé vers les États-Unis ou la Suède. Pour Assange, la France « accomplirait un geste humanitaire mais aussi probablement symbolique, envoyant un encouragement à tous les journalistes et lanceurs d’alerte qui, de par le monde, risquent leur vie au quotidien pour permettre à leurs concitoyens de faire un pas de plus vers la vérité ». En définitive, seule « la France se trouve aujourd’hui en mesure de m’offrir la protection nécessaire contre, et exclusivement contre, les persécutions politiques dont je fais aujourd’hui l’objet ».
La réponse de l’Élysée est intervenue une heure après. La situation du fondateur de WikiLeaks avait probablement été analysée en amont au cas où la demande serait faite, d’autant que Christiane Taubira, garde des Sceaux, s’y était montrée favorable. Mais le couperet est tombé : « La France a bien reçu la lettre de M. Assange. Un examen approfondi fait apparaître que compte-tenu des éléments juridiques et de la situation matérielle de M. Assange, la France ne peut pas donner suite à sa demande. La situation de M. Assange ne présente pas de danger immédiat. Il fait en outre l’objet d’un mandat d’arrêt européen. »
Une réponse qui n’est pas une surprise. Invité sur France Inter, Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la nouvelle loi sur le renseignement, s’était en effet montré extrêmement clair sur ce sujet : « L’asile en France, c’est un statut particulièrement organisé. Pour demander l’asile, il faut d’abord faire l’objet de persécutions, il faut être sur le territoire national, et dans ce cas on regarde si on ne vient pas d’une démocratie où la justice est indépendante. Je ne pense pas que ces conditions s’appliquent à Julian Assange ». Il avait également rappelé que la France disposait d’un accord d’extradition avec les États-Unis et qu’accueillir le fondateur de WikiLeaks ne servirait donc à rien. Les mêmes États-Unis dont on venait d’apprendre qu’ils avaient espionné les trois derniers présidents français.
Et pourtant, l’histoire n’est pas tout à fait terminée. Dans un tweet, le journaliste Mathieu Magnaudeix (Mediapart) indique avoir reçu de nouvelles informations de l’Élysée, qui lui aurait expliqué : « M. Assange n’a pas fait de demande d’asile, donc l’Ofpra n’est pas concerné. Nous avons fait une lecture attentive, une appréciation politique, juridique, technique de sa situation. La réponse était évidente, et par ailleurs il fallait aller vite car on connaît le système médiatique », le tout ponctué d’un « Qu’il fasse une demande d’asile ! ».
Nous avons contacté l’Élysée, qui semblait ignorer qu’une telle réponse avait été donnée, nous renvoyant simplement vers le communiqué publié vers midi. Nous avons tenté également de joindre l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), sans succès.
La situation rappelle celle d'Edward Snowden, quand la question de son asile se posait en France. Nous avions alors interviewé la professeure de droit Roseline Letteron, qui avait rappelé les différents types d'asile existant dans le pays.