Philippe David doit être satisfait de l’annonce, par François Hollande, d’une réforme imminente sur l’euthanasie. Dans une chronique du 13 janvier intitulée « Ariel Sharon : les leçons d’une agonie », il soutenait la nécessité de légiférer d’urgence sur la fin de vie.
Partir d’un cas particulier pour en tirer un principe général est, en une telle matière, contestable. L’observation du réel n’a de sens qu’à condition de porter sur une population suffisamment importante pour être significative. On reproche assez à nos législateurs de réagir par émotion, sur des cas présentés comme emblématiques de la société entière, pour se garder de tomber dans le même travers. Ou alors, parce qu’il existe des patrons voyous, instituons d’urgence une garde à vue préventive pour tous les chefs d’entreprise… Absurde !
Personne ne sait si, véritablement, Sharon a subi un acharnement thérapeutique. Qu’un tel acharnement existe est une évidence. Ce que la morale humaine condamne, c’est la mise en œuvre de moyens et traitements disproportionnés sans lesquels la mort serait inéluctable à brève échéance, sans espoir raisonnable d’amélioration. La loi Leonetti va dans ce sens. L’appréciation d’une telle situation est, en elle-même, un cas de conscience pour le médecin. De son diagnostic dépend la mort ou la vie du patient. Et l’on sait que des personnes sont sorties d’un coma profond après des années…
Ce qui glace le sang, chez les partisans de l’euthanasie, c’est la prétention de l’homme à décider de qui est digne de vivre ou non. L’humanisme de façade d’un tel projet ne trompe personne. Parce que l’argument de la mort dans la dignité est une horreur absolue : il fait dépendre la dignité de la personne de son état physique. François est un homme digne parce qu’il est capable d’écrire ces lignes, mais il perdrait toute dignité parce qu’un AVC le clouerait au lit pour des années ?
Se rend-on compte de ce que cette vision a de terrible ? Elle réduit l’homme à son utilité sociale, à l’image qu’il renvoie de notre propre faiblesse, au refus obstiné de la mort. Elle réfute notre humanité au profit d’un bas utilitarisme. En refusant à l’homme une dignité ontologique, en exprimant même qu’il pourrait ne plus être digne, elle décide qu’il pourrait – dans certaines conditions – ne plus être un homme.
Le squelette en pyjama rayé sortant d’un camp de concentration : homme digne, ou individu tellement diminué qu’il perd sa dignité ? Et notre vieille grand-mère incontinente : indigne ? Plutôt infiniment digne d’être aimée, dans sa faiblesse qui l’oblige à se livrer à nous !
La vie, la mort, l’homme sont des mystères que tout homme de bien devrait contempler sans chercher à s’en rendre maître. Nul n’a le droit de dire qui est homme, qui est digne de vivre, qui mérite d’être aimé. À moins de vivre dans une terrible désespérance. C’est en contemplant ces mystères qui nous échappent que nous trouverons notre véritable dignité.