La Macédoine, village Potemkine : derrière la vie en rose, une misère noire. Le site "Le Courrier des Balkans".
Par Pelagonija Mladenovska
Baisse du chômage, hausse de la croissance, augmentation des salaires de la fonction publique et des pensions de retraite, liberté de la presse, indépendance de la justice… Bienvenue en Macédoine, au pays des merveilles !
À en croire le budget 2014, les caisses de l’État accumuleront 2,9 milliards d’euros. Croissance prévue : 3,2%. Déficit : 3,5%. Inflation : 3,3%. Depuis 2007, l’État a dépensé 16,5 milliards d’euros. Or, son budget augmenterait constamment d’un milliard par an. Où sont les bénéfices ? La Macédoine a toujours une croissance économique et un niveau de vie faibles, un taux de chômage fort et une population pauvre.
Le Premier ministre Nikola Gruevski, citant son oncle Jordan Mijalkov, ancien ministre de l’Intérieur, a déclaré que l’on était riche en fonction de ce que l’on pouvait donner. Ensuite de quoi, le maire de Skopje a offert un petit-déjeuner géant aux Skopiotes, sur le pont qui enjambe le Vardar. La foule est venue en grand nombre, munie de sacs et de boîtes en plastique pour faire son « shopping ». Le maire était satisfait, mais il a prié ses concitoyens de ne pas remplir les sacs et de manger sur place…
Le refrain est bien connu : les Macédoniens peinent à joindre les deux bouts, les salaires ne suffisent pas à payer les factures, les démarches auprès de l’administration exigent un jour de congé, etc. Mais rien ne change, malgré les promesses.
Comme le note le professeur Nikola Popovski, ancien ministre de l’Économie, depuis que les sept ou huit ans que ce gouvernement est au pouvoir, à chaque Nouvel an, on assiste à des grandes annonces sur des investissements capitaux. « Ils font preuve d’un sens de la propagande politique au début de l’année. Puis, ils réalisent des projets qui n’ont rien à voir avec l’économie. J’estime donc qu’il faut accueillir ces annonces avec circonspection… »
« Transformer l’opinion, et non la réalité »
Santé publique, économie, éducation… Plus de 1,6 million d’euros aurait été dépensé en spots publicitaires par le gouvernement. Le message : « ça ne va peut-être pas fort chez nous, mais ailleurs, c’est pire ». En Macédoine, la récession est « positive ». Certes, beaucoup de jeunes sont au chômage, mais en Suisse, c’est pareil. Et la Grèce, vous avez vu la Grèce ? Bref, le renard ne pouvant s’emparer d’une grappe de raisins en conclut que les fruits sont acides…
« Ne pas montrer la réalité des faits, voilà l’effort principal de l’équipe gouvernementale. Celle-ci travaille 24 heures sur 24 sur les perceptions avec un enthousiasme extraordinaire. Je n’ai jamais vu autant d’efforts déployés pour influencer la perception des gens. C’est-à-dire changer l’opinion et non la réalité », affirme Petar Gošev, ancien gouverneur de la banque nationale.
La relation profonde entre la politique et les médias se reflète dans la liberté d’expression qui n’a cessé, ces dernières années, de s’effondrer dans les classements internationaux. Pour améliorer l’image des médias, le gouvernement s’est mis à inventer toute une série de lois sur les services audiovisuels, malgré les réticences des organisations médiatiques et de l’opposition. Résultat : les journalistes crient à la censure, tout en s’autocensurant de peur de perdre leur emploi… Quant aux citoyens, ça fait belle lurette qu’ils ont perdu toute confiance dans les médias.
Museler les médias ? Limiter la liberté d’expression ? Autant d’accusations infondées, se récrient les autorités. Les lois sur les médias font, en effet, partie de nos obligations sur le chemin vers l’UE. Oui, mais… De plus en plus de médias mettent la clé sous le paillasson, des journalistes « indésirables » sont licenciés, voire jetés en prison.
Voilà déjà un bon moment que Nikola Gruevski a déclaré la guerre aux médias. Dans le viseur : les portails d’information sur Internet. Lors de la célébration de l’Union des forces de la jeunesse du VMRO-DPMNE, le Premier ministre a laissé entendre que les accusations concernant sa gouvernance non-démocratique sont le fait de groupes d’intérêts aux financements douteux (comprenez Open Society ou la fondation Soros). L’opposition, elle, estime que ces lois font entrer la censure par la petite porte. « On est en train d’étouffer la dernière parole critique et la liberté de penser dans le pays », déclare Vesna Bendeska de l’Union sociale-démocrate de Macédoine. « Avec ces lois, on autorise la censure sur la presse et les médias électroniques ce qui, conformément aux conventions et déclarations européennes, est totalement inacceptable. »
« Qui n’est pas avec nous est contre nous »
« Toute tentative visant à remettre en question la légitimité de ce que je dis et la légitimité de nos politiques, de nos opinions, de nos positions et de visions, tout ce qui peut stimuler des divisions ou qui affecter négativement les questions d’intérêt public sera intercepté avec l’appui du peuple », a martelé le Premier ministre l’été dernier.
C’est ainsi qu’une cinquantaine de personnes se sont retrouvées en prison. Certaines pour espionnage et divulgation de secrets d’État, d’autres pour blanchiment d’argent, d’autres encore pour trafic de drogue. Selon le professeur Biljana Vankovska, l’atmosphère qui règne aujourd’hui en Macédoine est l’expression d’une intimidation générale du public. « Vous vous sentez particulièrement interpellée quand, dans un groupe de suspects, se trouvent des personnes considérées comme ayant été proches du pouvoir et qui, soudain, se retrouvent dans des scènes dignes d’un film policier. Il s’agit d’un message direct destiné à tous ceux qui critiquent le système et le pouvoir en place. »
Quant à la justice, de nombreux analystes, avocats et anciens juges, ainsi que les militants des droits de l’homme, estiment qu’elle est sous la coupe de l’État. Si le pouvoir exécutif, lui-même sous l’autorité du parti, n’exerce pas directement d’influence sur la justice, il a recours à des instruments législatifs pour le tenir fermement, un stratagème parfois difficile à percevoir par les citoyens.
La Macédoine vit dans l’illusion d’un passé glorieux et dans l’espoir d’un avenir meilleur. Mais personne ne songe au présent. « La Macédoine éternelle, si éternelle qu’elle ne succombe pas au développement », dirait l’écrivain Venko Andonovski.
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