En dévaluant le yen pour relancer les exportations, le Premier ministre japonais a provoqué des répercussions sur l’ensemble de l'économie mondiale.
Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, a en effet réussi ce qu'aucun dirigeant politique n'était parvenu à faire depuis le déclenchement de la grande crise japonaise, au début des années 90 : mettre au pas la Banque Centrale du Japon. Cette remise au pas a consisté à remplacer le président de la Banque du Japon, Masaaki Shirakawa, jugé trop mou, par Haruhiko Kuroda, défenseur d’une politique monétaire accommodante.
Shinzo Abe a ainsi détruit le mythe de l’indépendance des Banques Centrales, qu’elles avaient mis tant de soin à entretenir. Car sur le papier, toutes les Banques Centrales sont indépendantes du pouvoir politique, à ceci près qu’elles obtempèrent toutes à la demande des Etats-Unis de racheter des tombereaux de titres de dettes publiques américaines.
Ce ne sera plus le cas de la Banque du Japon qui obéira plutôt aux injections du gouvernement japonais que de celles du gouvernement américain. À l’avenir, elle devra acheter en quantité illimitée les titres de dette émis par le Trésor nippon. Car elle a désormais pour mission de réinjecter une dose d'inflation dans une économie languissante, minée par une dette publique qui culmine à 240 % du produit intérieur brut.
L'objectif de l'opération est limpide : ranimer la croissance en faisant baisser le yen pour regonfler les profits des entreprises, laminés par deux décennies de déflation. Pour l'instant, la nouvelle stratégie de Shinzo Abe semble réussir : depuis janvier, le yen a perdu plus de 20 % de sa valeur par rapport au dollar et à l'euro et la Bourse de Tokyo s'emballe. C’est ce qui scandalise Ken Courtis, ancien vice-président de Goldman Sachs-Asie, qui estime que « pour les pays concurrents du Japon, c'est une véritable déclaration de guerre, un Pearl Harbor monétaire ».
La dépréciation du yen rebat en effet les cartes au niveau mondial dans les secteurs de l'automobile et du high-tech : les exportateurs japonais dont les parts de marché ont fortement diminué au cours de la décennie passée, n'attendaient que cela pour regonfler leurs carnets de commande et leurs profits, puisque la baisse de 1 % du yen par rapport au dollar générerait 2,7 milliards de dollars de profits supplémentaires pour les trente plus gros exportateurs nippons.
Les grands perdants sont les groupes coréens, malaisiens ou taïwanais, mais aussi allemands. En effet, les industriels japonais sont de redoutables concurrents du made in Germany dans l'automobile, la machine-outil ou les produits chimiques. Sans surprise, Séoul et Berlin et évidemment Pékin accusent Tokyo de raviver la guerre des monnaies. Mais ils feignent d’oublier que le Japon avait vu auparavant fondre son excédent commercial, en raison de l’appréciation du yen de 50% en cinq ans par rapport au dollar. Le Japon a en particulier beaucoup souffert de la dévaluation du won coréen, qui explique grandement la percée extraordinaire de Samsung à partir du milieu des années 2000.
Le Japon devait-il accepter passivement d’être éjecté du marché mondial, comme la France en ce moment, parce que les autres pays, la Chine, la Corée ou les Etats-Unis, entre autres, manipulent leurs propres monnaies, mais se scandalisent qu’il est l'audace d’en faire autant ?
La contre-attaque du Japon était donc logique. Elle va provoquer des chocs en retour : le Japon va voir ses taux d'intérêt à long terme s'ajuster à la hausse. Les banques et les assureurs-vie vont vendre une partie des obligations d'Etat japonaises, qui seront rachetées par la Banque du Japon. Du coup, cette dernière achètera moins de bons du Trésor américains, fragilisant le marché obligataire américain.
Il faut se rendre compte des effets mondiaux de la decision de Shinzo Abe. Le Japon est la troisieme puissance économique du monde. S'il rééquilibre ses échanges, ce sera aux dépens du reste du monde, notamment de l'UE et en particulier de l'Allemagne. Si son inflation passe à 2% alors qu'elle est aujourd'hui négative de 0,6%, il fera passer ses taux d'intêrêts, par exemple à 10 ans, de 0,75% à ceux de la France, qui sont de 2,25% pour une inflation de 2%.
Aussitôt il faudra que la France remonte ses taux d'interets pour continuer à se financer. Car les anglais qui financent à 50% la dette française, tandis que nos "amis" allemands n'en financent que 7%, ne prendront la dette française qu'avec un taux plus élevé que le Japon, puisque ils équilibrent aujourdh'ui les deux dettes avec une prime de 1,50% en faveur du Japon. Or 1,50% d'interet en plus obligerait l'État français à trouver trois milliards d'Euros de plus par an: peut être voyez vous mieux les effets mondiaux de la décision logique de Shinzo Abe, sur la France, sur les États-Unis, sur la Chine, sur la Corée, sur tout le monde, hause des taux d'intéret partout et réequilibrage des échanges en faveur du Japon...
On n'a donc pas fini de parler du coup de force de Shinzo Abe, qui a sans doute fait sienne la réflexion de Keynes : « Il est plus grave dans un monde appauvri de provoquer le chômage que d'appauvrir le rentier. »