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Le blog de Lucien PONS

Les travailleurs européens trahis, par Andrew Spannaus

27 Mai 2018 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Comité pour une Nouvelle résistance, #Europe supranationale, #La France, #l'Italie, #La finance dérégulée, #l'horreur économique, #Le grand banditisme

 
27.mai.2018 Les Crises
 
Les travailleurs européens trahis, par Andrew Spannaus

Source : Andrew Spannaus, Consortium News, 12-04-2018

Contrairement aux États-Unis, les syndicats de travailleurs en Europe sont puissants et influents ; pourtant ils n’ont pas pu, ou pas voulu, empêcher les politiques d’austérité imposées par les institutions européennes, rapporte Andrew Spannaus.

Milan, Italie

Des employés du rail font grève à travers toute la France, interrompant la circulation de près de 80% des trains à grande vitesse. Dans un pays européen majeur dépendant du rail pour une part importante de son transport, l’on s’attend à ce que les manifestations causent du désordre, tandis que les syndicats bandent les muscles pour montrer à tous qu’ils sont encore une force dont il faut tenir compte.

Le 10 avril, les employés des aéroports allemands se sont aussi mis en grève, provoquant l’annulation de plus de 800 vols par la compagnie nationale Lufthansa. Dans ce cas le conflit porte sur une hausse des salaires pour quelque 2,3 millions d’employés du secteur public, qui ont vu leur revenu stagner malgré la croissance économique globale du pays.

De tels actes de protestation ne sont pas rares en Europe, et de fait sont acceptés comme courants dans de nombreux pays. L’adhésion aux syndicats varie beaucoup à travers le continent, de moins de 10% en France – malgré l’efficacité des grèves – jusqu’à presque 70% dans les pays scandinaves comme la Suède ou le Danemark. Cependant, et bien que les chiffres des adhésions soient modestes, les syndicats ont souvent un rôle central dans les négociations collectives, et ils ont à cœur de montrer qu’ils sont toujours aussi pertinents dans un monde qui a grandement changé suite à la dérégulation et à la mondialisation au cours des 35 dernières années.

L’influence des syndicats en Europe est toutefois déclinante, ce qui n’est pas vraiment une surprise. L’un des principes centraux des politiques économiques adoptées par l’Union européenne est la « flexibilité » du marché du travail, qui participe de la philosophie néolibérale qui voit toute sorte de restriction ou règle concernant le travail et le capital comme asphyxiant la rentabilité et la libre entreprise.

Faciliter les licenciements

UE : trahir les travailleurs

Depuis les années 1990 en particulier, il y a eu un effort concerté, dirigé vers le bas, pour affaiblir la protection des travailleurs, clamant qu’il s’agissait de la seule manière d’attirer le capital et de libérer une nouvelle vague de croissance économique. L’UE insiste lourdement sur la nécessité des « réformes structurelles » qui vont permettre de « lever les contraintes à la création d’emplois et à la participation au marché du travail ». Cela revient en général à faciliter les licenciements, ce qui en théorie permettrait aux entreprises d’embaucher de nouveaux employés quand elles en auraient besoin sans craindre un fardeau économique permanent dans le futur.

Les lois du travail sont en effet strictes dans de nombreux pays européens. Pourtant il n’est un secret pour personne que, pour des travailleurs traversant une crise économique, de telles réformes sont à sens unique et abaissent le niveau de vie, précisément au mauvais moment.

Les offensives législatives vers une plus grande flexibilité du marché du travail en Europe se sont souvent accompagnées d’un dénigrement public vis-à-vis des syndicats et de toute sorte de régulation des services publics.

Défendre les emplois est perçu comme égoïste. Par exemple, quand des travailleurs âgés cherchent à éviter de se retrouver au chômage dans leur cinquantaine ou soixantaine, ou quand ils obtiennent des aides d’État de différentes sortes qui permettent d’amortir les chocs sociaux, un débat s’ensuit inévitablement dans lequel ils sont accusés de voler leur travail aux jeunes. Dans un contexte de ressources soi-disant limitées, l’establishment, et les médias qui les servent, poussent les générations à la confrontation.

L’un des principaux reproches faits aux syndicats est de ne penser qu’à eux, et pas aux besoins de la société dans son ensemble. Cependant, les travailleurs constituent la majorité de la société. Il n’est clairement pas dans leur intérêt d’accepter ce que leur demande l’establishment néolibéral, à savoir qu’ils acceptent la « nouvelle réalité » et embrassent la mondialisation.

Au cours des dernières décennies les syndicats en Europe ont généralement échoué à œuvrer au bien commun. Non qu’ils n’aient pas défendu les droits des travailleurs face aux changements du marché du travail, mais ils se sont plutôt concentrés sur des objectifs étriqués, tout en ne parvenant pas à contrecarrer les politiques économiques de l’Union européenne elle-même, qui priment sur la prise de décision politique.

La question fondamentale aujourd’hui en UE est celle des effets socio-économiques des politiques monétaristes et mesures d’austérité émanant de Bruxelles et Francfort. Ces politiques ont provoqué une réaction violente à l’encontre des institutions gouvernementales, qui s’est répandue et s’exprime sous la forme d’une ascension de partis politiques soi-disant populistes et anti-système.

Les syndicats européens : il est loin, l’âge d’or de l’action militante

Les syndicats : une partie du problème

Il est légitime de se demander où étaient les syndicats majeurs quand la Troïka – l’alliance formelle entre la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international – imposait une politique d’austérité massive à des pays tels que la Grèce, l’Espagne et l’Italie ?

Que faisaient-ils pour arrêter la construction de l’UE sur des principes néolibéraux, qui a amené un taux de chômage élevé et des conditions de travail instables, tout en garantissant des renflouements pratiquement illimités pour le secteur financier ? Il est bien loin, le temps de l’âge d’or de l’action militante industrielle et des grèves générales du début du XXème siècle !

Il y a bien eu nombre de manifestations et de grèves au fil du temps, mais un pas en arrière permet de constater que l’affrontement ne s’est pas fait au plus haut niveau. La cause en est que de nombreux syndicats ont été sur le fond récupérés par l’establishment au cours des 25 dernières années. Les syndicats ont, plutôt que d’y faire face, participé à la constitution de politiques économiques qui sont diamétralement opposées aux intérêts de la plupart des travailleurs.

L’UE a formellement adopté le dogme néolibéral selon lequel toute intervention économique est négative, et la seule voie vers la croissance est celle de la « flexibilité » et de l’attraction de l’investissement financier. Il y a bien sûr des exceptions, mais l’idéologie est claire, et fait office de matraque dès qu’un État-membre tente de réagir à une crise avec des armes telles que l’investissement public ou une meilleure régulation. Celles-ci ont été désignées contraires au principe supérieur de la « concurrence ».

La trahison de Maastricht

Il avait été promis aux travailleurs européens une protection de leurs intérêts à l’approche de l’intégration au marché européen. Par exemple, Jacques Delors, alors président de la Commission des Communautés européennes, en photo ci-dessus en train de s’adresser au Congrès des syndicats britanniques à Bournemouth en 1988, promit qu’un marché européen intégré développerait « les régions reculées de la communauté », « restructurerait les régions industrielles en déclin », « lutterait contre le chômage de longue durée », « fournirait du travail aux jeunes » et protégerait le filet de la sécurité sociale.

« Il serait inacceptable que l’Europe devienne la source d’une régression sociale, alors que nous essayons de redécouvrir ensemble le chemin vers la prospérité et l’emploi », disait M. Delors. Et les syndicats y ont cru. « La seule partie de cartes en ville a lieu dans une ville nommée Bruxelles », disait Ron Todd, alors secrétaire général du Syndicat des travailleurs du transport et des travailleurs généraux.

Mais le Traité de Maastricht en 1992 a balayé ces promesses, se durcissant progressivement avec les années alors que s’élargissait le périmètre de la législation de l’UE, qui allait finalement de pair avec les sévères coupes budgétaires et les hausses d’imposition demandées durant la crise de l’Euro qui a affecté de nombreux pays à compter de 2009-2010.

En raison du manque de « confiance des marchés » dans la dette souveraine de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie et d’autres, la Troïka a demandé des coupes dans les salaires, les pensions, les services de santé et de nombreux autres services publics. Ces choix exprimaient un respect envers les marchés financiers, ce qui a finalement fait empirer les choses. Ils ont eu un effet amortisseur sur l’activité économique et donc aggravé plus encore la crise fiscale.

Il en a résulté, même après la relance, un chômage de longue durée, une explosion du pourcentage d’emplois précaires et à durée limitée, de faibles salaires, soit l’opposé exactement de ce que M. Delors avait promis.

Or, parce que cela était dans leur intérêt, et non dans celui des travailleurs, les officiels de la Troïka continuent d’imposer la même formule. Il y a quelques jours seulement, par exemple, David Lipton du Fonds monétaire international a déclaré aux Espagnols que, grâce à la « modération salariale » et à la « flexibilité », l’emploi se redressait en Espagne.

Mais compte tenu des problèmes pérennes « on a encore besoin d’une plus grande flexibilité des marchés du travail pour alimenter le moteur de la croissance », a-t-il demandé. Traduit sans langue de bois, le message est celui-ci : travailler pour moins d’argent, avec moins de garanties, est votre seul espoir d’obtenir un emploi, tout court.

Un discours de plus en plus audible

Le 6 avril, je me suis rendu à une réunion d’un syndicat à Milan pour entendre un discours de Giorgio Cremaschi, ancien directeur du syndicat des ouvriers métallurgistes FIOM (Fédération syndicale internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie), affilié à l’une des plus grosses organisations du travail en Italie, le CGIL (Confédération générale italienne du travail).

Cremaschi a prononcé un discours vibrant à l’adresse des membres locaux du syndicat indépendant USB (Syndicat unitaire des travailleurs) au sujet des politiques désastreuses imposées par l’UE, qui ont donné la priorité aux règles budgétaires sur le bien-être humain. C’est arrivé à un point – note Cremaschi – tel que les acquis sociaux de base entérinés dans la Constitution italienne passent désormais au second plan, bien après le dernier ajout aux lois constitutionnelles du pays, à savoir l’obligation d’un budget équilibré.

Le problème évoqué à la réunion de l’USB est que les plus gros syndicats italiens ont invariablement refusé de s’opposer aux politiques néolibérales de l’UE. Ils ne se sont opposés à aucun des traités européens adoptés au cours des 25 dernières années, qui ont progressivement retiré les pouvoirs de décision des mains des gouvernements nationaux pour les remettre entre les mains d’une bureaucratie supranationale qui pourvoit aux besoin d’un système dominé par la finance spéculative.

Néanmoins, les remarques les plus acerbes de Cremaschi n’étaient pas destinées aux institutions de Bruxelles ou aux banquiers de Wall Street ; il a accusé d’avoir laisser imposer ce qu’il appelle un « fascisme » aux familles des travailleurs, carrément la classe politique en Italie et les grands syndicats eux-mêmes.

Cremaschi a critiqué les leaders centristes pour avoir accepté le récit selon lequel la mondialisation, malgré ses effets négatifs sur les travailleurs, est un processus objectif et inévitable. La vérité est, selon lui, qu’une série de décisions ont été prises pour imposer l’idéologie de l’économie libérale, ceci au bénéfice de quelques-uns, tout en appauvrissant la plupart des autres. Sa conclusion est qu’un réel changement ne peut intervenir qu’en s’opposant à l’instrument utilisé pour forcer l’acceptation de ces politiques, l’Union européenne.

Cremaschi et l’USB abordent ces questions d’un point de vue de gauche, mais ces arguments de base sont aussi largement utilisés par les groupes de droite qui ont fait surface lors des élections de l’année passée à travers toute l’Europe. Les politiques économiques de l’UE représentent l’ennemi commun pour ces syndicats et partis politiques anti-système, et à leur avis, les syndicats dominants sont tout aussi coupables que la Troïka quant aux difficultés économiques rencontrées par les classes moyennes et populaires européennes.

Andrew Spannaus est journaliste et analyste stratégique, installé à Milan, Italie. Malgré une année passée à tenter de l’exclure en raison de son indépendance, il a été élu président de l’Association des correspondants étrangers de Milan en mars 2018. Il a publé les ouvrages « Perché vince Trump » (Pourquoi Trump l’emporte, juin 2016) et « La Rivolta degli elettori » (La Révolte des électeurs, juillet 2017).

Source : Andrew Spannaus, Consortium News, 12-04-2018

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