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Le blog de Lucien PONS

Arte, une certaine idée du débat – et du bourrage de crâne (Marie Mendras + François Heisbourg + Antoine Arjakovsky.

10 Juin 2014 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Ukraine

Le 10 juin 2014.
Arte, une certaine idée du débat – et du bourrage de crâne (Marie Mendras + François Heisbourg + Antoine Arjakovsky.

 

 

 
 

 

Tiens, il m’avait échappé que la Conseil de surveillance d’Arte France est présidé depuis VINGT ANS par Bernard-Henri Levy

Le 27 mai, Arte a organisé un débat dans son émission 28 minutes. Du TRÈS GRAND n’importe quoi, que nous allons analyser… Voilà l’émission :

“Les Experts”

Arte a donc invité 3 “Experts” pour parler de l’Ukraine.

On se dit : tiens, chouette, on avoir au moins un MINIMUM de débat.

Ben non, pas de bol : 3 “experts”, 3 russophobes forcenés !

Présentation – et félicitations à la rédaction de 28 minutes, c’est du grand art…

1. Marie Mendras

Présentée par Arte comme : “chercheure au CNRS”

Nous avons déjà analysé en profondeur sa prose – et surtout ses nombreux mensonges – dans ce billet

Je me contente de reprendre un article de 2010 du site Nonfiction.fr qui n’a (semble-t-il pas été démenti) :

“La spécialiste de la Russie, chercheuse au CERI, Marie Mendras a été démissionnée de la Direction de la Prospective du ministère des Affaires étrangères par Bernard Kouchner cette semaine. Elle avait été nommée il y a environ huit mois à ce poste. “Elle n’a pas su trouver ses marques, ni compris ce qu’était le métier de diplomate, ni su comment on anime une direction d’administration centrale”, affirme un membre de la Direction de la Prospective (DP). [...] Elle aura été l’une des plus brèves directrices d’administration centrale de toute l’histoire du Quai d’Orsay“, confirme un autre membre de la DP. Selon les personnes que nous avons interrogées au sein de la DP, Mme Mendras avait fait l’unanimité contre elle dans son équipe, et plusieurs intellectuels et spécialistes des relations internationales avaient réclamé son départ. L’un d’entre eux rappelle “l’incompétence totale et l’amateurisme grave de la directrice de la DP”, alors qu’un autre parle d’ “une erreur de casting manifeste”.”

2. François Heisbourg

Présenté par Arte comme : “politologue”

Une référence !

“Ancien élève de l’ENA ; directeur du développement stratégique de Matra Défense Espace (1992-1997)”, a été directeur de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres de 1987 à 1992 et a été ensuite président de son Conseil d’administration. Et attention : “Il est officier dans l’ordre de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite, Commandeur de l’ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne, Commandeur de l’Ordre de la Couronne de chêne (Luxembourg), Chevalier du Mérite militaire espagnol, Officier de l’ordre du Mono (Togo).” Et “Il a assuré le cours magistral sur l’espace mondial à Sciences-Po de Paris.” (Wikipédia)

que du lourd !

C’est un des “Intellectuels faussaires” dénoncés par Pascal Boniface

Il déclare dans Le Monde du 10 septembre 2002, au sujet de l’Irak : « Les armes biologiques et chimiques existent bel et bien, et leur emploi est tout à fait possible en cas de guerre. ».

Et dans l’article L’inquiétant arsenal irakien du Point du 20 septembre 2002, il déclare : « Nous savons depuis vingt-cinq ans qu’il a du chimique, qu’il continue à en produire et qu’il l’utilisera le cas échéant sur le champ de bataille. »

Dans le Nouvel Observateur du 13/02/2002, il indique : “Puisque la coopération de l’Irak dans la recherche des armes n’a été ni substantielle, ni inconditionnelle. Les éléments de preuve fournis par Colin Powell dans les domaines biologique et balistiques tendent à montrer qu’il y a eu une fausse déclaration.”

Le 28/08/2007 : “Si on laisse les choses se faire, on n’échappera pas à une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran.”

En septembre 2007, dans son livre Iran, le choix des armes ?, il indique : “Serait-il plus catastrophique de frapper que de ne pas frapper ? [...] Le recours à la force serait marginalement moins calamiteux que l’acceptation du franchissement du seuil nucléaire par l’Iran.” Bien entendu, si l’Iran a l’arme nucléaire, c’est pour l’utiliser immédiatement et mourir, et non pas pour faire comme le Pakistan, et se protéger, puisque des fous furieux attaquent sans raison leurs voisins et expliquent que ce serait mieux de les bombarder… (Repris dans Libération en 2008)

Le 23 novembre 2007, il explique dans l’émission “L’Iran, où va le monde ?” que “il faudra deux à trois ans à l’Iran pour avoir la bombe”. Bien vu !

En 2011, rebelote sur la Libye : « Pendant que le gouvernement français faisait des moulinets pour l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne inutile du point de vue militaire, les Américains ont sans doute fait le choix de fournir des armes aux insurgés » (Libération). Encore un beau résultat ! Et il poursuit à propos du départ de Kadhafi : “La seule formule qui permette d’éviter à court terme le risque de partition du pays” (aufait) Bravo !

Et François Heisbourg est un grand tweeteur (grand concourt, indiquez en commentaire les perles que j’ai loupées) :

Pour l’Ukraine, plus de sanctions contre la Russie !

heisbourg.jpg

Un autre exemple :

heisbourg-2.jpg

Il diffuse le sondage en Ukraine “Voulez-vous renforcer les liens avec l’UE”. OUI à :

  • 68 % à l’Ouest
  • 21 % à l’Est
  • 43 % en moyenne

Conclusion : chouette, ils veulent l’Europe ! Eh bien les habitants de l’Est, ils ne suivent pas, évidemment. Bref, de la haute analyse géopolitique !

Enfin - grand prix – : il reprends cette abjecte image russophobe (et quasi-raciste pour moi)…

heisbourg-3.jpg

Enfin, on voit donc la haute profondeur du géopolitologue…

3. Antoine Arjakovsky

Présenté par Arte comme : “historien”

C’est un spécialiste de pensée chrétienne orthodoxe – et c’est une croyant fervent.

Il est aussi directeur émérite de l’Institut d’Études Œcuméniques de Lviv. Oui, oui, Lviv, le cœur du fascisme ukrainien (ceci étant, c’est un bon endroit pour l’œcuménisme – mais faut-il qu’il soit anti-haine et non pas pro-haine).

“Sa vision des évènements en Ukraine dans La Croix le 19 février était déjà sidérante, dédouanant l’église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev (donc beaucop de prêtres sont proches de Svoboda), et chargent celle du patriarcat de Moscou :

le patriarche Kirill (à Moscou) reste campé sur la ligne exposée dans le document du saint-synode du 26 décembre dernier, à savoir que l’Ukraine appartient au monde russe, que l’Europe est un monde décadent, que les manifestants ukrainiens sont manipulés par l’Occident et que les manifestations n’ont pas lieu d’être… [hein ?]

En Ukraine, seuls le Patriarcat de Kiev et l’Église gréco-catholique ont clairement pris position pour soutenir les manifestants. [...]

Il suffit de se rappeler que, depuis cinq ans, le patriarche Kirill de Moscou s’est rendu une dizaine de fois en Ukraine, à chaque fois pour répéter qu’entre le monde russe, auquel à ses yeux appartient l’Ukraine, et l’Europe décadente, c’est un combat entre deux idéologies qui s’affrontent.

En revanche, l’Église orthodoxe ukrainienne essaye d’adopter une position de neutralité, voire de se mettre du côté des opposants puisqu’une partie de ses fidèles est dans la rue.”

Mais la lecture de son blog, est encore plus édifante !

blog-aa.jpg

Son billet du 31/12/2013 Je ne peux plus me taire est une pépite !

Je ne peux plus aujourd’hui considérer le patriarcat de Moscou comme la structure légitime représentant l’Eglise russe.

[OB : HEIN ? Heureusement qu'il est pour l'œcuménisme !]

Le patriarche Kirill [...] ne dit pas un mot de soutien au peuple ukrainien venu manifester en masse, dans le froid glacial et au péril de sa vie, contre un régime corrompu [...] et battant jusqu’au sang des manifestants pacifiques. Le saint synode au contraire condamne vigoureusement « les tensions civiles et les révolutions qui ne peuvent apporter rien de positif au peuple ». [...] [OB : Ben la perte de la Crimée + une guerre civile + doublement du prix du gaz + récession de 10 %, pour gagner 11 mois de présidence Ianoukovytch - il n'avait pas tout à fait tort]

Les évêques du patriarcat de Moscou parlent d’une réconciliation nécessaire entre « les différents groupes ethniques et sociaux ». Cette phrase témoigne de l’aveuglement total du patriarcat de Moscou qui ne voit pas qu’il n’y a aucun enjeu ethnique dans l’Euromaidan, mais le désir profond de la population ukrainienne, attesté par tous les sondages, d’appartenir à la grande famille des nations européennes qui, en dépit de toutes ses faiblesses, pose au dessus de toute loi la défense de la dignité de chaque personne humaine.

Au lieu de s’enthousiasmer pour une telle preuve de vitalité spirituelle de la part du peuple ukrainien, la déclaration fait des allusions douteuses aux « forces extérieures » qui viendraient diviser l’Eglise orthodoxe ukrainienne pour des motifs politiques

La vérité en définitive c’est que l’idéologie communiste soviétique n’a pas encore disparu de l’ex-URSS. [...] Mais, et c’est terrible pour moi de l’écrire ici, il n’y a pas que dans les rues de Kiev que trônent encore les bustes de Lénine. L’idéologie soviétique est profondément enracinée également au sein même de la mentalité ecclésiale des dignitaires du patriarcat de Moscou. [...]

Tout au long de mes trente dernières années d’engagement dans l’Eglise Orthodoxe je ne suis pas resté inactif [...]

Je me suis enthousiasmé de voir l’Eglise russe se relever de ses cendres et apporter à nouveau la bonne nouvelle de la résurrection du Christ et de la proximité du royaume de Dieu à un peuple qui avait tant souffert d’une soviétisation intensive pendant soixante dix ans. [...]

C’est l’une des raisons pour lesquelles je quittais la Russie en 1998 et m’installais en Ukraine, pays autrement plus ouvert à la tradition orthodoxe la plus authentique, à la modernité, et au dialogue œcuménique et inter-religieux. [...] [OB : tu m'étonnes, surtout à Lviv, terre de l'humanisme !]

J’étais outré enfin de constater que le patriarcat de Moscou ne demande pas pardon à l’émigration russe pour tout le tort qu’il lui a causé dans le passé. [...]

Aujourd’hui je considère avec beaucoup de tristesse que les hiérarques qui conduisent aux destinées de l’Eglise russe ne sont pas dignes de la mission de réconciliation universelle qui leur a été confiée par le Très Haut.”

Alors c’est sûr que s’il a le Très-Haut avec lui…

Le Verbatim commenté

Nous allons donc commenter le Verbatim, en montrant ce qu’aurait pu apporter un débat un contradicteur…

Élisabeth Quin – Place au débat sur les événements récents en Ukraine : le nouveau chef d’Etat élu dimanche dernier, très favorable au rapprochement avec l’Union Européenne, doit remettre l’économie ukrainienne en marche et éviter que la guerre civile n’éclate à l’Est. Est-ce trop tard ? Réponse après la mise au point de Sandrine Le Calvez.

Sandrine Le Calvez – Avions de chasse, hélicoptères, armes lourdes, scènes de guerre dans l’est de l’Ukraine. C’est là que l’armée a repris ces dernières heures le contrôle de l’aéroport international de Donetsk. L’offensive musclée contre des insurgés prorusses aurait fait quarante morts du côté des séparatistes. D’un point de vue militaire, c’est une première victoire pour le tout nouveau président ukrainien, Pétro Porochenko qui avait prévenu : «Pas question de plier face aux insurgés prorusses ».

Pétro Porochenko – « Ce sont des meurtriers, des terroristes, aucun pays civilisé dans le monde ne négocie avec des terroristes et nous sommes un pays civilisé. »

Sandrine Le Calvez – Un discours de fermeté, la promesse d’une Ukraine forte et en paix. C’est sur ce programme que Pétro Porochenko a été élu dès le premier tour de l’élection présidentielle dimanche dernier, 54% des voix pour cet oligarque pro-européen qui a fait fortune dans le chocolat. Propriétaire d’une chaine de télévision, il était aux côtés des manifestants de la place Maïdan ces derniers mois, comme en 2004 lors de la révolution orange. A Moscou, réactions prudentes après l’élection du milliardaire ukrainien.

Sergueï Lavrov : « Comme l’a dit le président Poutine à plusieurs reprises, nous sommes prêts à dialoguer avec les autorités de Kiev, cela vaut donc pour Pétro Porochenko. »

Sandrine Le Calvez – Mais Vladimir Poutine peut-il s’entendre avec le nouveau président ukrainien pro-européen pour négocier une sortie de crise honorable ? Le nouvel homme fort de Kiev peut-il réunifier l’Ukraine ou au contraire précipiter son implosion ?

Élisabeth Quin – Bonsoir à tous les trois. Marie Mendras, vous êtes chercheuse au CNRS et à Science-Po et vous êtes rentrée d’Odessa aujourd’hui. A côté de vous Antoine Arjakovsky, bonsoir monsieur.

Antoine Arjakovsky – Bonsoir.

Élisabeth Quin – Vous êtes historien, expert des relations russo-ukrainiennes, directeur de recherche au collège des Bernardins et la semaine prochaine, je crois que c’est début juin, donc la semaine prochaine sortira cet ouvrage aux éditions Parole et silence : Russie Ukraine – De la guerre à la paix. Et à côté de vous François Heisbourg, bonsoir.

François Heisbourg – Bonsoir.

Élisabeth Quin – Vous êtes politologue, conseiller spécial à la fondation pour la recherche stratégique et vous, vous êtes rentré de Kiev ? La semaine dernière ? De Kiev ?

François Heisbourg – La semaine dernière absolument.

Élisabeth Quin – D’accord, très bien. Une question en 28 secondes Nadia s’il vous plait.

Nadia Daam – Oui c’est un peu plus qu’une question, c’est un constat : « Cette élection devait être un prélude à la paix. Avec les dizaines de morts de Donetsk, ça commence mal, non ? » Marie Mendras ce qui est en train de se passe à l’aéroport de Donetsk, ce sont les derniers soubresauts ou c’est le début d’un nouveau conflit ?

Marie Mendras – Les derniers soubresauts, sans aucun doute.

[OB : Sans aucun doute, les morts de Lugansk la remercient]

Nadia Daam – Qui devraient se terminer quand à votre… Ça devrait durer combien de temps ce qui est en train de se passer là-bas ?

Marie Mendras – C’est très difficile de dire. Je pense que tant que la Russie ne remet pas de l’huile sur le feu, ça va être difficile pour les commandos ou si vous voulez les insurgés – je ne sais pas très bien comment est-ce qu’il faut qu’on les appelle -, les mercenaires, c’est très difficile de dire combien de temps ils vont tenir.

[OB : Des mercenaires maintenant ??? 7 ?]

Renaud Dély – Marie Mendras, vous dites ce sont les derniers soubresauts d’un conflit, je veux juste montrer la carte du Donbass qui est justement l’Est du pays. Porochenko à peine élu, le nouveau président ukrainien a annoncé qu’il voulait justement éliminer les terroristes qui veulent, je le cite faire d’après lui du Donbass, donc la région de Donetsk, une ‘’nouvelle Somalie’’. Ça veut dire qu’on va quand même jusqu’à l’écrasement militaire des séparatistes prorusses de cette région ?

Marie Mendras – Je crois qu’il n’a pas le choix, il vient d’être élu à la tête de l’Etat ukrainien…

Renaud Dély – Il ne peut pas régler pacifiquement cette situation ce que vous voulez dire ? Il n’a pas le choix, il est obligé de faire la guerre ?

Marie Mendras – Mais c’est totalement impossible, puisque ce sont des Russes, venant de Russie, et des locaux aussi, des hommes qui habitent dans cette région de Donetsk et Lugansk qui ont lancé cette forme d’insurrection de manière extrêmement violente. Ils étaient lourdement armés, ils ont imposé à la population pratiquement une forme de couvre-feu, les gens ne sortaient plus. Vous le savez, dimanche dernier seule une petite partie de la population a pu voter parce qu’on avait des dizaines d’hommes surarmés autour des quelques bureaux de vote que des citoyens avaient eu le courage d’ouvrir. Il est absolument évident que le nouveau président n’a aucun choix, il doit tout de suite montrer qu’il ne cède pas deux régions à quelques centaines de commandos qui n’ont absolument aucune légitimité et qui ont commencé les violences. Je crois que ça, il faut absolument le rappeler.

[OB : Eh oui, impossible de faire la paix, il faut faire la guerre avant !]

Élisabeth Quin – François Heisbourg, vous souscrivez à cette analyse comme quoi il est obligé de reprendre, y compris cette rhétorique : ‘’les terroristes’’ ?

François Heisbourg – Tout d’abord, à ma connaissance, il n’a pas repris la rhétorique du gouvernement précédent sur les terroristes parce qu’on sait faire la différence entre Al-Qaïda et les milices de mercenaires dans l’est de l’Ukraine, ce n’est quand même pas tout à fait la même chose. Ca été une grave erreur du gouvernement ukrainien précédent de vouloir rentrer dans ce type de rhétorique puisqu’elle est de toute évidence pas vraie. Mais je suis d’accord avec l’analyse qui consiste à dire que Porochenko n’a pas le choix, il est obligé, il est amené à rétablir la souveraineté ukrainienne…

Renaud Dély – Par les armes ?…

François Heisbourg – sur le territoire ukrainien, le cas échéant par les armes, comme si la Corse était prise par des mercenaires venus d’Italie, je ne doute pas un instant que nous interviendrions nous par les armes. Par contre, je suis beaucoup moins optimiste que Marie Mendras sur le fait de savoir si ce sont les derniers soubresauts. Je pense que l’intérêt de la Russie est de maintenir le pourrissement, y compris par la voie des armes, dans cette région. La frontière est extrêmement perméable et la capacité d’entretenir les braises, de continuer à souffler sur le feu, malheureusement je crains que nous risquons de connaître d’autres épisodes comme celui d’aujourd’hui à Donetsk.

[OB : N'importe quoi !!! En l'espèce ce sont les habitants de Corse qui prendraient les armes, on fait quoi ? Comme en Algérie ? - ça a tellement bien marché la dernière fois... Par ailleurs meuh oui, c'est l'intérêt de la Russie - comme de tout pays - d'avoir une guerre civile juste à sa frontière, ça tombe sous le sens...]

Élisabeth Quin – Antoine Arjakovsky ?

Antoine Arjakovsky – Oui, moi je crois que ce qu’il est important surtout de retenir depuis dimanche, c’est que l’actuel président a une légitimité qu’il n’avait pas avant. Le gouvernement était un gouvernement…

Élisabeth Quin – De transition.

[OB : putschiste ?]

Antoine Arjakovsky – Certes élu normalement avec la constitution de 2004 mais il n’avait pas cette légitimité. Donc ça va permette à Porochenko, cela a été sa première déclaration, d’agir vite dans cette opération anti-terroristeil l’appelle quand même opération anti-terroriste- il dit : cela ne doit pas durer des mois, cela doit durer des jours, et donc j’ai l’impression qu’il a beaucoup plus maintenant de légitimité. Il a été élu dès le premier tour…

Élisabeth Quin – 54%, c’est une élection confortable.

Antoine Arjakovsky – 54%, c’est une élection confortable et surtout élu partout, dans toutes les régions…

Élisabeth Quin – Y compris à l’est…

Antoine Arjakovsky –y compris Donetsk, Lugansk, Poltava…

Élisabeth Quin – Enfin là où ils ont pu voter.

Renaud Dély – A Donetsk on n’a pas pu voter, quasiment pas.

Antoine Arjakovsky – Il y a quand même eu des bureaux ouverts à Donetsk, à Lugansk

Renaud Dély – Peu, très très peu.

Nadia Daam – 20% des bureaux de vote environ à l’est.

Antoine Arjakovsky – Voilà, donc là où on a pu voter, on a voté pour Porochenko.

[OB : non, 35 %]

Élisabeth Quin – Pour lui.

Antoine Arjakovsky – Donc partout en Ukraine, et y compris parmi les ukrainiens de l’étranger, c’est des millions de personnes, on a voté en majorité pour Porochenko, donc il a cette légitimité-là qui va lui permettre d’agir plus vite.

Il est important de rappeler un point de cette élection de dimanche que donc moi j’ai observée à Odessa. C’est que les deux candidats qui représentaient l’extrême droite ou l’ultranationalisme, c’est-à-dire à la fois Svoboda, ce qui veut dire ‘’Liberté’’ et Pravyï sektor, le Secteur Droit, l’un a fait 0,7 ou 0,8% et l’autre a fait 1,1%. Je crois que c’est important de le rappeler parce que nous avons été trop rapides aux mois de mars, avril dans nos commentaires en France, en Europe…

Élisabeth Quin – Sur le noyautage par les ultranationalistes.

Antoine Arjakovsky – En disant tout d’un coup que tout le monde était fasciste en Ukraine.

[OB : quelqu'un a entendu ça dans les médias en mars avril ? Par ailleurs, la définition d'un coup d'Etat dans un pays démocratique, c'est que vous êtes minoritaire dans le pays...]

Élisabeth Quin – François Heisbourg ?

François Heisbourg – Oui je crois que c’est extrêmement important parce qu’il y a eu tout un récit ‘’poutinien’’ sur le thème…

Antoine Arjakovsky – Des fascistes, c’étaient des fascistes.

François Heisbourg – Ce sont des fascistes, ce sont les héritiers des collabos, des nazis pendant la deuxième Guerre Mondiale qui ont pris le pouvoir par les armes à Kiev et qui ont obligé le président légitime à fuir or l’extrême droite en Ukraine, électoralement, on vient de le voir, pèse beaucoup moins lourd qu’en France.

[OB : cette phrase est une telle bouse intellectuelle, que je ne la commente pas]

Élisabeth Quin – Nadia vous nous parlez de la propagande.

Nadia Daam – Oui alors on le sait effectivement depuis le début de cette affaire, on parle beaucoup de liberté de la presse, de propagande. De liberté de la presse parce que de nombreux journalistes occidentaux ont été empêchés dans leur travail par les forces prorusses. Il y a quelques jours, un journaliste italien et son traducteur ont été tués par des tirs de mortier. Les médias russes de manière générale ont largement servi la propagande mais on est aussi en train de se rendre compte que ça se passe pareil de l’autre côté ou qu’il y a la possibilité que ça se passe de la même manière. C’est le Wall Street Journal qui révèle que trois journalistes prorusses, des journalistes russes, qui travaillent pour un site prorusse, ont été arrêtés par des soldats ukrainiens, l’ONG Human Right Watch commence à s’intéresser à tout ça et à dire que on peut rappeler…

Élisabeth Quin – Ça vous fait rire ?

Nadia Daam – Non mais attendez, je…

Antoine Arjakovsky – Ah c’est très drôle ! C’est très drôle, parce qu’on ne peut pas appeler ça des journalistes. Vous savez ce qu’on a trouvé dans le coffre…

Nadia Daam – Justement c’est toute la question…

Antoine Arjakovsky – Vous savez ce qu’on a trouvé dans le coffre de la voiture de ces journalistes ?

Nadia Daam – Il y a des enregistrements effectivement où on…

Antoine Arjakovsky – Des kalachnikovs, tout simplement.

Élisabeth Quin – Des journalistes engagés.

Nadia Daam – Alors est-ce que ça veut dire qu’on ne peut pas laisser rentrer les journalistes russes ?

Antoine Arjakovsky – Pardon ?

Nadia Daam – On ne laisse pas rentrer les journalistes russes en Ukraine ?

Antoine Arjakovsky – Il y a des tas de journalistes russes en Ukraine.

Marie Mendras – Oui et j’en ai rencontrés.

Antoine Arjakovsky – Du reste, le traducteur qui est mort, c’est Andrei Mironov, c’est plus qu’un traducteur…

Marie Mendras – Un ancien dissident soviétique, un homme remarquable.

Antoine Arjakovsky – Un ancien dissident qui dirigeait le mémorial, enfin c’est une très grande figure. Donc les vrais journalistes sont présents, y compris de Russie.

Nadia Daam – Il n’y a pas du tout de volonté de…

Antoine Arjakovsky – Mais des journalistes avec des kalachnikovs dans leur coffre, ça non, on les arrête.

Marie Mendras – Est-ce des journalistes ?

[OB : Primo, je ne sais pas si c'est vrai, quelle est la source. Secundo, avoir une arme dans le coffre dans une zone de guerre, on peut discuter de l'intérêt...]

Renaud Dély – Il y a eu aussi une dimension de la part du régime ukrainien de propagande, notamment à l’endroit de la Crimée, du rôle qu’on put avoir les russophones en Crimée etc… Il y a eu aussi cette dimension, ç’a été aussi une guerre de communication, ce n’est pas…des deux côtés.

Antoine Arjakovsky – De la part des ukrainiens ?…

Marie Mendras – De la part des ukrainiens ?…

Nadia Daam – Des deux côtés…

Antoine Arjakovsky – Il y a une guerre de communication qui est menée du côté du Kremlin !

Renaud Dély – Exclusivement ?

Antoine Arjakovsky – Mais totalement.

[OB : quelle subtilité]

Marie Mendras – Malheureusement les ukrainiens ont pas été très bons en communication.

François Heisbourg – Le gouvernement russe et les médias contrôlés par le gouvernement russe ont été très très systématiques dans l’emploi des médias comme outil de la guerre de l’information, l’information est un outil de guerre. Du côté ukrainiens, il y a certainement des gens qui auraient voulu faire la même chose mais…

[OB : les photos truquées du New York Times, il connait pas, le gars...]

Nadia Daam – C’était nettement moins efficace que du côté russe oui….

François Heisbourg – force est de constater qu’ils ne sont vraiment pas organisés pour. Mais quand même, il faut faire un peu attention. Dans l’est de l’Ukraine, dans certains coins, ça ressemble beaucoup à la situation en Bosnie au début de la guerre de Bosnie…

Élisabeth Quin – C’est-à-dire ?…

François Heisbourg – en mars-avril 1992. C’est-à-dire qu’on commence à se tirer dessus et en général, ce n’est pas binaire, c’est-à-dire ce n’est pas le gouvernement ‘’machin’’ contre le gouvernement ‘’chose’’, c’est ‘’Pierre, Paul et Jacques’’ du côté russe avec les agents russes, avec les prorusses, avec des gangsters qui roulent pour eux-mêmes et du côté ukrainien un petit peu la même chose. Il y a des défis pour Porochenko, ça va être…

Renaud Dély – De rassembler…

François Heisbourg – de commencer à tenir les rênes courtes à certains des responsables ukrainiens locaux pour éviter la balkanisation du conflit.

Renaud Dély – Justement, je voudrais vous faire écouter un extrait parce que dans la guerre de propagande et de communication qu’il y a eu aussi, il y a eu une mise en cause, évidemment justifiée pour notamment ce qui s’est passé en Crimée, mais de Vladimir Poutine, qui a été un peu démonisé et on annonçait quasiment l’arrivée de Vladimir Poutine, en tout cas le démantèlement de l’est de l’Ukraine à l’instigation de Moscou. Vladimir Poutine, samedi à Saint Pétersbourg, il a expliqué que lui en tout cas récusait toute perspective de guerre froide. Je voudrais faire écouter cet extrait.

Vladimir Poutine : « Je ne voudrais pas penser que c’est le début d’une nouvelle guerre froide, personne n’y a intérêt et je pense que cela ne se produira pas. »

Renaud Dély – Finalement, Vladimir Poutine, il a pris ses distances, y compris avec les séparatistes prorusses, il avait condamné le faux référendum du 7 mai dernier donc est-ce qu’on peut à ce point accuser Poutine comme on l’a fait de vouloir démanteler l’est de l’Ukraine ?

Antoine Arjakovsky – Vladimir Poutine pratique le double langage, d’un côté son ministre Lavrov dit à Genève : on va signer la désescalade etc… et de l’autre côté, il dit : on va créer une nouvelle région qui va s’appeler ‘’Novorossia’’. Et avant-hier, les terroristes ou les séparatistes de Lugansk et de Donetsk ont décidé de créer une région qui va s’appeler ‘’Novorossia’’, du nom de l’ancienne région de l’empire russe.

Marie Mendras – Que gouvernait le duc de Richelieu à partir d’Odessa au début du XIXè.

Renaud Dély – Mais s’il voulait vraiment démanteler l’Ukraine, il ne l’aurait pas déjà fait ? Il n’aurait pas déjà réussi ?

[OB : tiens, il y a un journaliste avec un cerveau sur le plateau. Parce que moi, je serais président de la Russie, et je voudrais démanteler l'Ukraine, cela serait fait très rapidement en armant vraiment les milices locales...]

Antoine Arjakovsky – Mais il cherche à le faire, toute sa politique depuis un mois c’est de déstabiliser l’Ukraine et là, il a pris une grande claque avec ces élections…

Renaud Dély – Pour autant, le scrutin a eu lieu, la présidentielle a pu avoir lieu.

Antoine Arjakovsky – Le scrutin a pu avoir lieu, ça c’est la pression des occidentaux

Marie Mendras – C’est remarquable, c’est remarquable.

[OB : je ne sais pas ce que c'est que ce nouveau délire - elles étaient prévues dans 11 mois les élections avec l'ancien Président... S'ils ne soutenaient pas des révolutions dans des pays démocratiques...]

Antoine Arjakovsky – Et deuxièmement, le candidat du Kremlin, Dobkin, a eu moins de 1%.

Dobkin : 3 % + Tigipko 5 % = 8 % pour le parti des Régions. Intensions de votes : 35 % à 40 % dans l’Est, plus 10 % à 30% pour le parti communiste]

Élisabeth Quin – Antoine Arjakovsky, vous le comparez à Hitler en 1938, avec l’annexion des Sudètes.

Antoine Arjakovsky – Je ne suis pas le seul, il y a plusieurs personnes : il y a le prince Charles, il y a Hillary Clinton. On est dans une situation effectivement proche des années 1930 avec une nouvelle idéologie néo-fascisante, avec une idéologie qui dit : ‘’là où il y a des russes, il faut créer le monde russe’’…

Élisabeth Quin – Il faut intervenir…

Antoine Arjakovsky – il faut intervenir. Et le partage qu’il souhaite faire de l’Ukraine, c’est exactement ce qu’a proposé le pacte Molotov-Ribbentrop en 1939 : un vrai partage de la Pologne, qui voulait s’appliquer à l’Ukraine.

[OB : quel partage, il a refusé la demande des régions de l'Est...]

Renaud Dély – C’est pas un peu excessif ou un peu tôt comme comparaison aujourd’hui de comparer Vladimir Poutine à Hitler ?

Élisabeth Quin – Oui, les Sudètes et la Tchécoslovaquie.

François Heisbourg – En histoire, les plats ne sont jamais repassés à l’identique et c’est une hygiène intellectuelle que de refuser ce type d’analogies.

Antoine Arjakovsky – Moi je crois au contraire qu’on peut faire des analogies et pas des comparaisons. Mais les analogies sont possibles.

François Heisbourg – Pardon ! Non pas pour disculper Poutine car je considère qu’effectivement non seulement on est dans votre double discours mais dans la double réalité. Les soldats que vous voyez sur certaines des images, ils ne se sont pas équipés à la superette du coin, ça ce sont des soldats qui ont été équipés par la Russie.

[OB : non, ce sont des soldats ukrianiens qui ont désertés et changés de camp http://guerre-civile.ducon, on a plein de vidéos .Et zou, encore un infâme mensonge non contredit]

Mais Poutine, en terme de personnalité, en terme de vision, en terme d’idéologie, qui est effectivement une idéologie conservatrice, réactionnaire et ainsi de suite, je suis désolé, ce n’est pas Hitler !

Élisabeth Quin – Très bien.

François Heisbourg – Poutine est Poutine et il faut faire très attention…

Élisabeth Quin – Très bien François Heisbourg.

François Heisbourg – …de ne pas se lancer dans ce genre de comparaisons parce que les gens savent très bien qu’il…

Élisabeth Quin – Alors…

Antoine Arjakovsky – Ce n’est pas une comparaison, c’est une analogie.

François Heisbourg – Non mais même en tant qu’analogie ! C’est comme l’histoire des terroristes, les gens savent faire la différence entre Al-Qaïda et…

[OB : bah oui, le manipulateur explique qu'il ne faut pas pousser le bouchon trop loin, ça se voit trop après...]

Élisabeth Quin – Avançons, avançons…

Antoine Arjakovsky – Ils terrorisent la population. Dans les deux cas ils terrorisent la population.

François Heisbourg – D’accord, d’accord ! Donc les petits hommes verts de Donetsk c’est l’équivalent d’Oussama Ben Laden !

Élisabeth Quin – Alors, avançons…

François Heisbourg – Le problème c’est que les téléspectateurs savent que ce n’est pas vrai.

[OB : énorme...]

Antoine Arjakovsky – Je n’ai pas dit que c’était équivalent.

Élisabeth Quin – Intéressons-nous à Pétro…

François Heisbourg – Oui mais ça c’est le langage des ukrainiens.

Renaud Dély – Alors Poutine n’est pas Hitler mais qui est Porochenko, qui est le nouveau président ukrainien ? Il a une image qu’il a notamment cultivée dans son pays…

Élisabeth Quin – A Maïdan…

Renaud Dély – grâce à…il est notamment propriétaire d’une chaine de télévision, Canal 5, qui a mis aussi en scène un personnage…

Élisabeth Quin – Courageux….

[OB : euh, non, "riche"...]

Renaud Dély – charismatique, courageux, qui a osé s’affronter à ses opposants et qu’on a vu beaucoup à Maïdan. Qui est ce nouveau président qu’on appelle le ‘’roi du chocolat’’, c’est ça Marie Mendras ?

Marie Mendras – Oui, la chaine, la cinquième chaine en Ukraine, qui effectivement lui appartient, n’a pas eu besoin de mettre en scène Pétro Porochenko parce qu’il est très connu en Ukraine depuis vingt ans. C’est à dire, ça fait vingt que à la fois, il a développé deux ou trois secteurs de l’économie ukrainienne et notamment le chocolat, le bonbon, les gâteaux mais pas seulement.

François Heisbourg – Ils ne sont pas très bons d’ailleurs, il faut quand même dire…

Renaud Dély – Il a été ministre, c’est un ancien ministre.

Marie Mendras – Il a travaillé au début de l’indépendance de l’Ukraine avec le président Koutchma, qu’il a su quitter quand Koutchma devenait un petit peu trop ‘’poutinien’’ dans ses méthodes, il a très tôt rejoint Iouchtchenko, même avant que Iouchtchenko ne soit élu après la révolution orange…

[OB : tiens, c'est une insulte Poutine maintenant... La saoudisation, c'est pour quand ?]

Renaud Dély – C’est un oligarque. On peut le qualifier d’oligarque ?

Marie Mendras – C’est quoi pour vous un oligarque ? Je vous répondrai.

Renaud Dély – Je vous pose la question, est-ce que Porochenko est un oligarque ?

Marie Mendras – Moi j’emploie jamais ce terme donc…

[OB : jamais...]

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[OB : c'est trop facile ce tir aux pigeons...]

Élisabeth Quin – Alors quel…Pourquoi ? Quel terme faut-il employer ? C’est un terme employé unanimement par les médias et les observateurs.

Renaud Dély – C’est pas un gros mot oligarque.

Marie Mendras – Oui, que les Russes emploient aussi mais ce que je voudrais simplement expliquer, c’est que justement dans le cas de Porochenko, il a pratiquement toujours eu des fonctions gouvernementales, qu’il soit…il a été deux fois ministre, il a été président du conseil de sécurité et de défense nationale, également pour Iouchtchenko…

Antoine Arjakovsky – Gouverneur de la banque nationale…

Élisabeth Quin – Il est légitime, c’est ça que vous voulez dire.

Marie Mendras – Il a été gouverneur de la banque et aussi il a développé ses affaires etc… Simplement comme le terme en français est toujours assez négatif…

Élisabeth Quin – Parce qu’on l’associe à la mafia…

Renaud Dély – Et que vous ne voulez pas visiblement l’écorner

Élisabeth Quin – Parce qu’on l’associe aux pratiques mafieuses.

Marie Mendras – Non mais à ce moment quand on me parle des oligarques en Russie, je dis toujours : si vous voulez employer cette terminologie, dites d’abord que Vladimir Poutine est le premier oligarque…

Élisabeth Quin – Est le premier des oligarques…

Marie Mendras – car non seulement il a beaucoup de pouvoir politique mais une grande fortune et beaucoup de pouvoirs économiques également.

Élisabeth Quin – Alors je vous propose, précisément puisqu’on parle d’oligarchie, de faire un petit retour à l’époque de Georges Marchais, on aurait dit : il appartient à la ploutocratie d’une certaine manière. Alors on va faire un petit retour sur l’apparition des oligarques en Russie avec le rétroviseur de Marc-Antoine de Poret et vous pourrez réagir juste après.

En 1991, Boris Eltsine, premier président de la Russie post-soviétique, démantèle l’économie de l’URSS. Pour passer du collectivisme au marché, c’est un chantier titanesque : en moins de trois ans quinze mille firmes passent dans le secteur privé.

Grigoury Lioubar (chef d’entreprise) : « Pour nous, le salaire n’est plus l’essentiel, les bénéfices vont nous revenir, il est donc plus important de les investir que de les laisser s’envoler en fumée. »

Leurs salariés se voient distribués des actions.

Boris Eltsine : « La Russie n’a pas besoin de millionnaires », dit-il, « elle veut des millions de propriétaires ».

Mais une poignée de russes plus malins ou plus entreprenants vont en profiter pour faire fortune. Ils élaborent des montages financiers, vident les entreprises de leurs actifs et rachètent des actions pour une bouchée de pain, notamment le salarié.
En 1994, le pouvoir passe à une nouvelle étape en mettant aux enchères des secteurs entiers : l’énergie, les métaux ou les télécommunications, c’est la grande braderie. Quelques capitaines d’industrie vont s’offrir ces fleurons et se partager le gâteau russe avec la complicité du camp Eltsine, on les appelle les oligarques.
En 1996, sept d’entre eux contrôleraient jusqu’à 50% de l’économie. Ils vont s’unir pour faire réélire celui qui sert le mieux leurs intérêts : Boris Eltsine.

[OB : comme c'est une émission sur l'Ukraine, c'est une bonne idée de faire un reportage courageux sur les oligarques... en Russie !]

Élisabeth Quin – Alors, il n’est pas un oligarque, c’est ça ?

François Heisbourg – Un oligarque c’est, dans le cas de la Russie et de l’Ukraine d’ailleurs aussi, quelqu’un qui s’est fait de l’argent avec la rente pétrolière et gazière ou les autres matières premières, généralement avec des liens avec la mafia. Porochenko, lui, est ce qu’on appellerait en France un homme d’affaires. C’est-à-dire il a une industrie légitime qui s’appelle le chocolat, le chocolat est rarement associé à la notion d’oligarchie. Donc ça ne veut pas dire que ce soit un ange, mais ça veut simplement dire que ce serait quelqu’un qui ne déparerait pas dans une réunion de chefs d’entreprises…

[OB : ça c'est de l'analyse !]

Élisabeth Quin – Du MEDEF !

François Heisbourg – Du MEDEF ou du BDLI en Allemagne.

Élisabeth Quin – Très bien, Antoine Arjakovsky vous le connaissez.

Antoine Arjakovsky – La différence par rapport à la Russie c’est que en Russie s’est mis en place un Etat mafieux avec de grandes fortunes comme ça, effectivement à partir du gaz et du pétrole, là en Ukraine, c’est très différent. C’est vrai que j’ai eu l’occasion de le rencontrer, Pétro Porochenko, le grand avantage au-delà de son honnêteté et de son succès dans les affaires, c’est qu’il est à la fois russophone et ukrainophone, c’est quelqu’un de synthèse et c’est quelqu’un aussi qui est de confession orthodoxe mais…

Élisabeth Quin – Comme vous ?…

Antoine Arjakovsky – Comme moi… Mais qui a fait appel comme premier ministre dès le premier jour, il a dit qu’il prendrait Arseniy Yatsenyuk, qui est lui-même grec catholique, comme premier ministre, le président du parlement Tourtchinov étant protestant, donc pour eux cette question des valeurs est importante.

Élisabeth Quin – Très bien.

Antoine Arjakovsky – On l’a vu au moment où il votait, il a fait son signe de croix, c’est…

[OB : normal...]

Nadia Daam – Vous l’aimez beaucoup ?

Élisabeth Quin – Oui, clairement.

Antoine Arjakovsky – Moi je trouve que c’est quelqu’un d’extrêmement compétent.

Renaud Dély – Ça s’appelle l’état de grâce. Il vient d’être élu, très largement, au début ça commence souvent comme ça…

Élisabeth Quin – D’aucuns l’ont connu.

Marie Mendras – Souvenons d’où l’on vient…

[OB : d'une régime démocratique, sans guerre civile, uni, en voie de redressement économique grâce aux 20 Md$ annuels donnés par la Russie !]

Élisabeth Quin – Attendez…

Marie Mendras – Ya un mois, on était nombreux à se demander, à la fois en Ukraine et chez nous en Europe, si cette élection se tiendrait…

Renaud Dély – Elle a eu lieu et il a été élu.

Marie Mendras – Elle a eu lieu, je l’ai observée, elle a eu lieu dans des conditions exceptionnelles alors que la population est quand même très traumatisée par les violences.

Renaud Dély – Pour autant…

Élisabeth Quin – Pour autant, Marie Mendras, il faut qu’on parle du chiffre du jour.

Renaud Dély – Pour autant tout n’est pas encore réglé, voilà, le chiffre du jour que je vais vous montrer à l’instant. C’est 2,2 milliards d’euros, ça correspond…

Élisabeth Quin – De dollars.

Renaud Dély – Non d’euros.

Élisabeth Quin – Ah bon.

Renaud Dély – Oui oui, absolument.

Élisabeth Quin – Très bien.

Renaud Dély – C’est donc la dette gazière de l’Ukraine à l’endroit de la Russie. On sait que justement Moscou menace une fois de plus de couper le robinet du gaz. Est-ce que l’Ukraine a encore les moyens de son indépendance par rapport à Vladimir Poutine sur cette question du gaz ? Ce n’est pas ça la principale menace aujourd’hui ?

François Heisbourg – S’il ne s’agit que des 2,2 milliards d’euros…

Élisabeth Quin – De dollars en l’occurrence, ce sont des dollars…

François Heisbourg – oui en l’occurrence effectivement je crois que ce sont des dollars…

Élisabeth Quin – Ce sont des dollars oui absolument…

François Heisbourg – Il n’y a pas de problème, c’est infiniment moins que le prêt que va faire le FMI à l’Ukraine.

[OB : un énorme prêt dans un pays qui va très mal à tous les points de vue - où est le problème ?]

La difficulté, c’est que la Russie exige non pas 2,2 milliards de dollars, elle exige 22 milliards de dollars. Et le gouvernement ukrainien a saisi le tribunal arbitral compétent en la matière, qui est le tribunal de Stockholm en l’occurrence, parce que les russes ont multiplié par dix la note depuis la chute du président Ianoukovytch, ça s’appelle soit du chantage soit un hold-up.

Élisabeth Quin – Faire monter les enchères !

Juan Gomez, bonsoir Juan Gomez.

Juan Gomez – Bonsoir.

Élisabeth Quin – Où va-t-on ?

Juan Gomez – Et bien je vous emmène en Chine vers laquelle Vladimir Poutine tourne désormais tous ses regards. Depuis le début de la crise ukrainienne, vous le savez, la Russie fait l’objet de sanctions croissantes. L’objectif affiché des occidentaux, c’est clairement d’isoler économiquement le pays et Vladimir Poutine cherche donc désespérément une échappatoire à ce piège et il a peut-être trouvé la solution miracle à Pékin, c’est en tout cas ce qu’affirment les médias russes. La semaine dernière Vladimir Poutine était en Chine, il y a passé deux jours, il a rencontré son homologue Xi Jinping, et les deux hommes ont signé une cinquantaine d’accords dont un énorme contrat gazier. Le montant est évidemment resté secret mais il est estimé tout de même à trois cents milliards d’euros, c’est le plus important contrat de toute l’histoire du géant russe Gazprom. Alors Vladimir Poutine a incontestablement réussi un joli coup, il a montré évidemment que la Russie était capable de se détacher de l’Europe, de se tourner vers l’Asie et notamment vers la Chine, le premier consommateur d’énergie au monde. D’ailleurs samedi dernier, le premier ministre russe, Dimitri Medvedev, a été on ne peut plus clair en affirmant que le gaz qui ne serait pas livré en Europe pourrait être livré, exporté en Chine. Alors en réalité c’est beaucoup moins simple, la Chine est certes devenue la semaine dernière le deuxième client de Gazprom mais elle reste loin, très loin derrière l’Europe et vous allez le voir, pour le chef de la diplomatie suédoise, si Moscou venait à concrétiser ses menaces, la Russie ne gagnerait pas au change.

Carl Bildt, ministre des Affaires étrangères de Suède : « La Russie est plus dépendante des revenus du gaz que l’Europe n’est dépendante du gaz. Donc oui, il y aurait des problèmes à court terme si la Russie exécute ses menaces mais au bout du compte elle aura plus de problèmes que nous. »

Juan Gomez – Voilà et donc pour vous donner un ordre de grandeur, l’année dernière la Russie a exporté vers l’Europe cent soixante milliards de mètres cubes de gaz, c’est quatre fois plus que ce qui est prévu dans l’accord signé avec les chinois la semaine dernière. En clair la Russie ne peut pas se passer du marché européen et les experts sont d’ailleurs tous unanimes, Vladimir Poutine, qui est pris à la gorge en ce moment par les sanctions occidentales et européennes, n’était pas en position de force pour négocier avec son homologue chinois. Ça fait dix ans qu’il essaie d’obtenir cet accord, il a donc dû faire des concessions et il a accepté de vendre son gaz beaucoup moins cher qu’aux européens donc, contrairement aux apparences, il faut tout de même relativiser le soi-disant succès de Vladimir Poutine face aux américains et aux européens.

Élisabeth Quin – Merci Juan Gomez.

Le mot a été dit : ‘’européens’’. Que peut faire, que doit faire l’Europe ?

François Heisbourg – L’Europe doit réduire sa dépendance gazière par rapport à la Russie, ça me paraît assez évident.

[OB : dépendre de l'Arabie Saoudite et du Qatar, où est le problème ?]

Élisabeth Quin – Et par rapport à l’Ukraine ?

François Heisbourg – Non l’Ukraine n’exporte pas de gaz directement, c’est le gaz russe qui passe par…

Élisabeth Quin – Non mais une attitude de l’Union Européen pour aider l’Ukraine ?…

Renaud Dély – Pour aider ? Economiquement, pour soutenir économiquement l’Ukraine, que peut faire l’Europe ?

François Heisbourg – Oui mais ce n’est pas la même question…

Élisabeth Quin – Oui.

François Heisbourg – je suis désolé de vous le dire…

Élisabeth Quin – Pardon François Heisbourg mais… Je pensais que vous me feriez une réponse…

[OB : qu'on aura donc jamais - mais la réalité, elle, va vite nous rattraper...]

François Heisbourg – Si vous me demandez : « qu’est-ce qu’il faut faire ? »…

Renaud Dély – Ce n’est pas la même réponse…

François Heisbourg – Et donc ce n’est pas la même réponse.

Élisabeth Quin – Très bien, à vos ordres.

François Heisbourg – Mais par rapport au gaz, il est évident que si on ne veut pas être à la merci de Vladimir Poutine, il faut que l’on réduise nos besoins en matière d’importations de gaz russe. Ça prendra du temps, il faut compter cinq à six ans. Je suis au demeurant tout à fait d’accord avec l’analyse qui vient d’être faite sur l’accord russo-chinois…

Élisabeth Quin – Excellent Juan Gomez !

François Heisbourg – Les russes ont été obligés de payer le prix exigé par les chinois et trois cents milliards d’euros c’est beaucoup mais c’est sur trente ans et donc en fait dix milliards d’euros par an, c’est le huitième du niveau actuel des échanges entre la Russie et la Chine. Donc oui c’est important mais ça ne change pas la face du monde.

Marie Mendras – Ca va mettre du temps à se mettre en place, ça va pas être immédiat.

Élisabeth Quin – Sur l’Europe ?

Renaud Dély – Oui sur l’Europe. Oui je crois que la première visite à l’étranger du président Porochenko, elle est prévue à Varsovie le 4 juin, quel signe politique ça donne ? C’est justement une façon de bâtir un peu plus l’Europe dans l’hostilité à Vladimir Poutine aussi ? Parce ce que on sait que la Pologne y est très hostile.

Antoine Arjakovsky – L’amitié avec la Pologne et l’amitié avec les tatars de Crimée puisque au même moment le leader des tatars de Crimée, Mustafa Djemilev, va recevoir un prix : le prix solidarnosc. Et l’une des premières mesures qu’a pris Porochenko après le 23 février, ç’a été de donner des droits à la communauté tatars de Crimée. Donc je pense que ça va être très politique mais pour répondre à votre question, je crois que ce qui est très important de la part de l’Union Européen : c’est de signer aujourd’hui l’accord économique. Il y a eu un accord politique qui a été signé, du traité d’association le 21 mars, maintenant il faut passer à l’économie et surtout…

Nadia Daam – C’a été évoqué depuis ?…

Antoine Arjakovsky – Oui, là, l’Union Européen a dit qu’elle était prête à faire ça au moins de juin…

Nadia Daam – Après l’élection ?…

Antoine Arjakovsky – donc c’est ça la prochaine échéance. Et puis surtout je crois du point de vue de la France puisqu’on va recevoir Vladimir Poutine bientôt, le 6 juin, c’est de dire il y a un décalage entre, d’un côté, nous arrêtons notre coopération militaire avec la Russie et, d’un autre côté, on fait venir des marins russes au Havre au mois de juin pour commencer à tester les mistrals. Alors là je crois qu’il y a un vrai problème, une vraie difficulté…

Renaud Dély – Vous évoquiez la Crimée, il y a encore une chance pour Porochenko de récupérer la Crimée en Ukraine ou est-ce que c’est sé… ?

Antoine Arjakovsky – Il l’a dit ! Il l’a dit : jamais l’Ukraine n’acceptera l’annexion de la Crimée. L’Ukraine veut une conférence internationale…

Renaud Dély – Mais comment est-ce qu’il peut y arriver ? Il va faire la guerre pour la récupérer ?…

Élisabeth Quin – Avec des armes ? Militairement ?…

Antoine Arjakovsky – veut une conférence internationale en disant à la France qu’elle a signé le traité de Budapest. La France a garanti, avec l’Angleterre et l’Amérique et la Russie, l’intégrité du territoire ukrainien : il faut revenir là-dessus.

[OB : je crois qu'on se comprend mal : garantir l'intégrité, cela veut dire qu'on défend l'Ukraine en cas d'agression. Mais pas qu'on va faire la guerre car une région veut quitter l'Ukraine après un référendum démocratique !]

Élisabeth Quin – C’était le mot de la fin pour ce soir et par rapport à ce débat.

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P.S. pour ceux qui se posent la question, je vous rassure, PAS UN SEUL média français connu ne m’a demandé la moindre interview.  :)

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Catégories : Crise Politique Tags :  Ukraine

10 réponses à Arte, une certaine idée du débat

 

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