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Le blog de Lucien PONS

La médaille des VICTIMES (le blog de Descartes)

20 Juillet 2016 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #La France, #La République, #La nation ., #Terrorisme, #Politique étrangère

Publié par El Diablo

La médaille des VICTIMES  (le blog de Descartes)

Que dire des évènements de Nice ? L’horreur devant les morts et les blessés, le caractère gratuit et absurde de cette agression sur cette foule qui venait assister à un feu d’artifice… difficile – et inutile – d’en dire plus.

Mais l’émotion n’est pas une raison pour dire n’importe quoi. Et c’est particulièrement vrai à la tête de l’Etat. Le président de la République et son Premier ministre ne peuvent se permettre le luxe de propager des fausses nouvelles. Or, tous deux sont sortis dans les médias qualifiant les faits de « attentat terroriste », alors que rien n’indique que c’en soit un. Et malgré les efforts des médias pour nous vendre la soupe, les jours qui passent n’apportent nullement une confirmation à cette thèse. Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que le meurtrier était un homme déséquilibré, dépressif, en instance de divorce et en rupture avec sa famille. Qu’il n’était pas particulièrement religieux ou politisé. Qu’il a agi seul. Que toutes les armes qu’il avait avec lui, en dehors du pistolet automatique dont il s’est servi, étaient factices. Et il ne semble y avoir à son acte la moindre motivation politique ou religieuse. Cela peint plutôt l’image d’un fou suicidaire voulant emporter avec lui dans sa mort autant de personnes que possible, et non d’un terroriste.

Je trouve assez étonnant que personne ne fasse le rapprochement entre le massacre de Nice et le crash volontaire de l’avion de la Germanwings en mars 2015 provoqué par le copilote Andreas Lubitz. Pourtant, les deux faits se ressemblent : des personnes faibles, déséquilibrées, suicidaires, sans motivation politique ou religieuse et ayant la volonté d’emporter avec eux dans la mort autant de personnes que possible. Dans les deux cas, les massacres n’ont pas été commis en utilisant des armes de guerre ou des explosifs, mais un outil familier – l’avion pour le pilote, le camion pour le chauffeur routier – transformé en arme par destination. Mais surtout, il n’y a rien de « terroriste » dans leurs actes. Ce sont tout simplement les actes d’un forcené.

Mais alors, pourquoi a-t-on immédiatement crié au « terrorisme » ? Il faut à mon avis chercher les raisons dans l’état de la politique française. Les attentats de janvier et novembre 2015 ont mis le terrorisme à la « une » de tous les médias. Et à chaque fois, ils ont eu un effet bénéfique pour la cote du président de la République et de son Premier ministre, qui ont bénéficié du réflexe légitimiste qui pousse une population à se regrouper autour du pouvoir légitime lorsqu’elle est agressée. Pour les gouvernants, c’est l’opportunité d’apparaître dans un contexte dramatique ou les voix discordantes gardent un silence respectueux (1). Pour un gouvernement, c’est l’opportunité de se parer des apparences de l’autorité à défaut de l’avoir pour de vrai. Et surtout, l’avantage du terrorisme est d’offrir une vision ultra-simplifiée des problèmes : par ici, les méchants, par là, les bons. Les méchants sont très méchants et cela justifie à peu près tout. Les bons sont très bons, et on peut donc leur faire intégralement confiance (2).

Mais au delà du calcul politicien, la réaction de nos dirigeants tient à un problème de fond, qui est celui du statut de la « victime » dans notre imaginaire politique. Le statut politique de la « victime » n’a pas cessé en effet de s’améliorer. En 2007, lorsque Ségolène Royal était crucifiée par ses propres camarades, Jean Glavany avait eu cette phrase prémonitoire : « elle a de la chance, elle est devenue une victime », reconnaissant que ce statut ne pouvait que lui apporter des soutiens. Lors du dernier remaniement, nous avons vu la création d’un « secrétariat d’Etat à l’aide aux victimes », dont voici le mandat tel qu’il figure dans le site internet du gouvernement : « L’Aide aux victimes est une grande cause nationale. Son portage politique au sein du Gouvernement répond à une demande forte des victimes et des associations de victimes. En lien étroit avec les associations de victimes, le secrétariat d’État à l’Aide aux victimes entend rassembler toutes les énergies disponibles et les coordonner durablement ». Tout un programme ! Vous voulez un autre exemple ? Le 13 juillet dernier était publié sur le site de l’Elysée le communiqué suivant : « Pour honorer les Français victimes d'actes de terrorisme et les étrangers victimes d'actes commis contre les intérêts de la France, le Président de la République a souhaité la création d'une médaille destinée à manifester l'hommage de la Nation aux victimes du terrorisme. Cette distinction pourra être accordée aux personnes ayant été victimes d'actes commis à compter du 1er janvier 2006 ».

On voit ici apparaître une hiérarchie des victimes. Toutes les victimes ne se valent pas : il y a les victimes de première classe, « victimes du terrorisme », qui méritent des médailles manifestant « l’hommage de la Nation » envers eux, et puis des victimes de deuxième classe, que la Nation ne reconnaît pas. Et puis une catégorie étrange, celle des « victimes d’actes commis contre les intérêts de la France » que la Nation ne reconnaît que si elles portent un passeport étranger. Reconnaître le massacre de Nice comme un acte « terroriste » n’est donc pas banal, puisque cette reconnaissance a pour effet de « surclasser » les victimes. Et si la demande des victimes est suffisante à l’heure de créer un secrétariat d’Etat, comment l’ignorer en d’autres circonstances ?

Et d’ailleurs, y a-t-il un fondement logique de cette hiérarchie des « victimes » ? Oui, lorsque les victimes sont choisies intuitu personnae, comme ce fut le cas de la rédaction de Charlie Hebdo. Non, lorsqu’elles sont tuées au hasard. Celui qui meurt mitraillé au hasard à la terrasse d’un café est dans la même situation que l’arme soit actionnée par un terroriste, par un fou dépressif, par un criminel de droit commun. Pourquoi l’hommage de la Nation devrait être réservé aux uns et pas aux autres ?

Mais surtout, est-il pertinent de donner des médailles aux victimes ? Une médaille, c’est une récompense destinée à encourager un comportement. Donner une médaille, c’est donner publiquement en exemple un comportement. Lorsque la République octroie au sauveteur qui plonge dans un canal pour sauver une personne en détresse la médaille du courage, elle entend encourager l’acte civique qui consiste à risquer sa propre vie pour sauver celle d’un autre. Mais quel serait l’intérêt de créer une médaille du noyé, accordée à ceux qui se trouvent en détresse dans un canal ? Quel est le comportement qu’on entend encourager avec ce geste ?

Ce « victimisme » n’est pas totalement innocent. Le discours obsessionnel qui fait de certaines « minorités visibles » des éternelles victimes de la société est déjà amplement récupéré pour justifier beaucoup de choses qui n’auraient jamais été admises – et à juste titre – en d’autres temps. On peut se demander jusqu’à quel point ce discours, qui justifie par avance la « vengeance » contre cette société qui vous veut tant de mal, n’aide pas le passage à l’acte de certains individus psychologiquement fragiles. Car on ne peut que constater que ces passages à l’acte n’arrivent pas au hasard, et que chez nous ils sont particulièrement concentrés dans certaines minorités.

Devant des évènements comme ceux de Nice, notre société doit refuser l’approche hystérique et compassionnelle, et avoir au contraire une approche responsable. La véritable question est de comprendre que nous ne pouvons pas prendre des positions et ensuite refuser d’en accepter les conséquences. Il fut un temps ou l’on enfermait les fous dans des hospices. Puis, dans le sillage de Foucault, on a décidé que la folie était une construction sociale, que chacun est le fou de quelqu’un, et que par conséquence les fous devaient être autorisés à vivre dans la société et non en marge de celle-ci. Je ne prends pas position dans ce débat, mais si la société décide de libérer les fous, elle doit accepter les conséquences le jour où l’un de ces fous pète les plombs. Et de la même manière, si l’on veut l’arrêt des contrôles d’identité, la fin des frontières, le respect absolu du secret des communications privées et de la correspondance, on doit accepter de bonne grâce d’en payer le prix le jour ou ces facilités permettent à un terroriste de commettre un massacre à Paris. Et quand on donne des médailles aux victimes, il ne faut pas s’étonner que ceux qui se considèrent comme des « victimes » et n’ont pas reçu de médaille se sentent autorisées à se faire justice par elles-mêmes.

Descartes

(1) Le temps me manque malheureusement pour commenter l’intervention de François Hollande du 15 juillet, démonstration s’il en fallait une de l’incapacité de ce pouvoir à tenir un discours qui ait un minimum de tenue dans sa forme comme dans le fond. Sur le fond, on y retrouve des explications vaseuses du genre « Pourquoi le 14 juillet ? Parce que c’est la fête de la Liberté et c’est bien donc pour toucher la France que cet individu a commis cette attaque terroriste ». Non seulement rien à ce moment là – et rien depuis – ne permet de conclure que l’individu avait l’intention de « toucher la France » ou qu’il ait choisi le 14 juillet pour d’autres raisons que le fait évident de disposer d’une foule compacte pour commettre son forfait, mais surtout Hollande se contredit deux phrases plus loin en déclarant que les gens ont été « frappés à mort pour simplement satisfaire la cruauté d’un individu et peut-être d’un groupe », ce qui exclut l’acte politique.

La forme n’est guère meilleure. Pourtant, on se dit que c’est le genre d’opportunité qui se prête à un beau discours. Et bien non. Le discours est construit comme une énumération de catégories, introduites par des « et puis il y a… ». Peut-être une illustration de la tendance de nos politiques à s’adresser non pas à la Nation comme un tout, mais à chaque catégorie en particulier ?

(2) C’est ce que les anglo-saxons appellent « the politics of fear » (« la politique de la peur »). Le gouvernement veut présente comme le seul rempart devant des dangers innommables qui nous menacent. Mais pour que cette position soit crédible, encore faut-il que la peur soit là. Et c’est pourquoi chaque évènement tragique doit être dramatisé jusqu’à l’absurde, avec des longs reportages montrant des gens qui pleurent, et des discours doloristes remplis d’adjectifs rituels qui ne veulent en fait rien dire. Tiens, prenons un exemple : pourquoi qualifier à chaque fois les attentats de « lâches » ? On se dit qu’il faut au contraire beaucoup de courage pour aller se faire sauter avec une ceinture d’explosifs…

 

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