« Indépendance » de la Catalogne : derrière les apparences, quels enjeux cachés ?
Référendum Catalogne

Le référendum organisé le 1er octobre par les autorités de Catalogne en vue de décréter l’indépendance de cette région a été très largement entravé par le gouvernement espagnol. Cette initiative avait en effet été jugée inconstitutionnelle, et donc interdite. L’utilisation des forces de police pour appliquer cette décision a soulevé, en France notamment, de nombreux commentaires et réactions.

L’émotion est, comme toujours, mauvaise conseillère. Analyser rationnellement faits et les enjeux est donc nécessaire.

Tout d’abord, quoiqu’on pense de la tentation indépendantiste, le sort de la Catalogne ne peut être en aucune manière comparé – sauf ignorance crasse ou pyramidale mauvaise foi – à la situation qui prévalait dans l’Algérie du temps de la colonisation, à celle qui soumet aujourd’hui encore le peuple palestinien au joug de l’occupation israélienne, ou encore à celle qui maintient le Sahara occidental sous le régime colonial marocain.

C’est aux Espagnols – à eux seuls, mais à tous les Espagnols – de décider de l’avenir de leur pays

Il faut ensuite rappeler l’essentiel : c’est aux Espagnols – à eux seuls, mais à tous les Espagnols – de décider de l’avenir de leur pays. Car la sécession de la Catalogne n’aurait pas seulement des conséquences majeures sur les habitants de Barcelone ou de Gérone, mais tout autant sur ceux de Madrid ou de Cordoue.

C’est la raison pour laquelle la constitution adoptée en 1978 (y compris très massivement par les électeurs catalans) prévoit que c’est à l’ensemble du pays de décider de l’éventuel départ d’une partie de son territoire. Une disposition qui est du reste en vigueur (sous forme référendaire, parlementaire ou autre) dans la plupart des pays du monde.

Le principe affirmant que c’est à la population dans son entier, et non à une partie d’entre elle, de trancher sur une indépendance est notamment nécessaire pour éviter une dérive mortifère. Car dans l’hypothèse (au demeurant peu probable) où une majorité de résidents catalans choisirait l’indépendance, qui pourra empêcher une sous-région (une province ou une comarque) de proclamer qu’elle n’entend pas faire partie du nouvel Etat, et faire sécession à son tour (éventuellement pour rejoindre l’Espagne) ? Et cette scissiparité peut continuer à l’infini, aboutissant à un inimaginable émiettement de micro-Etats.

Talon de fer de Madrid ?

En outre, nul n’est fondé, de l’extérieur, à porter de jugement de valeur sur la légitimité des aspirations autonomistes catalanes. Celles-ci existent, et ont partie liée avec l’histoire. Mais force est en revanche de constater que la Généralité dispose déjà d’une large autonomie dans nombre de secteurs, hors défense et politique étrangère. Et l’on reste tout de même perplexe devant l’affirmation que les Catalans seraient opprimés sous le talon de fer de Madrid, comme certains, en France et en Europe, tentent d’en accréditer l’idée.

Ce serait plutôt les Catalans adversaires de l’indépendance qui ont, ces dernières années, fait profil bas. Ces derniers (qui représenteraient tout de même 49% de la population contre 41%, si l’on en croit une récente étude… d’un organisme dépendant des autorités pro-indépendantistes de Barcelone) sont, eux, sous pression.

Que ce soit dans le cadre personnel ou professionnel, les partisans de l’unité de l’Espagne ont de moins en moins la vie facile. L’affirmation du catalan comme langue dominante provoque couramment des discriminations à l’embauche contre ceux qui ne pratiquent pas cette langue. Pour ne rien dire du climat d’intolérance, de menaces voire de violences qui s’est déployé contre les adversaires de l’indépendance durant la campagne.

Préoccupations sonnantes et trébuchantes

Enfin, il convient de noter qu’une fois passées les affirmations émotionnelles et identitaires, le seul argument concret a trait au domaine financier et fiscal : la dynamique (mais très endettée) économie catalane pourrait être libérée du poids des transferts injustes vers Madrid…

Cela s’inscrit dans un courant qui voit plusieurs régions en Europe mettre en avant des préoccupations sonnantes et trébuchantes. En substance : on en a assez d’être plombé par la solidarité nationale en faveur de régions à la traîne. C’est notamment les cas de la Flandre dont les dirigeants considèrent la Wallonie comme un poids mort assisté. C’est aussi ce qui fait le ciment des partisans de l’indépendance d’une « Padanie » (Nord de l’Italie) « plumée » par « Rome la voleuse ». Et même les dirigeants écossais avaient mis en avant le fait qu’ils s’en sortiraient bien mieux tout seuls grâce à leurs avantages (dont, naguère, le pétrole).

Les charmes de « l’Europe des régions »

Bien sûr, les uns comme les autres prennent soin de rappeler qu’ils entendent rester au sein de l’Union européenne. Ils n’hésitent pas, pour ce faire, à se draper plus ou moins discrètement dans les charmes de « l’Europe des régions » qui verrait les Etats s’effacer au profit des instances communautaires ; celles-ci se satisfaisant alors du foisonnement des identités régionales, dès lors qu’elles verraient se renforcer leurs prérogatives politiques.

Ce schéma soulève cependant pas mal de contradictions. Car nombre de dirigeants nationaux pourraient être confrontés à un nombre croissant de revendications de ce type. Dès lors, à Bruxelles – où l’on n’a guère envie de voir s’ouvrir des batailles supplémentaires entre Etats membres – on reste très prudent face à cette boîte de Pandore en puissance.

« Nous sommes des citoyens européens, nos droits et libertés ont été violés » – Carles Puigdemont

N’empêche : le dirigeant catalan Carles Puigdemont a enfoncé le clou dès le soir du 1er octobre : « nous sommes des citoyens européens, nos droits et libertés ont été violés ». Et de marteler que la Catalogne est devenue « un dossier qui concerne l’Europe ».

L’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, la figure la plus emblématique des fédéralistes européens, a immédiatement repris la balle au bond : évoquant les violences policières, il a jugé urgent de « condamne(r) énergiquement ce qui s’est passé ce jour en Catalogne ». Quant à l’indépendantiste flamand Bart de Wever (dont le parti est un pilier du gouvernement belge), il a déclaré : « qui refuse l’appel à une médiation internationale ignore la démocratie ».

Le vrai débat devrait porter sur le concept même de peuple

En réalité, la véritable démocratie devrait désormais imposer que les Espagnols, et les Catalans en leur sein, puissent débattre réellement de leur avenir.

Mais aussi que surgisse, dans tous les pays, un débat sur le concept même de peuple : selon que l’on en a une conception politique, ou bien ethno-culturelle, les réponses ne seront pas les mêmes…