Alors que la France, tel un célèbre village gaulois, se querelle sur le traité d’union budgétaire, ses partenaires ont depuis longtemps tourné la page et préparent activement le coup d’après, celui du saut « fédéral » que devra effectuer la zone euro afin de donner un gouvernement à sa monnaie unique.
C’est encore une fois l’Allemagne qui mène la danse. Elle use non seulement de sa puissance économique, la seule qui impressionne les marchés, mais elle profite aussi du vide politique laissé par François Hollande, un chef de l’État qui semble paralysé par les contradictions de sa majorité. Angela Merkel lui a confié, en juin dernier, qu’elle avait bien l’intention de lancer en décembre prochain le processus menant à une réforme en profondeur des traités européens, processus qui devrait aboutir en 2014.
Et depuis, elle martèle, comme elle l’a encore fait le 17 septembre, que « c’est absolument le bon moment pour de coopération politique en Europe ».
« C’est consternant », note un haut fonctionnaire européen : « le décalage entre le débat politique français et les discussions européennes est total. Encore une fois, la classe politique française va se réveiller dans deux ans, quand tout aura été bouclé ».
En effet, pour l’ensemble des partenaires de Paris, le TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’union économique et monétaire) n’est qu’une étape sur la voie de la fédéralisation de la zone euro : pour l’Allemagne, ce texte gravant dans le marbre le Pacte de stabilité et de croissance, était la condition sine qua non de son maintien dans la barque de la monnaie unique, car elle a appris à se méfier des promesses de bonne gestion budgétaires de certains de ses partenaires...
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est en décembre dernier, lorsque l’accord politique sur le principe du TSCG a été obtenu par Berlin, que Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, José Manuel Durao Barroso, le président de la Commission, et Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe, ont été chargés de préparer un rapport sur l’approfondissement de l’intégration « budgétaire » de la zone euro pour le mois de mars… qui n’a jamais vu le jour.
« Tant que le traité n’était pas signé, les conditions politiques du côté allemand n’étaient pas réunies pour qu’on se lance dans cet exercice », explique un haut fonctionnaire de la Commission.
Il faut donc attendre le sommet informel du 23 mai, réuni pour accueillir François Hollande, soit presque deux mois après la signature du TSCG, pour que ce mandat soit renouvelé et étendu : il s’agit désormais de préparer une « feuille de route » pour le mois de décembre 2012 qui décrira les étapes menant à l’intégration politique, financière, budgétaire et économique de la zone euro.
Exactement comme le souhaite l’Allemagne. Le groupe a été, au passage, étendu à Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), devenu l’un des acteurs majeurs de la gestion de la crise.
Sans attendre, le ministre des affaires étrangères allemand, le libéral Guido Westerwelle, a créé, au début du printemps, un groupe sur « le futur de l’Europe » réunissant ses collègues du Benelux, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Autriche, de la Pologne et du Danemark.
La France, elle, ne s’est jointe aux travaux qu’en juillet dernier et encore en qualité d’observatrice…
Son rapport, un document de huit pages dévoilé le 17 septembre, montre que les esprits ont évolué très rapidement sous les coups de boutoir des marchés, une partie des États étant désormais prêts à créer, à terme, une fédération dont la dimension démocratique est clairement affirmée.
Ce rapport va très loin, y compris en évoquant la création d’une « armée européenne », la transformation du Mécanisme européen de stabilité en un véritable « Fonds monétaire européen », la mutualisation des dettes publiques, l’élection du Président de la Commission au suffrage universel, le droit d’initiative législative du Parlement européen, la transformation du Conseil des ministres en Sénat des États ou encore le changement des traités à la double majorité des États et des citoyens.
Certes, ce texte de compromis entre onze pays n’engage pas la Chancelière, d’autant qu’elle décide quasiment seule en matière de politique européenne. Néanmoins, il recoupe plusieurs propositions allemandes (notamment sur la démocratisation du système).
Pour Berlin, une forte solidarité financière ne peut exister qu’au sein d’une « union politique » structurée afin d’exercer un contrôle politique et démocratique sur les États « fédérés ».
Barroso est sur la même longueur d’onde : il vient de proposer devant le Parlement européen la création d’une « fédération des États nations ».
La première mouture du rapport des « quatre présidents » européens sur l’avenir de la zone euro, présentée en juin dernier, va aussi en ce sens, même si le mot de « fédération » n’est pas prononcé.
Mais, depuis, la réflexion s’est accélérée : Van Rompuy a ainsi annoncé, le 13 septembre, qu’il allait proposer la création d’un budget de la zone euro et une émission limitée de dette commune…
Les chefs d’État et de gouvernement en discuteront lors de leur sommet des 18 et 19 octobre. François Hollande aura-t-il alors quelque chose à dire ?