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Le blog de Lucien PONS

Des nouvelles de la Grèce occupée. L’écume de la mort par Panagiotis Grigoriou.

12 Avril 2013 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Grèce

L’écume de la mort


La légende voudrait que Vénus (Aphrodite), déesse de l'amour, soit née de l'écume de la mer, amenée par le vent d'ouest, le Zéphyr sur les rivages de Chypre. Sauf qu’hier, cet autre vent de l’ouest et du nord depuis Bruxelles du tout dernier Eurogroupe, amène sur l’île le désastre et la mort. La nouvelle était tombée samedi matin, comme dans un coup d’état, comme pour une déclaration de guerre.


La presse mainstream reproduit ce matin la nouvelle dans une “neutralité” de façade: “(...) Car si Nicosie qui devient ainsi le cinquième pays de la zone euro à bénéficier d'un programme d'aide internationale, a obtenu l'assurance d'un plan de sauvetage maximale de 10 milliards d'euros, en échange de cette aide, les Chypriotes devront mettre la main au portefeuille. Pour réduire leur participation, les bailleurs de fonds en effet demandé à Nicosie d'instaurer une taxe exceptionnelle de 6,75% sur les dépôts bancaires en-deçà de 100.000 euros et de 9,9% au-delà de ce seuil, ainsi qu'une retenue à la source sur les intérêts de ces dépôts. Ces prélèvements devraient rapporter au total 5,8 milliards d'euros, a indiqué samedi le chef de file de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. A ces taxes, s'ajoutent des privatisations et une hausse de l'impôt sur les sociétés qui passera de 10 à 12,5% (...)” Les Echos, le 17 mars.
Déjà hier (16/03), un épargnant chypriote s’est pointé devant “sa” banque fermée en bulldozer, peine perdue, les montants “à prélever” étaient déjà mis automatiquement sous séquestre, et les guichets décidément (si) automatiques, ne permettaient aucun retrait dépassant les 200 euros par carte. Sur l'île, les banques peuvent ne pas rouvrir leurs portes avant mercredi ou jeudi même. Par la même “occasion” et en une petite nuit seulement, toutes les banques chypriotes présentes sur le sol “grec”, seraient passées sous le contrôle de la Banque Postale grecque (sous le point également d’être offerte aux “investisseurs”), d’après les déclarations d'un banquier (de nationalité allemande) de la BCI (selon le reportage de la presse économique grecque ce dimanche, Imerisia 17/03).

Nous comprenons (presque) où nous allons, et surtout qui est le maître à bord de l’UE. Nous comprenons également tout ce bruit ainsi que l’insistance du FMI lors de l’Eurogoupe de vendredi, à vouloir imposer initialement une taxe de 40% sur les comptes bancaires. Selon le reportage d’hier (16/05), “le ministre des Finances chypriote Michalis Sarris a déclaré que c'était une décision difficile, ajoutant que le FMI et d'autres organisations ont exigé un prélèvement de 40% direct sur les comptes” (Mega-TV, 16 mars). Depuis Bruxelles, on met alors le feu en s’amusant, comme dans un jeu. La police sur l’île d’Aphrodite est déjà en état d’alerte depuis hier, car on craint les réactions populaires. Chez les politiques aussi l’idée d’un “Plan B” fait déjà son chemin, le ministre des Finances se rendra à Moscou mercredi, et certaines formations politiques avancent l’idée d’un référendum sur l’appartenance de Chypre à la zone euro.
D’autres, se disent outrés de cette décision piétinant les droits les plus élémentaires en vigueur au sein de l’UE, pour ce qui serait des droits et du respect de la propriété privée, se préparant ainsi à saisir les instances juridiques européennes compétentes en la matière siégeant au Luxembourg: “ La décision de l'Eurogroupe de prélever directement sur dépôts est totalement illégale et viole les principes européens des droits de l'homme et de la propriété”, a fait valoir l'avocat et ancien représentant parlementaire du Parti démocrate (DIKO), Andreas Angelides. M. Angelides estime que cette décision est en contradiction avec les principes de la notion de droits de l'homme, l'acquis et les principes de l'UE. “En ce moment”, a-t-il ajouté, "nous parlons d'une décision forcée, par laquelle une partie du patrimoine de tout un chacun est spoliée (...) Aucune institution de l'UE, ne peut décider une telle ponction, entrant en conflit avec ses conceptions (européennes), d’ailleurs universelles et fondamentales de la construction européenne” a déclaré M. Angelides. Le droit à la propriété sur les biens et donc sur les capitaux déposés dans une banque ne peut pas être aboli ainsi par de telles décisions, a ajouté M. Angelides, notant que nulle part n’a eu lieu, la mise en place d’une mesure similaire, tout simplement parce qu'elle ne peut pas être appliquée. C'est une question désormais relevant de la volonté de chacun d’entre nous, afin de recourir à la Cour suprême de Chypre et demander de renvoyer cette question pour avis à la Cour européenne siégeant au Luxembourg”, a indiqué M. Angelides” (reportage de Politis à Chypre et de Kathimerini en Grèce - 17/03).
L’homme politique Angelides, certains Chypriotes, Grecs, Italiens, Espagnols... n’admettent pas encore toute la réalité du front de l’Est et du Sud européen. Le bourrage des cerveaux comme on disait jadis, brouille les pistes, mais alors si mal. L’U.E. n’est plus. Et nous autres... jardiniers de Salonique, d’Athènes, de Nicosie ou de Brindisi, nous n’admettrons plus si longtemps les “salades” du discours mainstream. Sur le bateau, le seul effectuant désormais la traversée depuis le Pirée hier, certains passagers lisaient attentivement la presse anti-mémorandum laquelle a énormément médiatisé les récentes déclarations de Beppe Grillo: “L’Italie est déjà sortie de la zone euro”.

D’autres, se rendaient à Mykonos pour chercher du travail en vue de l’été prochain: “Les Mykoniates sont toujours assez riches et le tourisme n’est pas mort. Cette année nous attendons aussi le retour des Allemands. Ils doivent revenir en masse”. Effectivement, une Mykoniate en rajouta: “Eh... oui, les Allemands ont ce projet de nous prendre l’île de Rhénée en face de Délos et d’en faire une base pour leur bateaux de croisière, en plus de la gestion d’une partie du port de Mykonos. Sur l’affaire Rhénée il n’y a pas eu de réactions hostiles chez les Mykoniates, seulement sur la marina et le vieux port certains ont protesté, et ceci parce qu’ils y trouvent leur intérêt privé dans la situation actuelle, Mykonos c’est aussi cela...”.
Rhénée (en grec Rinia), la grande Délos de l’antiquité, immédiatement à l'ouest de l'île de Délos, dans l'antiquité, dédiée au culte de l'Apollon Délien. On pensera aux tombes hellénistiques de Rhénée, au lieu-dit Kato Generale, (dont l’étude) “apporte et analyse une documentation limitée en nombre, puisqu’elle ne porte que sur les squelettes exhumés dans une fouille de courte durée (1975-1977). Mais il y a un intérêt considérable, tant sont encore peu nombreuses dans l’Orient méditerranéen les études d’anthropologie physique (...) On sait que Délos a été purifiée deux fois (vers 540 et en 426) et que Rhénée est ainsi devenue sa nécropole. Mais on est dans le secteur en question à une date beaucoup plus basse, que l’on peut fixer à la seconde moitié du 2e siècle et au 1er avant J.C. (...)” (d’après les travaux des archéologues français qui ont effectué ces fouilles à Rhénée: “Tombes et squelettes de Rhénée: Jacques Clère et Marie-Thérèse Le Dinahet, Les tombes hellénistiques de Kato Generale à Rhénée” ; n°1 ; vol.20, pg 353-354.

Loin de Rhénée et de sa nécropole, la télévision du régime d’Athènes minimise (sans convaincre) les réactions populaires à Chypre, dont les premières manifestations spontanées devant le Palais présidentiel à Nicosie, et se focalise sur “les risques de contagion en Grèce et en Espagne” (Mega-TV, 17/03). Déjà, le gouvernement espagnol, reproduisant dès hier fidèlement les déclarations de la classe politique allemande, tente à rassurer les Espagnols: “Non, Chypre est un cas isolé, rien de tel n’aura lieu en Espagne... ”.
Mais c’est à Chypre que le chantage mafieux de l’Eurogroupe atteint le sommet de la dramaturgie du moment. Au risque de voir invalider “l’accord” par le Parlement de l’île, les politiques Allemands ainsi que Bruxelles, exercent des pressions pour que le fait accompli soit adopté, si possible sans attendre le vote des parlementaires chypriotes lundi, d’autant plus que dès lundi, les places boursières de l’eurozone risquent bien de dévisser. Preuve supplémentaire que le “marché” est désormais seul aux commandes, même l'ultime simulacre de démocratie et de souveraineté acquises est sur le point de s’effondrer, les citoyens des autres pays de l’Union devraient alors comprendre que chez eux, ce n’est guère trop différent, sauf que “leurs” banques garantissent encore leurs dépôts et la “démocratie” avec.

Au moins, l’histoire se précipite enfin. Comme le note à juste titre Jacques Sapir ce dimanche sur son blog , évoquant les “Les veines ouvertes de la Grèce”, “(...) Dans ce contexte survient le samedi 16 mars l’annonce de l’accord sur Chypre, et de ses conséquences. Le gouvernement de Nicosie, pour obtenir le soutien de l’Union Européenne, a dû mettre en œuvre une mesure extrêmement dangereuse: un prélèvement direct sur les comptes bancaires. Les effets de cette mesure ne se feront probablement pas attendre dans les autres pays. En effet, à Chypre même, des queues se formaient devant les banques pour retirer l’argent des comptes, mais sans effets car le gouvernement avait gelé la veille les montants. Mais ce qui est arrivé aux Chypriotes va servir de leçon pour les autres pays. Une telle mesure est parfaitement envisageable en Grèce, en raison de l’effondrement des recettes fiscales. La logique de la situation serait que l’on assiste à un “bank run”, une panique bancaire en Grèce, puis probablement en Espagne et en Italie (...)”.
Nous, c’est depuis la mer Egée que nous scrutons l’horizon. Nos amis de l’île de Syros et leurs animaux “adespotes”, nous ont offert l’hospitalité de leur petite maison, à défaut des retrouvailles devenues hélas impossibles car ils ont déjà émigré en Belgique: “De toute manière nous ne pouvons plus profiter de notre maison, allez-y de temps à autre si cela vous est encore possible, vous penserez à nous... mais prenez des photos et envoyez les nous par mèl, nous voulons voir la maison, les géraniums... la mer”. Derrière Paros en face, puis derrière les autres îles et bien au-delà de l’archipel, surtout depuis hier je ne vois que l’île de Chypre.
Panikos (ce n’est pas un jeu de mots), rencontré dans un café de Nicosie il y a presque deux ans, me disait déjà que “Chypre suivra le chemin de la Grèce et de la Troïka, tôt ou tard, lorsque tous les atouts économiques, les spécificités de Chypre seront démantelés, comme si on nous arrachait les dents, une par une...”.

Georges de Syros apprenant la nouvelle ce matin a aussitôt téléphoné à sa mère pour la convaincre de la gravité de la situation: “N’y vas pas mardi pour déposer de l’argent, c’est plutôt le contraire qu’il faut faire maman ”. Georges nous a apporté une salade de son jardin, nous lui avons offert en échange nos pois chiches cuisinés. Ingénieur au chômage, il a quitté Athènes voilà dix mois pour se construire une nouvelle existence sur Syros dont il est originaire. “Cela ne sert plus à grand-chose d’émigrer, toute l’Europe coulera et en Australie ce n’est pas la terre tant promise par les répétiteurs du système. Mais au pire c’est vrai, je pourrais partir en Angleterre où j’ai fait mes études... pour survivre, mais je préfère survivre et mourir ici face à la mer, c’est plus poétique non ?”.
Les nécropoles de Rhénée juste en face, et Chypre au loin au-delà de l’Égée, pourtant si près, c'est l'Europe qui se termine d'après les conventions des géographes.




* Photo de couverture: Banque de Chypre - Agence d'Ermoupolis, 16 mars

http://www.greekcrisis.fr/2013/03/lecume-de-la-mort.html
Île de Syros - 16/03
Ermoupolis - Syros - 16/03
Rhénée et sa nécropole - En face (à droite) Délos et Mykonos - 2010
Les premières manifestations spontanées devant le Palais présidentiel à Nicosie - Mega TV 17/03
"Certains passagers lisaient attentivement la presse anti-mémorandum..." 16/03
Ermoupolis - Syros 16/03
Adespote - Syros 17/03
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