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Le blog de Lucien PONS

La Grèce occupée. Les terrorismes de la crise par Panagiotis Grigoriou.

12 Avril 2013 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Grèce

Les terrorismes de la crise

Nos nouvelles ne s’améliorent pas en ce moment. La météo athénienne redevient clémente mais c’est à peu près tout ce que l’on peut tirer du temps présent. Ce n’est décidément pas en ce mois d’avril qu’on osera enfin envisager sérieusement notre destinée. Et à notre place, “nos” visiteurs de la Troïka, œuvrent sans relâche pour nous préparer un avenir à la juste mesure du méta-capitalisme mutant, autrement-dit de l’aberration. Dimanche soir assez tard, c’était le 7 avril, les délégués troïkas n’étaient pas encore sortis du ministère des Finances, situé sur la dite “partie basse” de la place de la Constitution. Les caméras et les rares reporteurs attendaient paisiblement cette sortie pour en finir, de même que les policiers et autres hommes des MAT, les CRS grecs. Il n’y avait que les limousines blindées, garées devant le ministère qui interpelèrent finalement les regards des passants et encore. Au même moment, sur la “partie haute” de la place, des comités citoyens anti-mémorandum avaient organisé un rassemblement, et en même temps, “concert de résistance dans l'adversité” selon les organisateurs. Il n’y avait pas grand monde, sauf que les participants avaient le sourire, sous le nez des troïkas c’est peut-être un signe.

Entre les Troïkas d’en bas, et les manifestants nocturnes d’en haut, il y avait la place et ses passants, gens du milieu, plus tellement juste par ailleurs. J’ai aussi remarqué que l’arbre de Dimitris, lieu de mémoire de son suicide politique il y a encore quelques jours, il a été dépouillé des messages des citoyens, et des organisations qu’avaient célébré ainsi sa mémoire, la nôtre le 4 avril dernier. Brusquement, un jeune homme traversa cette place en criant: “Mort aux traîtres, l'euro explosera, réveillez-vous, démocratie directe”. Il interpela les flâneurs mais en vain, “Vous pouvez me photographier, je suis connu, j’anime ce mouvement, connectez-vous sur mon site internet, je m'appelle N.Z”, ajouta cet homme. Il tenait une pancarte et une petite corde: “À bas la junte des traîtres”. Je crois que l’instant historique de cet homme serait déjà derrière nous. Non pas parce que la colère ou l’exigence que justice soit faite ne nous animeraient plus, bien au contraire sauf que le catalyseur politique nous fait encore défaut quelque part et... pour l’instant partout.


Mais voilà que “notre” foi prétendument pragmatique dans l’euro, ramifiée et endurcie en une idéologie, une religion séculaire déjà aveugle à ses propres failles prend fin. Les murs et les poteaux d’Athènes accueillent depuis quelques jours une nouvelle campagne d’affichage en faveur du “Plan B”, remise à jour après la blitzkrieg à Chypre, en référence explicite aux affiches historiques de 1974, suite au coup d’État organisé par la junte d’Athènes à Chypre contre Makarios, et à l’intervention armée de la Turquie: “Je n'oublie pas - Plan B”. La boucle historique et mémorielle est bouclée, l’intervention des élites allemandes et/ou dirigeantes de l’U.E. sur Chypre est assimilé et ressentie comme un acte de guerre et d’invasion, et effectivement elle l’est. La rupture serait même rapidement consommée entre les peuples du sud européen et l’organigramme tyrannique de l’U.E. si “leurs” élites, économiques, politiques et pour tout dire bancocrates, n’étaient pas aussi compromises avec les grands mythes du moment, si lourds de sens que nous vivons et surtout, nous mourons en... mémorandum éternel avec eux.


C’est ainsi que l’espoir renait en ce moment contraint et forcé. Au sein de la gauche d’abord, et de la gauche radicale ensuite l’idée fait son chemin sur la sortie de la zone Euro, voire de l’Union Européenne. Et lorsque certains responsables de Syriza rencontrent en ce moment des cadres dirigeants de certaines grandes entreprises, parmi ces derniers, il y en a qui comprennent la nécessité d’abandonner l’euro au profit de la monnaie nationale. D’après mes sources, je dirais qu’une partie (indéterminée pour l’instant) de notre bourgeoisie certes népotiste, serait en train de changer de cap ou en tout cas d’envisager à le faire au cas où. Non pas par altruisme ou par quelconque amour brusque déclaré, à l’encontre des classes laborieuses et pour tout dire paupérisées, mais sans doute parce que la destruction du pays, imposée par les directoires extérieurs, commence à la concerner quelque part.


La politique extrémiste menée par les initiateurs de l’austérité, c'est-à-dire de la guerre, ne s’arrêtera pas par miracle. Nous, nous entendons les cris, et les craquements de ce qui en reste de la société chaque jour davantage. D’après le reportage du jour en ce mardi 9 avril et à titre d’exemple, rien qu’à Patras, la Régie d’électricité interrompt le courant à plus de quatre cent foyers par jour, à cause des factures impayées. Des comités locaux dans toute la Grèce, rétablissent alors le courant chez ces foyers modestes, c'est-à-dire détruits, de manière “sauvage”. Depuis le Nord du pays, un membre de ces commandos a expliqué sur antenne “que des citoyens actifs dans ce type d'actions de résistance agissent partout, dans les campagnes ou en ville. Nous l'avons fait par exemple hier au bénéfice de cette famille dont le grand-père est handicapé et tous les autres membres de la famille au chômage. Car ce que l’État nous dit dans pareils cas, c’est tout simplement: vous pouvez mourir. Nous procédons à nos actions en rétablissant le courant électrique en plein jour, nous n’avons pas encore pris le maquis et nous ne sommes pas encore entrés dans la clandestinité” (Real-FM, journal radiophonique du 9 avril).
Les représentations, les manières et les pratiques évoluent, le tout, dans un imbroglio tragicomique mémorandaire total. Les emprunts de toute sorte auprès des banques ne seraient plus honorés à hauteur de 30% selon la presse des derniers jours, et il manquerait déjà un certain nombre de milliards à la collecte des impôts. Déjà, d’après mes observations, de nombreux commerçants et en nombre croissant, abandonnent “l'habitude” de la facturette, tout comme un grand nombre d’entreprises, 20% à 40% selon les estimations, ne reversent plus la TVA à l’État. Il y a de quoi en faire une crise dans la crise, la tension monte entre Samaras le docile et les Troïkans, ces derniers exigent des mesures supplémentaires, et lorsqu’ils les obtiennent, ils constatent trois mois plus tard, “que les objectifs n'ont pas été atteints”. D’où sans doute ce triste épisode de l’accident vasculaire cérébral la semaine dernière à l’intérieur même du ministère des Finances, et dont un membre de la délégation de la Troïka, a été la victime. Giovanni Callegari 38 ans, représentant de la BCE au sein de la Troïka, fut aussitôt conduit dans un hôpital privé, heureusement, l’homme a été sauvé et ses jours ne sont pas en danger, ce qui a provoqué un véritable choc au sein de la délégation troïkanne mais également, chez les “négociateurs” grecs, d’après la presse athénienne.


Giovanni Callegari a été sauvé mais nous, pas encore. Sur les murs d’un hôpital public athénien, un slogan exprime ce “Non à l'obligation des 5 euros” par consultation. Et c’est à la sortie du métro le plus proche le 8 avril, qu’un homme désespéré, une pancarte à la main, dénonçait “la direction de l'hôpital d'Hippocration pour terrorisme, visant un individu sans ressources car comme ce dernier ne disposait pas de ces 5 euros, il a été mis à la porte, Non au terrorisme”. L’époque est rude, mais elle demeure poétique, au sens même premier du terme. Sur un mur de ce même hôpital une main anonyme a écrit ce poème bien connu d’Odysseas Elytis: Le Soleil: “Belle et étrange patrie que celle qui m’a été donnée”. Et de l’autre côté de ce même mur, le mendiant “attitré” des lieux, un homme souffrant des troubles d’ordre neurologique d’après les commerçants de la rue.


Et cette patrie des travailleurs et des scientifiques s’en va ailleurs. La presse grecque rapporte ce mardi 9 avril, que plus de 120.000 scientifiques et en tout cas diplômés, auraient quitté le pays depuis 2010. Ailleurs, au centre du pays et à la bourgade d’Oichalia à la région de Trikala (Thessalie), plus de 550 familles ont quitté leur terre. Une collégienne, vient même de tourner un petit film, dénonçant la détresse de ces enfants qui restent alors ayant comme seul recours, leurs grands-parents. Son film vient d’être primé par le ministère de l’Éducation Nationale (?), acte de résistance ou alors simple ironie ? Cette fille âgée de quinze ans a été jointe par les journalistes de la radio Real-FM car la nouvelle avait déjà fait le tour d’une partie de la presse et d’internet: “Des enfants partent et quittent le collège. D'autres enfants n'ont plus leurs parents à leurs côtés. Nous étions quinze élèves dans ma classe il y a peu, nous ne sommes que douze maintenant. Ils partent en Allemagne... nous aimons nos grands-parents mais ce n’est pas pareil. Nous sommes très tristes”. Le maire de la bourgade a rajouté “que de 5.000 habitants, sa commune ne compte plus que 1.500 habitants, tout le monde part, y compris les paysans et les éleveurs, depuis cinq mois ce phénomène prend de proportions jusque-là, inimaginables”, (Real-FM, le 9 avril).


Et pour ceux qui restent la tâche est bien rude car il va falloir réussir le Plan B, tout en faisant barrage au Plan AD, “AD”, comme Aube dorée. Une affaire dans l’affaire vient d’éclater, après la fin très probable de la collaboration du journaliste Yorgos Trangas et de la radio Real-Fm. Trangas, sur un plateau de la télévision, et lors de son émission sur Skai-TV dimanche dernier 7 avril, il a invité quatre députés et représentants de l’Aube dorée, sans contre-parole. L’émission a provoqué un tollé, surtout que le journaliste atypique de la droite centriste (?) s’est montré assez complaisant avec ses invités, ce qui lui a valu déjà une (presque) rupture avec Real-FM.

De toute manière, le discours anti-mémorandum se mêle tous les jours à celui des néonazis de l’Aube dorée dans la rue, car déjà, le totalitarisme d’en haut, celui imposé par les élites (grecques, allemandes, bancocrates et européistes), rencontre et nourrit celui d’en bas, des adeptes de l’Aube dorée. En ce sens, on peut et surtout on doit être beaucoup plus prudent au moins. Donc la lutte est également rude sur ce terrain-là également, d’autant plus que les pratiques, c'est-à-dire les actes du fascisme ordinaire se multiplient. Récemment, Tassos Stafilidis, 41 ans, ancien député au Parlement suédois, et son compagnon, ont été agressés et ainsi violemment frappés par des inconnus se réclamant du “nouvel ordre homophobe”, de nuit, et à deux pas de la Place Omonoia, ce nouvel épisode qui n’est plus un acte isolé, vient d’être médiatisé par la presse suédoise, mais également grecque.


Donc nous allons loin et nous sommes déjà loin, parfois même loin de tout. Ce qui rend également urgent le Plan B. Pour l’instant les rassemblements antifascistes se multiplient, tout comme certains actes de solidarité quotidienne, comme l’appel à la réutilisation des tickets du métro, car ils ont une validité d’une heure et demi et ceci, malgré l’interdiction faite à ce sujet par la Régie des transports en commun d’Athènes. Décidément, c’est la crise qui nous transporte !




* Photo de couverture: Place de la Constitution, Athènes, le 7 avril
Sortons maintenant de l'Euro et de l'UE, parti de gauche Antarsya, Athènes, le 9 avril
Appel antifasciste en français et en anglais, Athènes, le 9 avril
Presse suédoise, agression de Tassos Stafilidis (capture d'écran)
Départ de 120.000 scientifiques, quotidien Ta Nea du 9 avril
Belle et étrange patrie... Athènes, le 8 avril
Place de la Constitution, Athènes, le 7 avril
Presse grecque, Quotidien des Rédacteurs du 9 avril
Cameras devant le ministère des Finances, Athènes, le 7 avril
Non à l'Euro, Athènes, avril 2013
Je n'oublie pas, Athènes, avril 2013
A bas la junte des traîtres, Athènes, le 7 avril
L'arbre de Dimitris, dépouillé, Athènes, le 7 avril
Place de la Constitution, Athènes, le 7 avril
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