U.E. : l’immigration de masse expliquée à mes petits enfants. Par Paul Monmaur.
U.E. : l’immigration de masse expliquée à mes petits enfants.
Lors de son procès qui s’est tenu au Tribunal de Grande Instance de Grasse le 18 décembre, il a été reproché à Claire Marsol d’avoir aidé à la circulation, sur le territoire français, de deux Erythréens -une jeune femme en situation irrégulière et un mineur isolé- en tentant de les soustraire aux forces de police chargées de contrôler les migrants et de leur faire barrage en gare de Nice.
Claire a reconnu ces faits mais a déclaré avoir agi en humaniste car ces deux migrants qu’elle essayait d’aider se trouvaient en grande détresse et vulnérabilité. Un délit sanctionnable en terme de droit pénal sauf si la dignité et l’intégrité de ces personnes étaient menacées. Une réalité selon Claire, confirmée par le témoignage de militants, mais que le président du tribunal a sèchement écartée.
Pourtant aujourd’hui, personne ne peut ignorer que les migrants, souvent au péril de leur vie, fuient la misère, la malnutrition, les guerres, les régimes autoritaires et/ou les dictatures sanglantes dans l’origine et le maintien desquels l’Europe et les Etats-Unis portent une lourde responsabilité. A cet égard, il est utile de rappeler que la France, la Grande Bretagne et d’autres puissances encore, désireuses d’affirmer leur influence dans le concert des grandes nations et en quête de profits, continuent à piller les richesses naturelles et humaines de ce qui fut leurs vastes empires coloniaux, laissant leurs peuples dans une pauvreté et une corruption endémiques.
Bien après les luttes de libération nationale et une décolonisation en trompe l’œil, les Etats colonisateurs continuent à exercer des pressions et une influence déterminante (néocolonialisme) sur la politique et l’économie de leurs anciennes possessions. En témoigne, par exemple, la forte présence (plus de 10 000 hommes en armes) de troupes françaises déployées en permanence sur le territoire des anciennes colonies d’Afrique, résultat d’un chantage : indépendance (!) contre garantie d’un maintien des troupes françaises sur place. En témoignent encore les accords opaques assurant l’accès prioritaire des grands groupes industriels français aux matières premières stratégiques des pays, sans oublier la mise en place de la zone CFA, zone monétaire assurant la permanence des intérêts économiques et financiers français.
Aujourd’hui, les interventions militaires occidentales, sous couvert d’établissement de la démocratie, perpétuent cette domination tout en créant ou aggravant des situations de chaos dont les populations civiles sont les premières victimes. Il en est ainsi de l’Irak comme de la Syrie ou de la Libye.
Ancienne possession ottomane puis colonie italienne, la Libye proclame son indépendance en 1951. Sous sa présidence, contestable sur certains points, le colonel Kadhafi refuse de se soumettre aux diktats occidentaux et met en œuvre une politique de redistribution des richesses issues principalement de la vente du pétrole. Après 2002, le revenu mensuel moyen par habitant est, en Libye, le plus élevé d’Afrique et il est supérieur au revenu moyen annuel mondial ! En 2011, le régime libyen et son leader sont pulvérisés sous les bombes franco-britanniques avec la complicité de l’ONU. Depuis, l’économie est détruite, le pays anéanti, quasiment désertifié est ramené à l’état tribal. En proie aux luttes claniques, hors de contrôle de toute autorité étatique capable d’exercer son pouvoir sur la totalité du pays, la Libye est devenue la plaque tournante de l’émigration dans le nord de l’Afrique, largement ouverte sur l’Europe.
Un siècle auparavant, de vastes contrées du Proche et du Moyen-Orient, parties intégrantes de l’empire ottoman dépecé lors des accords Sykes-Picot, sont passées sous mandat de la Grande-Bretagne et de la France, respectivement première et deuxième puissances coloniales du monde à cette époque. Depuis lors, ces régions sont un foyer de conflits permanents dont la figure emblématique demeure la question de la Palestine, territoire soumis à l’occupation israélienne, réduit en miettes et quasiment rayé de la carte avec l’assentiment et le concours des puissances occidentales.
C’est également dans ce Proche Orient que s’affrontent, souvent par factions interposées, les principales puissances mondiales (Etats-Unis, UE, Russie, Chine …) et régionales (Turquie, Israël, Arabie Saoudite, Qatar …, souvent alliés féodaux de ces grandes puissances). En jeu : le contrôle des immenses réserves d’énergies fossiles d’importance stratégique et de leurs voies d’acheminement, terrestres et maritimes, en particulier le canal de Suez. Massivement bombardés notamment par des coalitions occidentales et/ou de leurs bras armés locaux, l’Afghanistan est devenue un bourbier impraticable, l’Irak un chaos indescriptible, la Syrie un enfer, cela sous des prétextes diversifs, flous ou fallacieux (aide à l’émancipation des populations, lutte contre le terrorisme, élimination des armes de destructions massives).
Ces régions sont, avec celles du nord de l’Afrique, notamment la Libye, et plus à l’Est, l’Erythrée, les principaux pourvoyeurs de migrants, hommes, femmes et enfants qui, fuyant par centaines de milliers voire par millions, la misère, la répression, les combats et les exactions claniques, sont contraints de survivre dans des camps quasi invivables. Beaucoup tentent de gagner l’Europe, au péril de leur vie et nombreux sont ceux qui la perdent en Méditerranée ou ailleurs.
Quelques dizaines de milliers, choisis pour leurs compétences et leur capacité à fournir une main d’œuvre qualifiée à bas coût, - avec pour conséquence collatérale de freiner les revendications salariales locales -, sont favorablement et très médiatiquement accueillis, au titre de réfugiés, par les pays de l’Union Européenne. En revanche, l’immense majorité est décrite comme une armée d’invasion/occupation quand ce n’est pas comme une horde de gueux dangereux. A l’abri des caméras, contenus aux frontières, voire refoulés au-delà, ces migrants vivent dans des conditions inhumaines aux portes d’une Europe qu’ils regardent comme un eldorado. D’autres, enfin, parviennent à passer clandestinement les frontières. Traqués par les polices, isolés affectivement, démunis socialement, fragilisés par leur statut de migrants sans papiers, corvéables à merci, ils grossissent généralement les rangs de ce que l’on peut appeler le nouveau sous-prolétariat européen.
Dans ce contexte tragique, mais aussi pour des raisons strictement humanitaires, aider des migrants en graves difficultés, y compris en situation irrégulière, à se déplacer et à survivre, est un devoir qui s’impose à tous, en tout cas aux humanistes et démocrates. Y compris en bravant les rigueurs policières et l’intransigeance de la justice, institutions pourtant républicaines mais dont la mission assignée par les dominants est de protéger prioritairement les intérêts des puissants et ceux des Etats capitalistes. C’est précisément ce qu’à fait Claire Marsol. Dans son réquisitoire, le procureur a demandé que le jugement soit fondé « sur le droit », ce qui, à défaut de plus amples informations, signifiait, implicitement, « à l'exclusion de toute autre considération» dont bien sûr « la justice » ! Dès lors, le verdict était prévisible. Ce fut une condamnation ferme à une amende de 1500 euros. Le verdict aurait été très différent, si le tribunal avait jugé et délibéré dans l’esprit même de justice et de respect des droits de l’homme, et en tenant compte des causes de l’émigration et des raisons qui la nourrissent, comme on serait en droit de l'attendre de la part d'une institution judiciaire exerçant au sein d’une société humaniste et démocratique. C’est la relaxe avec, en prime, les félicitations de la Cour qui aurait été prononcées ! Ainsi preuve est une nouvelle fois faite, que l’institution judiciaire œuvre au service des dominants et de l’ordre social qu’ils imposent.
A l’évidence, ni la vertueuse et nécessaire solidarité militante, ni sa répression et sa criminalisation, ni les contrôles de police au faciès, ni les centres de rétention, ni les barrages aux frontières ne peuvent résoudre le problème de l’immigration de masse qui est la conséquence logique de la misère générée par une géopolitique ultra libérale, capitaliste, impérialiste, mondialisée. La boucle est bouclée ! Pour la briser, il faut penser autrement et faire beaucoup plus si l’on veut que triomphent la justice, les droits inaliénables et la solidarité qui forment le socle de toute société humaniste et démocratique. Concrètement, dans les pays instables et pauvres minés par l’exploitation coloniale et néocoloniale, par la corruption et les guerres, il faut créer les conditions d’une paix durable, d’un développement raisonné, d’échanges équitables et favoriser une réelle émancipation afin que leurs ressortissants puissent y vivre dignement et n’aient plus de raisons de fuir, au péril de leur vie, leur sol natal pour survivre.
La tâche est ardue et immense. Mais les sociétés humaines ne sont pas immuables et l’émigration/immigration pour cause de misère n’est pas une fatalité. Dès lors, pour transformer les initiatives humanitaires individuelles comme celles de Claire et de bien d’autres militants en « victoire » pérenne, il est indispensable qu’elles s’inscrivent dans le large concert des luttes de toutes celles et tous ceux qui, par conviction politique, économique, sociale et humaniste combattent, ici et partout ailleurs, sans état d’âme et avec toute leur énergie, le capitalisme et son stade suprême l’impérialisme, faiseurs sans fin de misères populaires et de candidats à l’émigration dégradante, indigne, instrumentalisée, aliments naturels de la xénophobie, du racisme, de la haine et des régressions sociales.
Janvier 2016.
Paul Monmaur, retraité.