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Le blog de Lucien PONS

Le PDG du Printemps loge son bonus à Singapour. Article de Martine Orange sur Médiapart.

11 Avril 2013 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Le grand banditisme

 Les voyous et les mafieux sont aux commandes et pillent la France.
Le PDG du Printemps loge son bonus à Singapour
| Par Martine Orange
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Décidément, il y a beaucoup d’argent, beaucoup trop d’argent qui tourne autour du Printemps. La vente de la chaîne de grands magasins, engagée dans des conditions particulièrement opaques, semble devoir donner lieu à des millions de commissions versés par le Qatar, comme l’a révélé Mediapart. Mais la folie du gain, la cupidité ambiante ne paraît pas s’arrêter là : le PDG du Printemps, Paolo De Cesare, apparaît lui aussi concerné.

Selon de nouveaux documents en notre possession, le dirigeant de la chaîne de grands magasins depuis 2007 est aussi un des heureux bénéficiaires de la grande opération d’intéressement liée au Printemps. En plus de son contrat normal, il s’est fait attribuer un bonus miraculeux. Dans le langage des fonds d’investissements, on appelle cela « l’alignement des intérêts des managers sur ceux des actionnaires ». Mais les conditions d’attribution de cet intéressement sont extravagantes. Fraude fiscale, montages complexes, société offshore, rien n’a été oublié dans le mécanisme, le tout avec l’approbation non seulement du groupe Borletti, mais du fonds RREEF, émanation de la Deutsche Bank, censé gérer les capitaux des fonds de pension. Contacté, M. De Cesare n’a pas retourné nos appels ni répondu à nos questions.

Au moment où les révélations de l’Offshore Leaks mettent en lumière l’ampleur des méfaits des paradis fiscaux, ce nouvel épisode autour du Printemps illustre combien l’évasion fiscale est devenue une pratique courante dans nombre de grands groupes. 

Tout commence au moment du rachat du Printemps en 2006. Le fonds RREEF, actionnaire à hauteur de 70 %, et le groupe Borletti, actionnaire à hauteur de 30 %, veulent un nouveau dirigeant pour la chaîne de grands magasins. Celui-ci doit partager totalement leurs vues sur le repositionnement des magasins vers le haut de gamme, mais aussi accepter le dispositif financier imaginé : c’est l’argent du patrimoine immobilier du groupe qui doit servir à payer les intérêts des emprunts, les actionnaires n’apportant quasiment pas de capital (voir Printemps : le cas exemplaire d’un pillage organisé).

En mai 2007, le groupe annonce avoir découvert le dirigeant idéal : Paolo De Cesare. Âgé alors de 47 ans, ce responsable italien a fait toute sa carrière chez Procter &

© dr
Gamble. Il est spécialiste du marketing, a occupé un certain nombre de postes à l’étranger notamment en Asie, et s’occupe à ce moment-là de la division Skincare soins de la peau. « Mes fonctions à venir à la tête du Printemps sont complémentaires en termes de carrière. Je suis très sensible à la notion de service », explique-t-il au moment de son entrée en fonction.

 

Pour le convaincre de venir prendre la direction du Printemps, les nouveaux propriétaires n’ont pas lésiné sur les moyens. Ils lui promettent un salaire annuel d’un million d’euros, la prise en charge de son logement, des frais de scolarité de ses enfants, de ses assurances santé et de retraites. Bref, toute la panoplie de rémunérations et d’avantages que les groupes estiment normal désormais de proposer pour attirer les « grands managers internationaux ».

« Toute divulgation doit être évitée »

Mais les actionnaires du Printemps y ajoutent une récompense supplémentaire : une structure d’investissement, reposant sur des produits financiers hybrides, qui lui « donnera le droit de vendre ses intérêts en cas de sortie dans les mêmes termes et les mêmes conditions que les actionnaires de contrôle », explique le contrat (l'intégralité de son contrat ici). « Nous sommes très excités par votre arrivée au Printemps. Nous pressentons que vous serez un grand actif pour notre groupe », apposent les responsables des sociétés actionnaires, au bas du contrat.

Extrait du contratExtrait du contrat

La mise en place de ce véhicule d’investissement particulier va donner lieu à une foule de courriers, d’échanges entre avocats, actionnaires, et dirigeant. On ne saurait prendre ces choses-là à la légère. La première étape est de définir le type d’investissement. Paolo De Cesare est supposé apporter 1,5 million d’euros dans sa structure personnelle. Dans les faits, il n’apporte rien du tout : ce sont les deux actionnaires du Printemps qui lui prêtent l’argent.

En contrepartie de cette avance, il s’engage à respecter précisément le plan arrêté par les actionnaires : augmenter le chiffre d’affaires et la rentabilité du groupe, et vendre le patrimoine. Si les critères sont respectés, il peut espérer sortir avec 22 millions d’euros, au moment de la vente. Une somme gigantesque comparée aux ressources du groupe. En 2011, la chaîne de grands magasins a réalisé un bénéfice net de 45,5 millions d’euros pour 762 millions d’euros de chiffre d’affaires. 

« Nous croyons que mettre le véhicule (de Paolo De Ceasare) au niveau des actionnaires de Printemps holding Luxembourg est la structure la plus appropriée compte tenu du besoin de confidentialité sur ce sujet et du fait que le placer un étage plus bas impliquerait de l’indiquer dans les comptes consolidés du groupe. Or ces comptes sont publics. Toute divulgation de la participation de M. Paolo De Cesare dans cet instrument ou de tout détail de ce plan doit être évitée », précise une lettre du groupe Borletti à ses actionnaires et à son co-actionnaire RREEF. 

Mais pourquoi vouloir à tout prix cacher ce montage d’intéressement ? Parce qu’il est à la limite extrême de la légalité, et en tout cas guère compatible avec le rôle d’un mandataire social. Car le conflit d’intérêts est patent, surtout au vu des montants en jeu. Tout au long de son mandat, qu’a donc défendu M. De Cesare, les intérêts du Printemps ou les siens propres ? « C’est une situation qui pourrait être qualifiée d’abus de pouvoir », dit l’avocat Dominique Schmidt, en se référant au précédent de l’ancien président de Vinci, Antoine Zacharias, condamné en dernière instance par la Cour de cassation pour avoir voulu toucher un bonus de 15 millions d’euros en plus de sa rémunération de 4 millions et de ses 250 millions de stock-options.

Sous les cieux de Singapour

Mais le problème ne s’arrête pas là. Le versement de cet intéressement est bâti sur une fraude fiscale. Car naturellement, il n’est pas question de le toucher en France. Dans un premier temps, il est envisagé de constituer le véhicule personnel de Paolo de Cesare, au Luxembourg, là où les actionnaires ont logé la holding de contrôle du Printemps.

Consulté sur le projet, un célèbre cabinet d’avocats au Luxembourg, Allen Overy, tique, non pas sur le principe mais parce que le montage envisagé pourrait conduire à devoir payer une taxe de 15 %. C’est une nouvelle illustration, s'il en était besoin, du rôle des avocats comme rouage essentiel dans l’évasion fiscale. Il propose donc un autre mécanisme par l’intermédiaire de produits financiers hybrides, et dépourvus de droits de vote. Mais avertit-il, l’administration fiscale pourrait reconsidérer le montage et lui appliquer une taxe de 1 %. « Des questions sur l’intérêt social doivent aussi être prises en compte et de tels instruments dans certaines circonstances peuvent conduire à des détournements d'actifs de la société luxembourgeoise par ses managers/actionnaires », précise-t-il dans son courrier (voir sa lettre ici). Bref, le Luxembourg n’est pas aussi paradisiaque que cela : l’administration fiscale du duché pourrait elle-même y trouver à redire.

Pour plus de sûreté, la structure personnelle, nommée Maxpa Invest Pte, va donc être logée à Singapour.

Elle est référencée aujourd'hui sur internet. La coquille est gérée par Rothschild à Singapour.

Au moment de la vente du Printemps, son PDG va donc pouvoir toucher en toute discrétion, sans payer le moindre impôt, les 22 millions d’euros. Ainsi tout ce petit monde se tient pour poursuivre la cession de la chaîne de grands magasins, à l'abri des regards indiscrets.

« L'opacité qui entoure la vente du Printemps n'est plus supportable. L'identité du véritable repreneur est toujours masquée. Chaque jour, on découvre de nouveaux intermédiaires. Il apparaît dans ce dossier des pratiques impensables, des commissionnements faramineux. Tout cela ne peut pas durer. Nous avons l'intention de saisir le procureur de la République pour lui signaler la situation », dit Bernard Demarcq, secrétaire du syndicat des cadres UGICT-CGT du Printemps.

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