Charlie Hebdo, la chronique de Daniel Schneidermann
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09h15 le neuf-quinze
Ce que vous nous avez arraché...
Ah c'est malin. Bravo. Pleine réussite. Voilà qu'on se surprend soudain à pleurer avec Val (1), quand il pleure ses copains de Charlie. Voilà qu'on se retrouve à la République (2) à lever nos stylos comme des idiots, en cherchant le réconfort dans les plis de la statue froide, où ne s'attardaient plus que les pigeons, et dont nous retrouvons soudain le nom.
Ah c'est malin. Voilà qu'on en mesure soudain le prix, de notre petite décadence tranquille, à l'heure exacte où vous voulez nous l'arracher. Notre démocratie à hoquets qui ne débouche jamais sur rien, notre dérision mécanique, sans fin, notre liberté sexuelle vide, nos futilités, nos inutilités, voilà soudain qu'on les serre contre soi, pas touche à nos trésors, et tu sais quoi ? Je suis Charlie !
Ce que vous nous avez arraché, avec ces bonheurs de l'enfance, nous peinons encore à le mesurer, mais déjà son absence hurle en nous. Ce monde-là. Ce monde d'avant le 7 janvier 2015 (3), où tout semblait encore si bien rangé, même si tout y était tellement dérangé. Cette fin interminable d'un siècle trop heureux, ces années 70 bénies, les filles de Cabu, les pépées de Wolinski, les caricatures de Mahomet, ce droit à l'adolescence à perpétuité.
Ah c'est malin. Ce que vous nous avez arraché, c'est ce temps où l'on pouvait simplement ricaner quand on les entendait, Val, Valls et les autres, mener dans cette alliance contre nature leurs croisades et leurs guerres plus ou moins revues et corrigées par Carla Bruni et Euro RSCG, agiter leursmoulinets Vigipirate, leurs chiffons de menace intégriste et terroriste, cette menace qui est forte, qui n'a jamais été aussi forte, ce temps où on pouvait tout simplement leur tourner le dos, leur dire que ces guerres n'étaient pas les nôtres. Ce temps où nous pouvions, à bon droit, juger a priori suspecte toute unanimité. Ah ils vont bien nous l'extorquer, maintenant, l'unanimité. Et il en faudra, du culot, pour leur dire Bas les pattes !
Ce que vous nous avez arraché, c'est ce temps où nous nous sentions si loin des balles. Ce temps, en nous, où la guerre ne semblait malgré tout qu'un grondement lointain. Où l'on se croyait éternellement à l'abri, dans le refuge des mots et des petits dessins. C'est malin.
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Daniel Schneidermann